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La chute de Lydia Tár

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26 janvier 2023

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Cate Blanchett incarne une cheffe d’orchestre géniale et toxique dans « Tár », le dernier film de Todd Field. Les bookmakers la placent en tête de la course à l’Oscar du meilleur rôle. Son personnage, lui, est au centre d’une grande polémique.


Lydia Tár est cheffe d’orchestre. Elle est la directrice musicale d’un ensemble berlinois (qui n’est pas nommé mais dont on devine qu’il s’agit du fameux Philharmonique). Elle enseigne à la Julliard School de New York, travaille à la publication de son autobiographie et s’apprête a enregistrer la Cinquième Symphonie de Mahler (celle de Mort à Venise !) qui complètera le coffret édité par une prestigieuse firme de disques. Lydia Tár est à ce point connue que, comme les plus grands chefs d’orchestre, on ne l’appelle plus que par son nom de famille. Elle est devenue une marque. On dit Tár comme on disait jadis Karajan ou Furtwängler et comme on dit aujourd’hui Dudamel ou Currentzis.

Lydia Tár est au centre du dispositif du star system classique, avec ses interviews, ses classes de maître, ses shootings photo, le ballet des assistants, gonflé par les enjeux de courtisanerie. Parallèlement, elle semble vivre une existence épanouie avec sa première violon (incarnée par Nina Hoss) et la fille de celle-ci. En creux, néanmoins, se dessine sa part d’ombre : l’arbitraire, des choix musicaux qui semblent dictés par ses appétences propres, une relation ibsénienne avec son assistante et le spectre d’une ancienne élève dont on croit deviner, à mesure que la trame se développe, la nature des tourments (sans compter que tout cela va très mal finir). De minuscules cailloux dans la chaussure, dont l’importance ne cesse de croitre et qui transforment lentement le film en fresque hitchcockienne. On pense aussi à Caché de Michael Haneke pour le poids du non-dit et l’omniprésente tonalité grise anxiogène.
 
Devenir Lydia Tár
 
Pour incarner ce rôle, Cate Blanchett n’y est pas allée de main morte et si elle n’a pas pu travailler, réellement, face à un orchestre, comme elle le souhaitait (pandémie oblige), elle a pris de nombreux cours de direction via la plateforme Zoom. Si bien que l’album de la bande originale du film, paru chez Deutsche Grammophon, la crédite comme cheffe. Les scènes d’interview et celles qui l’opposent à l’orchestre sont d’une troublante réalité. Il fallait en passer par là pour que le personnage prenne forme et que sa descente aux enfers soit à ce point spectaculaire. Dans ce contexte, comment ne pas penser à Blue Jasmine le film de Woody Allen, dans lequel Cate Blanchett incarnait un épigone de Ruth Madoff, l’épouse du magnat déchu, prise déjà en pleine déconfiture sociale et émotionnelle, incarnation qui lui avait valu l’Oscar de la meilleure actrice.

 
Les droits de la fiction
 
La polémique est venue d’une autre cheffe d’orchestre, l’américaine Marin Alsop. L’actuelle directrice musicale de l’orchestre de Sao Paulo et de l’orchestre de la Radio de Vienne, qui a été troublée par certains éléments du film ; des éléments biographiques dans lesquels elle a pu se reconnaître. Le fait, par exemple, qu’elle ait été l’une des disciples de Bernstein ou qu’elle soit mariée à l’une des musiciennes de son orchestre, caractéristiques qu’elle partage avec Tár.

Ayant pris connaissance du film, Alsop a déclaré : « j’ai été offensée : en tant que femme, en tant que cheffe d’orchestre, en tant que lesbienne », soulignant d’une part qu’il existe tant d’exemples documentés de chefs d’orchestre abuseurs et toxiques et d’autre part tellement peu de femmes cheffes d’orchestre que ce film apparaît comme une occasion manquée. Il semble cependant évident que le film n’est pas une charge contre Marin Alsop, vu qu’elle est citée, par Tár, dans une séquence d’interview comme l’une de ses modèles, au même titre que d’autres cheffes (Nathalie Stutzmann ou Laurence Equilbey).

Cate Blanchett, tout en saluant le talent de Marin Alsop, rappelle que le film aurait pu prendre place dans d’autres réalités professionnelles ; que Tár aurait pu, par exemple, être une grande architecte, ou une banquière puissante. Tár n’est pas un un film sur la toxicité d’une femme chef d’orchestre, ne cherche pas à dessiner des figures exemplatives ou édifiantes, mais simplement à raconter les contradictions et les combats intérieurs d’une femme de pouvoir. « D’une femme qui se ment à elle-même », souligne l’actrice. Mark Kermode, le célèbre critique de la BBC rappelait plus tôt cette semaine l’exceptionnelle prestation de Blanchett, invitant à se méfier des faux-semblants : « comme les Dents de la mer n’est pas un film sur un requin, Tár n’est pas un film sur une cheffe d’orchestre. » C’est un film qui décortique les affres d’un personnage de fiction dans un biotope fictionnel qui lui a été attribué par ses créateurs.
 

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