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Anne-Catherine Gillet « J’essaie toujours de prendre fait et cause pour ces nunuches autoproclamées et je l’assume ! »

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Interview
18 janvier 2010

Infos sur l’œuvre

Détails

Le regard vif, la parole alerte, Anne-Catherine Gillet est un véritable feu follet avec lequel il est bon de s’arrêter et de discuter. Car cette délicieuse soprano trentenaire, est tout simplement intarissable sur la vie, la famille, la carrière et l’opéra qu’elle a découvert sur scène, quand d’autres ont eu le temps de se pencher sur les partitions, de faire des choix et de penser à leur avenir. Enthousiaste sur ce métier qu’elle commence à vivre plus sereinement, elle déguste chaque nouvelle étape avec fougue ne cessant d’apprendre, de chercher, d’avancer. Piquante Susanna, turbulente Zdenka, cette fraîche Aricie, cette Poppée, cette Mélisande, foulera bientôt et pour la première fois, les planches de l’Opéra Bastille en interprétant Sophie dans Werther, auprès de Sophie Koch et de Jonas Kaufmann.

 

Micaëla à l’Opéra Comique, Lola à Orange, Vincenette à Garnier, Sœur Constance à Toulouse, vous serez bientôt Sophie dans Werther, un rôle que vous avez déjà interprété, cette fois à la Bastille : qu’est-ce qui caractérise ce personnage d’un point de vue dramatique et musical et qu’appréciez-vous chez lui ?

J’ai toujours pour habitude de me raccrocher à des choses concrètes : que nous apprend la première page de cette partition ? Le Bailli est veuf, il a une fille aînée de vingt ans Charlotte, une fille de quinze ans Sophie et d’autres enfants. Sophie est donc la seconde et il est facile d’imaginer que pour elle, Charlotte est une sorte de mère de substitution, la seconde femme de la maison. Sophie est bonne joueuse car elle essaie dans toutes les circonstances d’avoir sa part de bonheur et joue même à la grande à l’acte 3. Mais pour moi, il s’agit avant tout d’une adolescente et pour cette raison elle me touche. On a tendance à la voir comme une « nunuche » et il est exact que si l’on s’en tient aux paroles qu’elle prononce, cela peut accréditer cette thèse. Je reconnais que j’essaie toujours de prendre fait et cause pour ces nunuches autoproclamées et je l’assume. Je vois par exemple Micaëla dans Carmen comme quelqu’un de courageux, qui a les pieds sur terre, qui vit une véritable histoire d’amour, sinon je ne peux pas y croire. Elle crâne, dit qu’elle n’a pas peur, comme je pourrais le faire moi-même un soir de première pour me donner du courage : « Oui, oui tout va bien », alors que ce n’est pas vrai. C’est comme cela que je la joue avec Ludovic Tézier qui incarne Albert ; Sophie a la fougue de son âge et je m’amuse à la faire très câline. Elle a juste quinze ans et veut montrer qu’elle existe, donc en fait un peu trop. Il peut m’arriver d’être agaçante à force d’être enthousiaste dans certaines circonstances. Pour moi Werther est le premier amour de Sophie et son drame c’est que tout le monde s’en moque.

 

Ce Werther a été réalisé en 2004 par le cinéaste Benoît Jacquot qui, à l’exception d’un film très personnel tiré de Tosca, n’avait jamais mis en scène d’opéra. Pouvez-vous nous parler de son travail et de son approche de l’œuvre ?

 

Il s’agit d’une reprise, mais Benoît Jacquot est là depuis le premier jour. Il est très attentif aux personnalités de chacun et n’est jamais fermé aux propositions qui peuvent lui être faites. Il voyait Sophie comme une gamine encore imperméable au monde des adultes et cela ne me convenait pas trop. Il m’a donc laissé faire et a trouvé que les petites histoires que je me racontais à son sujet pouvaient être intéressantes. Mais attention, il sait parfaitement nous recadrer. Au début il donne beaucoup car il veut retrouver ce qu’il a réalisé à Londres et dont il lui reste des idées précises, puis en fonction de ce que nous apportons aux personnages, il ressert et nous arrête : c’est assez idéal.

 

Antonacci, Alagna, Malfitano, Lott, bientôt Kaufmann, qu’apprenez-vous des grands interprètes avec lesquels vous collaborez ?

 

Plus j’avance dans ce métier et plus j’apprends, car je me permets enfin de faire attention aux autres ; je m’explique : suite à la réflexion que m’avait faite un pianiste qui me trouvait fermée aux autres au lieu de me rapprocher, de partager et d’aller chercher des conseils, ce que je n’osais pas faire, j’ai réfléchi. Il est exact qu’à mes débuts je voulais avant tout bien faire mon travail avec le chef et le metteur en scène et ne voulais pas aller plus loin, tout simplement parce que je n’en avais ni le temps, ni le courage. Aujourd’hui, je vais plus vite et peux prendre le temps d’admirer ce que fait Ludovic Tézier par exemple. Hier Michel Plasson m’a dit que le chant français demandait du charme. Je lui ai répondu que j’allais chercher en ce sens, mais il m’a répliqué que cela ne se travaillait pas… Alors j’en ai discuté calmement avec Ludovic, qui m’a conseillé d’y réfléchir seule, puis que nous en reparlerions. Il est rare de disposer de collègues de cette sorte. Il y a certaines personnes avec lesquelles vous n’avez pas d’affinité, mais Ludovic m’est précieux, il possède énormément de références, écoute beaucoup d’anciens chanteurs, travaille beaucoup dans son coin. Il m’a conseillé de penser à la mélodie française. Chaque rencontre est différente : avec Sophie Koch que je connais bien, nous parlons surtout comme deux mères qui ont une carrière et évoquons souvent l’évolution de notre instrument. J’ai chanté Barberina et elle était Cherubino, cela fait très longtemps. A cette époque je n’osais pas m’approcher des premiers rôles, alors qu’aujourd’hui je peux me le permettre.

Felicity Lott possède quelque chose de rare, un charme justement, naturel, tout à fait exceptionnel, une chose délicate, immatérielle, qui la rend extrêmement touchante, parce qu’elle doute d’elle et de ce qu’elle donne. Voilà une artiste qui n’est pas formatée et de totalement admirable. Antonacci aussi n’est pas quelqu’un de formatée, mais elle est extrêmement professionnelle, carré, rien ne dépasse et je n’ai pas été amenée à échanger beaucoup avec elle. On la sent dans son monde, telle une personnalité qui cherche à se protéger ; il est impossible de lui taper sur l’épaule, ce que je comprends, elle se préserve.

Avec Roberto Alagna, c’est encore autre chose : en répétition, je devais le provoquer pour faire réagir sa maîtresse jouée par Béatrice Uria-Monzon, qui se sait trompée, me suis approchée de lui de face et il m’a tout de suite dit de ne pas faire comme cela, mais de penser à la caméra, car nous allions passer à la télévision quelques jours plus tard. Je n’y avais pas réfléchi, pensant uniquement à me retrouver face à un artiste qui dévore tout sur son passage et pourtant il m’a donné ce conseil plutôt sympathique. Il a été très gentil avec moi, m’a questionné, s’est intéressé à mon parcours. Kaufmann est très discret, concentré, on ne l’entend pas, sauf quand il éclate de rire, d’un rire tonitruant. Il est amical et très simple, mais pour le moment en tout cas, nous travaillons tous intensément.

 

Avant de faire vos classes à l’Opéra de Liège et d’être repérée par Nicolas Joel au Capitole de Toulouse. Comment avez-vous découvert ce penchant pour la musique et comment se sont manifestées vos aptitudes au chant ?

 

Je ne viens pas d’une famille de musiciens ; j’ai fait la démarche par moi-même. Un jour chez une amie en vacances, j’ai suivi un stage de flûte à bec, puis un an plus tard ai décidé de prendre des cours de solfège. Mon professeur m’a dit que j’avais une jolie voix et comme j’avais pris l’habitude de faire beaucoup d’activés et j’ai décidé de prendre des cours de chant à 16 ans, sans rien y connaître. Tout est arrivé par la suite naturellement, mais j’ai dû tout apprendre. J’ai assisté à mon premier opéra, Nabucco, à Liège et je chantais Barberina dans le second. J’ai donc plus d’expérience de l’opéra en coulisse qu’en tant que spectatrice.

 

Avec le recul, quelles influences ont eu vos années de formation à Liège sur la suite de votre carrière ?

 

Elles m’ont permis d’apprendre ce qu’est ce métier, qu’il y a des jours avec et des jours sans, mais qu’il faut y aller. A Liège où Jean-Louis Grinda ma engagée dans la troupe en 1997-1998, j’ai énormément travaillé et parfait mon apprentissage musical sur scène. Plus tard à Zürich, j’ai suivi un rythme tout aussi soutenu : les répétitions avaient lieu le matin, le démontage l’après-midi et la représentation le soir, de ce fait la question de savoir si on est ou pas en voix, ne se pose pas, il faut chanter, c’est marche ou crève, mais cela nous apprend l’humilité, ce qui n’est pas si mal. Je vais vous raconter une anecdote : chez mes parents, il n’y a aucune photo de moi en scène et autant de moi que de ma sœur. Ils sont fiers de ce qui m’arrive, mais si demain j’arrêtais ils ne seraient pas catastrophés. Parfois ma mère vient chez moi quand j’ai un spectacle et ne comprend pas que le soir de la première je n’aie pas forcément envie de parler… Cela remet les choses en place.

 

Quels ont été les points forts de votre jeune carrière ?

 

J’ai beaucoup aimé travailler avec Philippe Sireuil sur Pelléas et Mélisande, avec qui j’avais chanté précédemment Barberina des Noces de Figaro : je me souviens être arrivée sur le plateau pour ma scène comme si je venais banalement des coulisses, alors qu’il voulait que j’ai à l’esprit que je sortais subrepticement d’une pièce d’un château, ce qui est très important. Il m’a également appris qu’aucun personnage n’était noir ou blanc, mais toujours gris. Susanna n’est pas aussi simple qu’on le pense, elle peut être troublée par le Comte. Le comte n’est pas un pervers, libidineux et Figaro uniquement une sorte de Belmondo qui apparaîtrait façon « Toc, toc, toc c’est moi ». Je me souviens avoir lu toutes les critiques d’Hyppolite et Aricie entre la 4e et la 5e représentation : j’avais cherché à en faire une guerrière, avec l’accord du metteur en scène, ce qui m’a été reproché. Et à la 5e j’ai essayé de la jouer plus Barbie, un petit peu foldingue entre Rachel Yakar et une riche héritière façon Paris Hilton. Je n’y croyais pas et pourtant le public a apprécié cette nuance là.

 

A l’exception de Colombe de Jean-Michel Damase abordée à Marseille, de Poppée à Toulouse et de Mélisande à Liège – de vrais premiers rôles – on vous a surtout entendue dans de nombreux seconds rôles : Susanna, Despina, Marcellina, Sophie, Zdenka. A force de multiplier les œuvres et les répertoires, quel est celui dans lequel vous vous sentez le plus à l’aise ?

 

Depuis plus d’un an j’ai surtout été en contact avec le répertoire français et cela me convient. Je suis ravie de me retrouver sur une production dirigée par Michel Plasson. La spécificité de la musique française, selon lui, réside dans le charme, un mot qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs. Je vois ce qu’il veut dire, mais n’ai pas encore trouvé comment le traduire musicalement. J’adore le Dialogues des carmélites où je me sens exactement chez moi, contrairement à Carmen qui m’a stressée, même si j’ai essayé de dessiner une Micaëla moins bécasse que ce que l’on imagine, qui aime vraiment Don José et qui est capable de prendre des risques pour lui. Je préfère de loin Zdenka, ou Poppée où il y a plus à dire.

 

Vous chantez en français, en italien, en anglais, en tchèque et en allemand : dans laquelle de ses langues trouvez-vous que votre voix s’épanouisse le mieux ?

 

J’aime assez l’allemand et me sens très à l’aise chez Strauss, même si certains ont trouvé mon allemand « exotique » lorsque j’interprétais Sophie dans Le chevalier à la rose – Ah ! Ces critiques, je sais que je ne devrais pas toutes les lire ! – je parviens à une certaine liberté que je n’ai pas encore trouvée avec le français, qui correspond malgré tout le mieux à ma nature, même si je suis belge.

 


Anne-Catherine Gillet (Sophie) et Sophie Koch (Charlotte)
Est-il facile à votre âge, de planifier votre avenir, de parier sur l’évolution de votre voix, d’envisager de nouvelles prises de rôles ?

 

Il y a de cela plusieurs années, on m’a proposé d’aborder Tatiana dans Eugène Onéguine : j’ai accepté la proposition, puis me suis ravisée, suivant une petite voix qui me disait de prendre garde. J’ai donc décliné l’offre, puis en ai discuté avec Sophie Koch, qui est pour moi une sorte de grande sœur sage. Pour elle, les choses sont simples : une carrière doit durer trente ans et chaque décennie est réservée à une certain type de rôles. Pourquoi faire trop tôt ce que l’on peut faire tranquillement l’heure venue ? Il est inutile, selon elle, de brûler ses cartouches. Elle est très drôle dans sa sagesse. Je n’ai pas regretté d’avoir refusé Tatiana, ce rôle viendra peut être à un meilleur moment. Il y a cinq ans je ne savais pas très bien ce vers quoi je devais aller. Le meilleur étant devant moi, j’ai laissé les choses venir sans les provoquer. Aujourd’hui j’ai des envies plus arrêtées, Juliette (Roméo et Juliette) que j’ai essayée, Norina (Don Pasquale) et Adina (L’elisir d’amore) et Zdenka (Arabella) à nouveau, un personnage que j’ai beaucoup aimé interpréter. Je suis tout de même plus sensible à la musique non italienne, qui me parle plus, Britten, Janacek où il y a tant à faire.

 

A ceux qui reprochaient à Montserrat Caballé de s’être dispersée en chantant trop de rôles différents, celle-ci répondait qu’elle avait toujours adoré apprendre de nouvelles partitions. Aimez-vous vous plonger dans des œuvres nouvelles ?

 

Oh oui j’adore cela, comme j’aime également enchaîner un Rameau avec un opéra italien, ou une partition romantique ; c’est très stimulant, car les styles, les esthétiques, aussi différents soient-ils, se complètent et nous permettent d’apprendre énormément. C’est une belle gymnastique qui nous force à entrer dans une œuvre, à trouver de nouvelles sensations, de nouvelles émotions. J’écoute beaucoup de genres musicaux différents à la maison car il faut vous dire que mon mari est violoniste rock…

 

De manière générale qu’attendez-vous de la part d’un chef d’orchestre et plus précisément lorsque vous débutez dans un rôle ?

 

Qu’il me pousse, me tire vers le haut, me fasse aller vers des territoires inconnus tout en me laissant croire que j’y vais toute seule (rires). Parfois des suggestions sont superbement amenées, je pense au maestro Kazushi Ono qui m’a récemment entraînée, sans me le dire, là où il voulait aller et cela s’est réalisé sans la moindre difficulté. Etre trop explicite peut parfois générer du stress. On peut également apprendre de personnes qui ne nous le disent pas ouvertement, mais je préfère que cela se fasse en douceur et que l’on m’accepte telle que je suis.

 

Lorsque l’on fait ce métier et que l’on change sans cesse d’identité, est-il facile d’être soi-même pour soi et ceux qui vous sont les plus proches ?

 

Tout dépend des équipes avec lesquelles nous travaillons. Malgré la qualité des intervenants réunis sur certaines productions, il peut arriver que la sauce ne prenne pas. Les deux ouvrages de Damase que j’ai joués à Marseille, L’héritière et Colombe, se sont magnifiquement déroulés et j’en garde des souvenirs inoubliables. La présence de Renée Auphan, créatrice de ces rôles, metteur en scène et directrice de l’Opéra de Marseille, l’implication du chef et de la distribution ont conduit à une belle réussite. Lorsque l’on quitte une telle atmosphère, nous avons inévitablement le blues, comme quand je me sépare de Sœur Constance, un personnage qui donne plus qu’il ne prend ; il ne faut pas oublier que cette jeune carmélite est la seule à monter gaiement sur l’échafaud, contrairement aux autres. Lorsque je chanterai Blanche, ce sera forcément différent, mais je me suis promis de me rappeler ces souvenirs forts, si j’éprouve des difficultés. 

 

Qu’est-ce qui vous pèse le plus dans ce métier ?

 

(Temps). Je ne sais pas ? Aujourd’hui, de ne pas être capable de chanter comme ce que j’entends dans ma tête. Quand un chef m’explique ce qu’il voudrait obtenir de ma voix, je comprends sa demande, mais je ne parviens pas à l’appliquer, à la traduire immédiatement. Je sais qu’il me reste encore beaucoup de travail à accomplir, mais j’ai de l’espoir. Rien ne me pèse vraiment, bien sûr la carrière n’est pas toujours compatible avec la vie de famille, je n’ai, par exemple, pas passé quinze jours pleins avec mon mari et mes enfants depuis le mois de mai dernier, mais je me dis que c’est la première fois que cela arrive. Je parviens désormais à apprendre de manière moins douloureuse, ce que je considère comme une grande victoire. Vous savez, il ne faut pas oublier qu’en débutant je n’avais aucun rêve de star. Je ne me suis jamais dit que je voulais être Maria Callas et n’ai jamais visité un opéra en prétendant que j’y chanterai un jour. J’espère que cela va continuer ainsi, l’important pour moi est de faire ce qui me plait.

 

Propos recueillis par François Lesueur le 5 janvier 2010.

 

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