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Ewa Podles

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Interview
3 mars 2005

Infos sur l’œuvre

Détails

 

Ewa Podles
un entretien réalisé par Brigitte Cormier
Toulon, le 3 mars 2005

 

Avec sa voix de contralto au timbre charnu, évoluant sur plus de trois octaves, la remarquable cantatrice polonaise Ewa Podles passe des opéras de Haendel, Rossini et Gluck à ceux de Verdi et de Wagner. En concert ou en récital, avec orchestre ou piano, elle interprète notamment Mahler, Szymanowski, Moussorgski, Prokofiev, Chopin, Brahms… Mais dès qu’elle infléchit ses premières notes, on reconnaît immédiatement sa signature… 

Après le succès de votre récital à Barcelone, nous sommes très contents de vous avoir en France pour Tancrède. D’autant plus que cela n’a pas été simple : les travaux de l’Opéra de Toulon, la fausse nouvelle de coupures dans votre rôle…

Oui, on m’avait dit que Maestro Allemandi voulait presque tout couper pour moi dans le deuxième acte … Ce n’était pas vrai. Il était aux États-Unis, il n’avait pas la partition, alors il s’était trompé dans les numéros… Mais moi, j’ai été vraiment très nerveuse pendant deux semaines, à cause de cette stupide chose !

Quand vous chantez Tancrède, préférez-vous la fin heureuse ou la fin tragique ?

Je préfère la fin tragique. Par contre, quand je chante en version de concert, je prends toujours la fin joyeuse. Qu’est-ce qu’on peut faire, pour mourir, sans mise en scène ?

Votre voix, cette voix qui captive, qui dérange quelquefois, vous vient, je crois, de votre mère ?

Oui, elle avait la même voix. Presque la même voix. Sans aigus. Ma soeur chantait aussi, avec une voix grave : alto. Voilà, toute la famille (rêveuse) Par contre, mon père était absolument « sourd » ! Il aimait chanter… Mais, il chantait faux, faux, faux ! Beaucoup de gens ne peuvent pas répéter, même trois sons… Pom… Pom… Pom… Ce n’est pas évident. Pour moi ce n’est rien. Je peux chanter tout de suite. Même si – contrairement à mon mari, qui a l’oreille absolue – je ne sais pas de quelles notes il s’agit.

Quand vous étiez toute petite fille, vous chantiez ?

Oui… Je chantais Tosca, Cavaradossi… Je jouais à chanter tous les rôles… Je voulais chanter, vraiment ! Mais, au début je voulais devenir danseuse. Je dansais. Je sautais tout le temps ! C’était mon rêve. J’ai réussi l’examen pour l’école de ballet. Ensuite, avec les exercices… Ils m’ont dit que j’avais les os trop gros, que je devenais trop lourde pour le partenaire (rires).

Donc vous chantiez tous les airs d’opéra… Ceux de Moniuszko*? Halka ?

Moniuszko, non, pas tellement.

Pourtant, c’est beau…

Malheureusement, on n’a pas fait assez de publicité pour Moniuszko… Je ne sais pas si Smetana ou Janàcek sont tellement meilleurs que Moniuszko. Mais les Tchèques, eux, ont fait un grand travail pour les faire connaître dans le monde entier.

Plus tard, vous avez étudié à l’Académie Chopin de Varsovie. Vous avez des souvenirs de vos professeurs ?

J’ai eu un seul professeur, la fameuse soprano Alina Bolechowska. Elle a commencé son enseignement avec moi. Mais à cause de ma soeur, j’ai vécu une mauvaise expérience. À l’Académie, ils ont détruit sa voix. Après ses études, elle ne pouvait plus chanter ! Alors moi, j’ai été très prudente. Quand Madame Bolechowska me demandait de chanter certains rôles, souvent je lui disais : non, non… Je ne suis pas sûre, je ne veux pas. Quand j’ai passé l’examen d’entrée à l’Académie, les étudiants de dernière année m’ont demandé : pourquoi veux-tu étudier ici ? Tu chantes mieux que nous ! J’avais la voix presque posée. Je chantais déjà comme une cantatrice.

Pouvoir chanter tant de choses au début de votre carrière, cela n’a pas été un danger plutôt qu’un avantage ?

Oui, à l’époque, on me proposait déjà Azucena, Ulrica, tout cela… Je répondais : non. Jamais… Parce qu’au début, j’avais une voix très légère, très claire… (démonstration mezza voce). « Peut-être, dans trente ans. Mais, je ne crois pas. » Alors j’étais intelligente et je refusais. Ma mère m’aidait beaucoup ; elle me disait toujours : sois prudente, il faut que la voix se fasse, qu’elle mûrisse ; quand on a un enfant, la voix change… Tu as le temps. Maintenant, chante des choses vraiment très légères… Rossini, Mozart…

On aimerait pouvoir entendre votre Chérubin ! Malheureusement, vous avez une discographie assez limitée par rapport à votre vaste répertoire. Vous n’aimez pas le studio ?

Je n’ai pas de temps. Delos, ma maison de disques, me dit toujours : tu peux enregistrer ce que tu veux, quand tu veux… Mais il faut trouver une semaine pour se préparer, ensuite chanter trois heures par jour… On ne peut pas chanter tous les jours, il faut se reposer, sinon la voix est fatiguée. Je ne peux pas trouver deux semaines. C’est dommage. D’ailleurs, certains disques que j’ai faits, on ne les trouve pas… Alors pourquoi enregistrer ?

Comment concilier le travail des répétitions et la spontanéité ?

Non ! On ne peut pas ! On ne peut pas ! (grand rire…) Parce que franchement, franchement… Nous, c’est-à-dire les chanteurs – Je dois peut-être dire « moi  » – je peux répéter tout l’opéra en deux ou trois jours… Vraiment. Je me sens très bien sur la scène, je n’ai pas de problèmes avec les gestes… Je me rappelle tout de suite ce qu’il faut faire : tous les mouvements, où je dois aller… Ici, à Toulon, pour Tancrède, je n’ai pas pu être avec tout le monde, depuis le début, mais ce n’était pas nécessaire. J’ai eu deux répétitions pour moi, pour apprendre ce qui s’était passé pendant une semaine. J’ai su tout de suite ce qu’il fallait… Alors, chaque jour, deux répétitions ! Chaque répétition, trois heures ! Ça m’ennuie beaucoup, vous savez ! Au début, je donne tout ce que je peux. Ensuite, je marche comme ça… (démonstration). Combien de temps peut-on jouer, tourner, chanter… ? Après ça devient : (elle chante et hoquète d’une voix rauque). Je me souviens qu’une fois, en Italie, à la dernière répétition, je marchais comme ça et Luigi Pizzi m’a dit : « Ewa ! Fais quelque chose ! Fais ! » J’ai dit : « J’en ai assez… J’ai déjà « fait  » pendant deux mois… Alors, pourquoi cette répétition ? » Ici, à Toulon, on a eu deux répétitions avant la générale. L’opéra est vraiment lourd, long. Il faudrait avoir un jour libre pour se détendre, pour se reposer. En plus, on a travaillé dans des conditions vraiment épouvantables. Le théâtre était en rénovation, le froid, la poussière, toutes les fenêtres étaient ouvertes, l’air froid sur la gorge… Incroyable, vraiment ! Et je suis tombée malade. À la répétition générale. J’étais sur la scène, mais je chantais une octave plus bas… J’ai commencé à avoir mal à la gorge, puis c’est descendu, descendu… J’avais vraiment peur ! Il arrive un moment où il faut chanter à pleine voix, il faut la chauffer, mettre tout dans le corps, dans les cordes vocales… C’est absolument nécessaire… Je suis allée chez le médecin. Il m’a donné de la cortisone. J’ai dit : non, je ne veux pas prendre de cortisone… J’avais la gorge vraiment brûlée et tout le monde me demandait : qu’est-ce qu’on fait, qu’est-ce qu’on fait, madame ? Vous allez chanter ? Et, je disais : je pense que oui… Parce que nous, les chanteurs, nous sommes des gens vraiment très forts. Je peux compter sur les doigts d’une main le nombre de fois où j’ai vraiment été dans des conditions splendides – et tous les chanteurs disent la même chose. Pendant 30 ans de carrière, j’ai été cinq fois en pleine forme (rire). On chante fatigué, malade, enrhumé, … Il faut s’en sortir, il faut sauver le spectacle.

Parmi vos nombreux rôles, les guerriers amoureux : Tancrède, Renaud, Jules Cesar, les séductrices : Carmen, Rosina, Isabella…et les personnages comiques comme la marquise de Birkenfeld de La fille du régiment … Finalement, qu’avez-vous préféré interpréter ?

Dans La fille du régiment, ce personnage… C’est comme une « joke ». Ce n’est rien à chanter… C’est seulement un peu amusant à jouer.

Et maintenant, si on vous demandait de choisir quelques rôles ?

J’adore Azucena que je viens de chanter pour la première fois à Milwaukee. Bien sûr Rossini : Semiramide, Tancrède… Ça, c’est mon répertoire. Mais je préfère les rôles tragiques… Pas les « ta … ra ta ta » Non : la tragédie ! Quand il se passe quelque chose d’important, de dramatique. Je préfère quand il faut faire du théâtre, vraiment. J’aime beaucoup Ulrica du Bal masqué. C’est une seule scène, mais importante. J’aime beaucoup la chanter… De toutes façons, j’aime chanter ce que je chante au moment où je le chante, même si au début je n’aimais pas…

Il y aussi le répertoire plus moderne ?

Je n’aime pas tellement la musique contemporaine. Se traîner par terre et faire : â, ô, â, û … C’est bon pour les jeunes chanteurs qui veulent se faire connaître.

Vous n’avez pas chanté un opéra de Penderecki ?

Non, il m’a demandé mille fois. J’ai toujours refusé.

Si vous n’aviez pas été cantatrice, à part la danse quand vous étiez petite, auriez-vous aimé faire autre chose ?

J’aurais voulu être vétérinaire (rires) ou bien travailler dans un zoo avec les animaux ! J’aime beaucoup les animaux. J’ai deux chiens comme ça (mains à hauteur des oreilles). J’ai des canaris. Ils chantent avec moi ! Un jour, j’ai acheté un canari. Et puis une fois à la maison, j’ai vu qu’il ne chantait pas. J’ai attendu deux jours, trois jours, quatre jours … Il faisait seulement : piou, pi, piou… Alors, j’ai pris le canari avec moi, je suis retournée au magasin et j’ai dit : « Monsieur, ce canari ne chante pas ! » – Comment il ne chante pas ? Il chante ! Il n’y avait pas grand monde dans le magasin, alors j’ai dit : « Ecoutez, Monsieur, je vais vous montrer comment un canari doit chanter ! (Imitation parfaite d’un canari chanteur, en grande forme). » Tout le monde a ri ! Et le marchand a changé le canari. Depuis, on s’aime beaucoup… Je lui ai échangé plusieurs canaris qui ne chantaient pas bien. Une fois, il m’a dit : « Madame, pour vous, j’ai un canari vraiment spécial. Il chante comme vous ! » (Rire communicatif, à gorge déployée)

Vous chantez en italien, en russe, en allemand … Avec quelles langues avez-vous des difficultés ?

Avec le français … C’est horrible… Tous ces « é, è, eu, in, on, an, u… » Peut-être est-ce pour cela qu’il y a peu de bons chanteurs français…

Régine Crespin ?

Oui, je sais, oui… Mais l’italien est vraiment la langue faite pour chanter ! Le russe aussi est très commode.

Vous aimez la langue russe ?

Oh oui ! Je chante Tchaikovsky, Rachmaninov, Moussorgsky… J’ai toujours beaucoup aimé la langue russe. Je parlais très bien. Maintenant j’ai oublié parce que je ne l’utilise pas…

Vous allez bientôt chanter Orphée de Gluck à Carnegie Hall. Quelle version allez-vous interpréter ? L’ italienne ou la version Berlioz en français ?

Celle en français. Elle est pour moi plus commode. Je l’ai dans la tête. De toutes façons, je préfère la version Berlioz. Le théâtre, le drame est plus fort.

Ressentez-vous une différence d’écoute quand le public comprend la langue dans laquelle vous chantez ?

Je chante beaucoup aux États-unis où le public ne comprend aucune langue étrangère.

Si on vous transportait sur un tapis magique… Pourriez- vous dire dans quel pays vous êtes ?

Où ? Je ne pense pas. Dans un même pays, il y a de grandes différences entre les villes. À New York, le public est fantastique. Il comprend chaque geste, chaque intention. Il a déjà entendu les meilleurs chanteurs, les meilleurs musiciens du monde. Mais il y a des endroits où le public ne comprend rien parce qu’il ne connaît rien. Pour, lui c’est difficile. Il n’est pas préparé. Ce sont les détails, les nuances qu’il faut pouvoir comprendre. À Paris aussi, le public est fantastique.

Vous avez pris la nationalité américaine ? J’ai lu ça dans un dictionnaire publié en France…

Non ! C’est faux ! On a aussi écrit dans le programme, ici à Toulon, que j’avais créé Phaedra de Penderecki, une oeuvre qu’il n’a finalement jamais composée faute de temps ! Je travaille aux États-unis. C’est tout. Les Américains sont très efficaces, bien organisés. Les contrats sont bien préparés. Ils sont très professionnels. On ne perd pas de temps. Tout est « a punto ». Chez eux, si on a besoin d’Ewa Podles à 1h35, je commence à 1h35… Une fois, en Italie, avec Pizzi, j’ai attendu six heures avant qu’il me dise : « Ewa, excusez-moi. Je n’ai pas besoin de vous. »

Vous avez aimé chanter avec Alberto Zedda ?

Oui. C’est une personne unique. J’ai aussi travaillé avec lui au piano. Il sait beaucoup de choses, vraiment. Même aux chanteurs italiens, il dit toujours : vous ne savez pas chanter en italien ! Et il leur explique comment dire les mots, comment construire la phrase… Il a quelque chose de rare. Il sait comment diriger. Par exemple Semiramide, qui dure quatre heures et demie, et bien avec lui, ce n’est pas long !

Il y a eu une reprise de Tancredi cet été à Pesaro, dirigée par un autre chef. Kasarova avait annulé…

Oui, je sais, Zedda m’avait appelée : « Ewa… Viens, sauve-nous ! » Mais j’avais un récital en Espagne.

En Europe, vous vous entendez bien avec les Espagnols… Ils sont très directs, comme vous, n’est-ce pas ? Vous connaissez Caballé ?

J’ai chanté avec elle. Pour moi, ce n’est pas un bon souvenir. On a fait un Jules César ensemble. J’étais Cornélia. Elle était Cléopâtre. Elle est venue au dernier moment. C’était bizarre.

Une dernière question un peu indiscrète. À quoi pensez-vous, à la fin, au moment des applaudissements ?

Très heureuse que ce soit fini ! (Grand rire) Que tout se soit bien passé … Surtout, que le public soit heureux ! Pour moi, c’est très important. Après deux ou trois minutes, je sais devant qui je chante. Si c’est du temps perdu pour moi ou non. Je sens l’atmosphère, le silence… Les silences sont différents si on écoute ou si c’est quelque chose comme ça (Raclements de gorge et toux). Quand le public écoute vraiment, le silence est incroyable. Autrement, il tousse tout le temps. Quand pendant un air ou une mélodie, j’ai le contact avec le public, je donne encore plus ! Tout de suite, je m’ouvre… Je peux voler… Je peux donner tout mon coeur !

* Stanislas Moniuszko (1819-1872) – Son opéra Halka est considéré comme le plus grand opéra polonais.

 

 

 

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