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Le déclin du chant français, mythe ou réalité ?

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Actualité
1 juin 2017
Le déclin du chant français, mythe ou réalité ?

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Le déclin du chant français est un épouvantail agité régulièrement tant par les spécialistes qu’un certain public nostalgique d’un âge d’or où l’on pouvait à l’opéra, sans tendre l’oreille, comprendre le moindre mot du livret.

Souvent invoquées, la suppression des troupes en France et l’usage de chanteurs étrangers pour interpréter nos opéras ne sont pas les seules raisons d’une dégradation unanimement constaté. À ces arguments, il faut ajouter la généralisation des surtitres rendant dispensable l’effort d’articulation et un certain désintérêt pour notre propre théâtre lyrique, en raison notamment de textes écrits dans une langue surannée. Que n’a-t-on moqué la « demeure chaste et pure » de Marguerite dans Faust, les effusions salaces d’Arnold dans Guillaume Tell (« Mathilde, tremblante, viendra sous ma tente, ranimer ma foi ») ou les vers de mirliton de Scribe dans les ouvrages de Meyerbeer ! En italien, en allemand ou en russe au moins, le ridicule des mots ne gâche pas le plaisir des notes.

Des raisons moins attendues

Alexandre Dratwicki, Directeur scientifique du Palazzetto Bru Zane*, avance d’autres causes moins attendues : « Les chefs d’orchestre ont une approche de la musique française par une recherche de teintes particulières : les instruments à vent colorés de telle manière, le vibrato des cordes atténué, des choses comme ça… Je remarque, durant les répétitions dans leurs explications aux interprètes, chœur compris, que la spécificité de ce répertoire n’est jamais la langue, alors que ça devrait d’abord être ça ! ». La faute aux chefs alors ? Pas seulement. Alexandre Dratwicki poursuit : « il y a eu tout un XXe siècle où les chanteurs ont voulu vraiment chercher le volume, la couleur assombrie à la russe, à l’américaine, à l’italienne, et il y a eu une manière d’enseigner le chant où les professeurs privilégiaient ces différents aspects sans travailler vraiment l’articulation ». 

Propos à rapprocher d’un article d’Eugène Ponchard dans Le Ménestrel du 23 mai 1841, intitulé « De la prosodie dans le chant » : « Chez les Italiens, les Allemands, la force, la sonorité, la douceur des mots, des finales, des voyelles dispensent du soin pénible d’une application partagée. Chez eux, à vrai dire, les paroles d’opéra ne sont qu’une toile sur laquelle le maestro étale sans scrupule les couleurs qui lui viennent. […] Dans l’opéra français, au contraire, les paroles sont la pièce ; toutes elles doivent avoir un sens défini conséquent, toutes elles doivent se lier entre elles, de manière à former depuis l’introduction jusqu’au final, un ensemble raisonné, concret et qui puisse à la rigueur, subsister sans musique. » 

Pour ne rien arranger, de mauvaises traditions interprétatives s’en sont mêlées. « Des rubati, des cadences, des portamenti, des ajouts de contre-notes n’ont cessé s’empâter les partitions, surtout entre 1950 et 1980 », explique Alexandre Dratwicki, « la musique française d’essence narrative et théâtrale s’est bien souvent retrouvée paralysée par ces alourdissements, moins gênants chez les Allemands et les Italiens ».

Ajoutons pour ne rien arranger des considérations économiques, l’argent demeurant là comme ailleurs le nerf de la guerre : « Les temps de production, pour des raisons financières, ont été de plus en plus raccourcis, et on a – par nécessité  – été de moins en moins exigeant. Donc on s’est contenté de l’approximatif, et ce niveau approximatif s’est peu à peu aggravé. On dit :  » ça ira bien « , et je vois malheureusement de plus en plus de chefs de chant qui disent aux chanteurs :  » Toi, ça va, tu te débrouilles en français, je ne m’occupe pas de toi « , alors que franchement, on pourrait être beaucoup plus exigeant. Je terminerais en disant que plus personne sur une production ne se sent légitime ou responsable de cet aspect des choses. Le chef de chant est là pour les rythmes, les intonations, les tempi, les coupures, pour dire que Maestro veut ceci, Maestro veut cela, mais il n’est souvent pas identifié par le chanteur comme quelqu’un qui a les pouvoirs de la situation, donc on ne l’écoute pas plus que ça. »

Des raisons plus relatives

Derrière ces raisons objectives interviennent d’autres facteurs plus relatifs qui viennent complexifier la donne mais sur lesquels il est possible d’intervenir. La nature de certaines voix, plus claires ou frontales, facilite la compréhension. Le grave s’avère plus intelligible que l’aigu, phénomène amplifié par la recherche sous l’influence de Wagner et des Verdi tardifs d’une recherche accrue de dramatisme. Pour plus d’héroïsme les distributions auraient, d’après Alexandre Dratwicki, souvent tendance à privilégier des chanteurs trop lourds pour leur rôle : « Je crois qu’une voix qu’on ne comprend pas dans l’aigu, c’est une voix qui se retrouve dans une tessiture légèrement trop tendue pour elle. Encore maintenant, des sopranos 2 se voient promues sopranos 1, on passe des mezzos en sopranos 2, pour avoir des choses qui soient très héroïques, pour surmonter des orchestres qui vont jouer de plus en plus fort. C’est tout simplement une question de casting : quelqu’un qu’on ne comprend pas dans l’aigu, c’est un chanteur qui n’est pas dans une zone naturelle de sa voix ». 

Le tempo également peut influer sur la compréhension du chanteur : « En France, on ne répète pas les mots comme en Italien mais on reprend plutôt des grandes portions de phrases, voire des phrases entières. Les compositeurs ont toujours pris soin de prévoir des longueurs et des structures de mélodies qui permettaient de respirer au bon endroit d’un point de vue littéraire. Or si l’on joue la musique française trop lentement, on perd souvent cette aisance et ce naturel, et on doit placer des respirations mal à propos. Concrètement il faut donc opter pour des tempi rapides et une battue de mesure – ou une pensée musicale – la moins décomposée possible. Je pense que c’est bien au chanteur d’abord d’avoir la première démarche d’articulation, mais que l’articulation peut être vraiment facilitée par la vitesse d’élocution, qui dépend du chef. Cela dit, les chanteurs qui ont leur caractère, ceux qui savent montrer ce qu’ils veulent obtenir, peuvent persuader un chef d’aller plus vite, non pour des raisons de voix mais pour des raisons de texte. Il est évident que si le chef n’a pas spécialement envie qu’on comprenne le texte parce qu’il n’y est pas sensible, il ne donnera pas aux chanteurs les moyens de le faire. »

Auguste Laget, dans son traité de prononciation publié en 1883 mettait également en jeu la place de l’auditeur dans la salle, illustrant cet argument en prenant pour exemple le fameux ténor Gilbert Duprez dont la « manière d’articuler paraissait admirable lorsqu’on était placé au fond du parterre » mais « réellement défectueuse lorsqu’on était assis aux stalles de l’orchestre ». Alexandre Dratwicki va plus loin : « l’acoustique des salles change énormément de choses. Par exemple, la grande salle de l’Arsenal de Metz est réputée pour avoir une très bonne acoustique pour la musique symphonique, mais quand on y fait de l’opéra en version de concert… Je me souviens des Danaïdes de Salieri, avec Judith Van Wanroij, entre Versailles qui est très sec, et l’Arsenal, qui est réverbérant, le même chanteur avec la même qualité d’articulation ne va pas du tout être compris de la même manière, qu’on soit au premier ou au dernier rang. A quoi s’ajoute encore la question de la place de l’auditeur dans la salle. Après, c’est un idéal à trouver. ».

Des raisons d’espérer

Cette dernière allégation laisse filtrer un rayon d’espoir à travers une porte que l’on trouvait jusqu’à présent lourde à entrouvrir. Des chanteurs comme Véronique Gens, ou Roberto Alagna, même si son grasseyement prête à discussion, montrent qu’il est encore aujourd’hui possible de chanter Français. Sans vouloir personnaliser le débat, Alexandre Dratwicki confirme : « Mathias Vidal est pour moi quelqu’un que l’on comprend partout, dans toutes les acoustiques, dans tous les types de répertoire, et il roule énormément les R. Je dirais plutôt qu’il y a généralement une toute nouvelle génération qui – on le voit bien en audition, c’est intéressant, avec des jeunes de 20 ans, et même tout récemment, quand j’ai entendu Lea Desandre il y a quelques mois, et quand on voit Julien Behr, Julie Fuchs, Sabine Devieilhe, Cyrille Dubois, Stanislas de Barbeyrac, Florian Sempey, tous ces artistes… Je ne suis pas certain que des professeurs leur aient tapé sur le crâne pour avoir un français d’un niveau aussi excellent. Pourtant, je trouve que tous chantent un français qui s’approche d’une forme de perfection. Je crois vraiment qu’il y a une nouvelle génération qui ne cherche plus le volume, qui ne travaille plus à l’italienne ou à l’américaine. Un des secrets n’est pas tant réfléchir à comment bien articuler le français, mais se dire : « je travaille une voix naturelle et je n’essaye pas de forcer, de grossir, d’assombrir et de trafiquer ».  Je pense que le premier problème de la non compréhension des langues, et du français en particulier, c’est de ne pas chanter en voix naturelle. »

* Depuis 2009, le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française a pour vocation de favoriser la redécouverte du patrimoine musical français du grand XIXe siècle (1780-1920), en lui assurant le rayonnement qu’il mérite et qui lui fait encore défaut. La 5e édition de son festival parisien aura lieu du 7 au 19 juin 2017. Une table ronde sur la prononciation du chant français, animée par Alexandre Dratwicki, est organisée le vendredi 16 juin à 19h au Théâtre des Bouffes du Nord (entrée libre). Plus d’informations sur parisfestival.bru-zane.com
 

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