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Festival musical de Dresde : le réveil de la Belle au bois dormant

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Actualité
14 juin 2010

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(à partir d’un entretien avec Jan Vogler le 5 juin 2010)

 

Décrété « festival de renommée internationale » par le régime communiste en 1978, le Dresdner musikfestspiele jouait les belles endormies depuis la réunification des deux Allemagnes. L’arrivée de Jan Vogler à sa direction vient le tirer de son sommeil. Mieux qu’un prince charmant dont il possède la blondeur angélique, l’homme est un visionnaire qui s’est fixé pour objectif de faire de son festival la première manifestation musicale outre-Rhin. Déjà, un récital de Cecilia Bartoli en inaugurait l’édition 2010, placée sous le signe de la Russie. Histoire d’un conte de fée.

 

Il était une fois un festival qui avait accueilli en ses murs Marylin Horne, René Kollo, Barbara Hendriks, Dietrisch Fischer-Dieskau, Herbert von Karajan à la tête du Berlin Philharmonic, Claudio Abbado et les forces de La Scala, Zubin Mehta accompagné du New York Philharmonic Orchestra et bien d’autres. Un festival qui avait présenté plus de cent premières mondiales dont Der zerbrochene Krug de Viktor Ullmann (1898-1944), Farinelli de Siegfried Matthus (1934) ou Marysas de Steffen Schleiermacher (1960), pour ne citer que les opéras. Un festival qui avait contribué à la redécouverte de quelques trésors oubliés du répertoire comme la version en langue allemande de Cora och Alonzo de Gottlieb Naumann (1741-1801) ou La mort d’Abel, un oratorio de Franz Seydelmann (1748-1806). Un Festival qui, depuis 1978, année de sa création, perpétuait les fastes d’une ville – Dresde – dont les musiciens s’appellent Weber, Wagner, Strauss et qui peut s’enorgueillir d’une des plus anciennes et des plus prestigieuses formations du monde : l’orchestre de la Staatskapelle, fondé en 1548. Envisagé comme symbole du dynamisme culturel d’un régime communisme qui avait bien besoin d’en donner la preuve, ce festival avait vu dans les années 1990 sa renommée décroître.

Avec la réunification des deux Allemagnes, en effet, l’heure n’était plus est à la célébration mais à la reconstruction. Conscient de l’enjeu culturel exceptionnel d’une ville anéantie en 1945 par les bombardements mais dont le surnom avant la guerre était La Perle de l’Elbe, le nouveau gouvernement intensifiait alors les chantiers. Déjà, depuis 1956, le Zwinger, le palais des rois de Saxe, qui abrite la Galerie des maîtres anciens, l’un des plus beaux musées du monde, se mirait de nouveau dans les eaux de ses bassins rocaille. Déjà, le 13 mars 1985, une représentation en grande pompe du Freischütz consacrait la résurrection du Semperoper, le seul opéra en Allemagne qui, comme le Palais Garnier, doit son nom à son architecte, Gottfried Semper. Après la chute du Mur, c’est l’ensemble du cœur historique de la vieille ville qui reprit forme, le symbole le plus éclatant de cette renaissance restant la Frauenkirche, chef-d’œuvre d’architecture qui est à Dresde ce que Notre-Dame est à Paris. Elle fut terminée d’être reconstruite à l’identique en un temps record le 5 août 2004, pour un budget qui représentait le quart de ce qu’a coûté l’Opéra Bastille.

 

En 2007, à peine les travaux achevés ou presque, à peine la Terrasse de Brühl, incroyable perspective baroque le long des rives de l’Elbe, redevenue balcon de l’Europe, la municipalité pouvait envisager d’autres chantiers, non plus architecturels mais cette fois culturels. C’est alors que Jan Vogler entre en scène. 

 

Né au milieu des années 60 dans une famille de musiciens du mauvais côté de Berlin, Jan Vogler commence d’étudier le violoncelle à l’âge de 6 ans. Déjà l’enfant porte en lui, épanouies, les fleurs de l’homme : talentueux, travailleur, ambitieux. Trois qualités qui le consacrent à 20 ans premier violoncelliste de l’orchestre de la Staatskapelle, le poste le plus haut auquel il pouvait prétendre en tant qu’instrumentiste dans une Allemagne communiste. Une consécration qu’il remet vite en cause. Il a trop d’appétit et d’énergie pour accepter de rester assis au même pupitre pendant les 45 années qui le séparent de la retraite.
En attendant, il met à profit la décade qu’il passe à ce poste, s’imprègne du répertoire lyrique et symphonique, fonde avec son frère et un ami le festival de musique de chambre de Moritzburg qui, en quelques années, devient en Allemagne le premier de sa catégorie. Puis, en 1996, il rompt les amarres, s’exile à New York pour entamer une carrière soliste. Travail, talent, ambition : aux Etats-Unis, la formule magique, à laquelle modestement il ajoute un quatrième ingrédient, la chance, continue de faire ses preuves. Les plus grands chefs à la tête des plus grands orchestres le sollicitent. Sa carrière est lancée. Elle s’épanouit dans les plus grandes salles, couronnée par un contrat chez Sony Classical qui lui vaut aussi une reconnaissance discographique (une compilation de pièces transcrites pour violoncelle – My Tunes 2 – est annoncée pour juin 2010).
Retour à Dresde où en 2007, la municipalité cherche l’homme capable de ranimer son festival en perte de vitesse, devenu « médiocre » selon le mot même de Jan Vogler qui s’impose très vite comme l’homme de la situation : allemand, enfant du pays ou presque, artiste d’envergure internationale, fondateur glorieux de son propre festival, Moritzburg, « son premier bébé ». Sa réaction est d’abord de refuser la proposition. Ses amis le convainquent du contraire.

Il se jette alors à corps perdu dans l’entreprise, restructure l’organisation, recrute les sponsors et, comme tout bon directeur de notre époque, soigne particulièrement la communication, faisant valoir le premier atout du festival : Dresde elle-même, une ville de taille humaine (500.000 habitants) au cœur de l’Europe, entre Est et Ouest, historique, culturelle, touristique (2 millions de visiteurs l’arpentent chaque année) avec une bonne capacité hôtelière et de nombreuses salles de différentes tailles pour organiser différents concerts – théâtres, églises, palais, etc. Une ville, détruite et reconstruite, qui véhicule aussi un message de paix, de renaissance. Jan Vogler y tient. Son humanisme l’a conduit d’ailleurs à inviter cette année Royston Maldoom le plus célèbre chorégraphe du Community Dance, un projet qui part du principe que tout le monde peut danser. La représentation de L’oiseau de feu avec sur scène une centaine d’enfants de toutes origines, certains même aveugles, a été un des moments forts de l’édition 2010.

 

On touche là aux valeurs sur lesquelles Jan Vogler veut établir son festival : tolérance, ouverture, compréhension mutuelle, le tout véhiculé par la musique, évidemment. Cette ouverture se pratique aussi au moyen de prix qui ne veulent exclure aucun public : « de 145€ à 6€, selon les catégories, pour le VIP comme pour le chômeur », tient à préciser Jan Vogler.
Un autre des principes fondateurs du nouveau Dresdner musikfestspiele est la qualité : proposer dans les meilleures conditions possibles les meilleurs interprètes. Un principe dont on a pu vérifier l’application sur une échelle sonore diamétralement opposée : d’un côté, une Iolanta opulente en version de concert par les forces du Bolchoï dans l’écrin rouge et or du Semperoper1 et de l’autre côté, un récital intimiste de Theatre of Voices sous la coupole pastel de la Frauenkirche2. Quatre voix (soprano, ténor, contre-ténor et basse), quatre instruments (deux violons, un alto et un violoncelle) y mettaient leur âmes à nu dans un programme qui alternait pièces contemporaines (Arvo Pärt exclusivement) et médiévales (Pérotin, Guillaume de Machaud, Guillaume Dufay et d’autres compositeurs anonymes). Un répertoire adapté à l’acoustique du lieu, conforme à sa dimension spirituelle et servi par des spécialistes de la question. Theatre of Voices, fondé en 1990 par Paul Hillier, est reconnu comme l’une des premières formations vocales européennes. Malgré un éclairage un peu trop vif, (on aurait aimé la pénombre ou mieux la lumière de chandelles), on a été plus d’une fois touché par l’extase sonore qui emplissait l’église, comme en apesanteur, suspendu aux fils d’éternité que tissait l’entremêlement des timbres, converti.

Un concert pour initiés ? Pas tant que ça si l’on en croit le taux de remplissage égal à 80%, alors que le festival proposait le même soir Vadim Repim dans un programme alléchant (Debussy, Prokofiev, Beethoven) qui là, bien évidemment affichait complet. 

Un succès qui a été au rendez-vous tous les soirs durant les trois semaines qu’a duré la manifestation (du 19 mai au 6 juin). En deux ans, les chiffres d’audience dépassent toutes les espérances. 93% de billets vendus cette année, contre 90% en 2009, font de cette 33e édition du Festival de Dresde la plus glorieuse de son histoire. D’autant que les recettes de leur côté ont augmenté de 20% et la participation internationale de 10%. A cette cadence, Jan Vogler pense atteindre en 2013 l’objectif qu’il s’est fixé : faire du Dresdner musikfestspiele la première manifestation musicale d’Allemagne. Maintenant tout n’est plus qu’une question de communication et de budget. Avec seulement 2,6 millions d’euros par an, le festival, s’il veut réaliser son ambition, doit continuer de chercher des sponsors et convaincre le gouvernement de mettre davantage la main au porte-monnaie.

Et après ?  Jan Vogler vivra heureux et aura beaucoup d’(autres) enfants, ainsi que l’exigerait la morale d’un tel conte de fée ? Vraisemblablement pas, l’homme n’est pas du genre à s’endormir sur ses lauriers. Il confie vouloir retourner à son premier amour, le violoncelle, qu’il n’a d’ailleurs jamais abandonné. Tout en supervisant le festival, il continue de s’entraîner chaque jour. Ambitieux, talentueux, travailleur mais artiste avant tout. 

 

1 Lire le compte-rendu de la représentation

2 Theatre of Voices & Hillier : Elsa Torp (soprano), William Purefoy (contre-ténor), Chris Watson (ténor), Paul Hillier (basse) – NYYD Quartett : Harry Traksmann (violon), Juta Ounapuu (violon), Torsten Tiebout (alto), Leho Karin (violoncelle) – Paul Hillier (Directeur artistique – Werke von Arvo Pärt sowie von Hermannus Contractus, Guillaume Dufay, Guillaume de Machaut, Pérotin u.a. – Dresde, Frauenkirche, vendredi 4 juin, 20h.

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