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Oscar Strasnoy : « il ne faut pas oublier que le succès d’un opéra repose sur un très bon livret »

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Interview
12 novembre 2012

Infos sur l’œuvre

Détails

Né en 1970 à Buenos-Aires, le compositeur franco-argentin Oscar Strasnoy a déjà composé une douzaine d’œuvres scéniques, dont Cachafaz donné à l’Opéra-Comique en 2011, et Le Bal, joué en ouverture du festival Présences 2012. Son nouvel opéra, Slutchaï, sera prochainement créé au Grand Théâtre de Bordeaux. Premier bilan sur cette carrière placée sous le signe de l’art lyrique.

Vous considérez-vous comme un compositeur d’opéras, et avez-vous des modèles dans ce domaine ?

Oui, à force ! Je fais de temps en temps d’autres choses, mais c’est ce qui m’amuse le plus, travailler sur des livrets, avec des chanteurs sur scène… Ce travail en groupe me paraît plus inspirant que de composer de la musique de chambre par exemple. Cela m’arrive aussi, et l’on pourrait dire que les deux sont complémentaires ; il existe forcément des liens entre mes opéras et ma musique orchestrale (un disque de pièces d’orchestre sortira d’ailleurs en début d’année prochaine) ; la musique instrumentale est une sorte de laboratoire pour ce que je fais après dans les pièces scéniques.

Il y a des compositeurs du passé que j’admire beaucoup, et surtout certaines œuvres, même si tout ce qu’ils ont écrit n’est pas également réussi. En fait j’ai un penchant particulier pour Rossini, en qui je vois le compositeur de théâtre par définition. Sa musique contient tout, rien que les ouvertures sont des pièces de théâtre : prenez n’importe laquelle, et vous avez l’opéra entier, concentré en cinq minutes de musique. J’aime aussi énormément Richard Strauss. Salomé, Elektra, le Chevalier à la Rose et La Femme sans ombre sont des opéras immenses, parce que dans chaque geste musical, il y a toute la dramaturgie, en dehors du texte qui est aussi immense mais peut-être un peu démodé aujourd’hui car trop pompeux. Et pourtant, ce traitement musical d’un texte est un exemple inspirant pour un compositeur.  Là encore, dans les trente premières secondes d’Elektra, on trouve tout le drame en cinq accords. C’est magnifique de pouvoir concentrer ainsi toute l’ambiance d’un opéra. Rossini et Strauss sont les deux compositeurs d’opéra que j’admire le plus, car il y a chez eux ce timing théâtral parfait, dans la façon dont ils construisent musicalement la dramaturgie. A part ces deux grands noms, il y a Mozart évidemment, surtout pour ses opéras italiens, qui sont parfaits. Au XXe siècle, j’ai beaucoup d’admiration pour The Rake’s Progress, un opéra d’une grande modernité ; les clins d’œil à un style musical un peu caduque font d’ailleurs partie de sa modernité. Stravinsky est un immense compositeur, le texte de W.H. Auden est peut-être le plus grand livret d’opéra qui soit, et il ne faut pas oublier que le succès d’un opéra repose sur un très bon livret. Le  côté un peu désolant du théâtre musical contemporain vient souvent du texte. Sur un livret extrêmement pauvre, la musique a beau être jolie, ça ne tient pas. Enfin, tout dépend de ce qu’on cherche quand on va au spectacle ! Je pense que l’absence de culture théâtrale chez les compositeurs qui s’aventurent dans un projet d’opéra est difficile à assumer quand l’œuvre est présentée sur scène. Dernièrement, j’ai vu plusieurs fois à Berlin l’opéra de Lachenmann, La Petite Fille aux allumettes, que j’avais vu il y a douze ans à Stuttgart : musicalement, il y a des moments formidables, car c’est un très grand compositeur, mais en matière de dramaturgie et de traitement du texte, je reste sur ma faim. A Berlin, il y avait un essai de mise en scène autour d’un texte qui n’existe pas, ce qui rendait les choses encore plus triste, cela aurait aussi bien pu se passer dans le noir.

Il y a aussi des opéras qui n’ont rien à voir avec mon univers, mais que j’ai étudiés en Allemagne : Pelléas et Mélisande, Siegfried, ou Le Château de Barbe-bleue. Ce n’est pas du tout mon univers, mais ces oeuvres m’ont beaucoup aidé dans mon travail. Parmi les contemporains, je citerais Le Grand Macabre de Ligeti, Les Soldats de Zimmermann, certains opéras d’Eötvös, de Dusapin, Aperghis, Sciarrino ou Reinhard Goebels. Luciano Berio a joué un rôle au début de ma carrière (il m’attribué en 2000 le Premio Orpheo pour mon opéra Midea) : j’aime beaucoup sa musique, mais je ne suis pas fan de ses opéras. Il a été victime de son temps, où tout devait être compliqué, ces œuvres-là  vieillissent très vite, alors c’est surtout dans ses pièces non opératiques que l’on voit le vrai compositeur de drame musical. Des pièces comme Laborintus ou Sinfonia, ou même des pièces purement instrumentales, sans prétentions dramatiques, s’avèrent aussi théâtrales ou même davantage, sans utiliser de texte, sans être mises en scène.

Etes-vous toujours satisfait de la manière dont vos opéras sont portés à la scène ?

J’essaye de rester toujours en marge, je ne m’en mêle pas trop. Quand je parle de travailler en équipe, je veux dire que chacun se concentre sur ce qu’il sait faire. Je ne suis pas metteur en scène, je ne prétends pas l’être, et je suis très content de laisser cela à des gens qui sont de vrais spécialistes. Je suis assez bon public, et il est très rare que j’ai des clashes avec des metteurs en scène. En général, je choisis les gens avec qui je travaille, mais même quand je ne connais pas le metteur en scène, il m’arrive d’avoir de très bonnes surprises. Ç’a été le cas avec la deuxième production de Geschichte (d’après Histoire de Gombrowicz), un tout petit opéra a capella pour six chanteurs. Elle était interprétée par les Neuevocalsolisten. Je ne suis arrivé qu’à la générale, je n’ai pas du tout participé aux répétitions, et j’ai découvert une des plus grandes mises en scène que j’aie pu voir d’une des mes pièces. Je ne connaissais pas Titus Selge, son travail est absolument génial, complètement différent de la première production, qui était très bien, et à l’élaboration de laquelle j’avais participé dès le début. Ce spectacle a tourné, on l’a vu à Stuttgart, Berlin, Madrid, Varsovie, et même Buenos Aires.

 

 

Entre les créations et les reprises, vous avez une actualité chargée ?

En effet, Le Bal, donné l’an dernier en ouverture du festival Présences, va connaître une nouvelle mis en scène à Munich, je dois dire que c’est une belle surprise. Cachafaz, créé en novembre 2010 à Quimper et en décembre à l’Opéra-Comique, va également être joué à Buenos Aires dans une nouvelle production, tandis qu’à Malakoff et Amiens, le spectacle de Benjamin Lazar sera redonné tel quel, avec de menus ajustements liés à la taille des différentes scènes, mais avec les mêmes chanteurs. C’est une vraie chance car obtenir qu’une création soit reprise n’est vraiment pas la chose la plus facile du monde. Et parfois il y a un risque de saturation, que les gens disent : « mais vous, on vous joue beaucoup ! ».

A Nogent-sur-Marne, dans le cadre du Festival d’Île de France, vient d’être créé Odyssée, une sorte de cantate ou d’oratorio. C’était un projet très particulier, puisqu’une partie de l’œuvre a un caractère pédagogique : comme y participent des chœurs amateurs, j’ai dû adapter mon écriture car toute la difficulté réside dans la confrontation de professionnels (MusicaTreize) avec des non-professionnels de différents niveaux (des débutants jusqu’aux quasi-professionnels). On trouvera peut-être le résultat hétérogène, mais il y a une dimension fédératrice, qui rassemble toutes sortes de gens qui s’intéressent à la musique, et j’aime ça. Il s’agit d’un projet conçu pour Marseille 2013, sur une idée de Roland Hayrabedian. Le texte a été écrit par Alberto Manguel, un ami écrivain – à qui je dois le livret de mon opéra de chambre Un retour, créé au festival d’Aix en 2010. C’est un très grand connaisseur d’Homère, à qui il a consacré un livre, L’Iliade et l’Odyssée, paru en 2008 ; dans  Odyssée, le personnage d’Ulysse est simplement évoqué, il n’est pas là. Il doit son existence à la description de tous les gens qu’il a rencontrés, tous ces chœurs ou solistes qui parlent ou chantent.

Et bientôt, il y aura à Bordeaux l’opéra Slutchaï, en russe, sur des textes de Daniil Harms (1905-1942),  écrivain futuriste, proto-surréaliste, que je connais depuis une douzaine d’années, mais sur qui je ne pensais pas travailler. Mais en discutant avec Christine Dormoy qui cherchait une idée pour un opéra, je lui ai parlé de cet auteur qu’elle ne connaissait pas, elle a été très enthousiasmée par cette écriture un peu absurde, représentative d’une certaine littérature de l’est. Gombrowicz, dont j’ai mis un texte en musique, est plus structuré, alors que chez Harms il n’y a que des textes très courts, des miniatures, mais c’est le même monde absurde et tragique (Harms a lui-même eu une vie très courte, liée aux événements violents survenus en Russie). Cet opéra présente une succession de scènes qui ont en commun des lieux, un appartement communautaire soviétique, mais aussi des scènes en extérieur. Christine Dormoy a fait le montage, en cherchant un lien entre tous ces personnages, mais sans en faire une suite narrative. Par-delà la fragmentation, chaque scène est elle-même construite autour d’une histoire. Nous avons gardé le russe parce que l’écriture de Harms est très précise, très liée à cette langue. Mes quatre grands-parents étaient russes, mais ce n’est pas une langue que je pratique, c’est juste une langue d’enfance. La prosodie russe ne ressemble à aucune autre, et en cela cet opéra diffère de ce que j’ai fait jusqu’ici, mais en même temps je me retrouve dans cette pièce, certaines choses reviennent régulièrement dans mes œuvres. Sur les six chanteurs, il y en a quatre avec qui j’ai déjà travaillé, que j’ai choisis avec Christine, pas seulement pour leurs capacités vocales, mais aussi pour leur disposition physique, parce qu’il s’agit vraiment d’une œuvre de théâtre musical. Nous avons d’abord fait quelques lectures des différentes parties avec les chanteurs, une pianiste russe les prépare et les aide pour la prononciation, et ces lectures m’ont permis de corriger des choses, c’est très pratique pour moi. Les véritables répétitions ont commencé le 22 octobre.

Quels sont vos projets ?

Je vais bientôt m’attaquer à un opéra d’après Requiem pour une nonne pour Buenos Aires. J’ai lu le roman de Faulkner il y a des années, il m’avait plu, et il m’a paru bien adapté à un projet d’opéra. J’ai demandé à Matthew Jocelyn d’en tirer un livret, c’est avec lui que j’avais travaillé sur Le Bal pour Hambourg. Je n’ai pas du tout commencé à composer, mais le livret est quasiment fini. La création aura lieu au Teatro Colon vers le milieu de l’année 2014, et nous cherchons déjà des théâtres qui s’intéresseraient à la pièce. Comme le texte est en anglais, cela pourrait tenter des maisons d’opéra aux Etats-Unis.

Il y a un autre projet en cours, d’après Le Testament d’Olympe, de Chantal Thomas. Nous en avons discuté, mais comme le projet émane au départ de l’Opéra de Montpellier, il est gelé pour l’instant à cause de la situation un peu difficile là-bas. Le projet me plaît parce que c’est une romancière que j’aime beaucoup, mais j’aurais préféré travailler à nouveau avec Matthew Jocelyn ; en fait il y aura peut-être un co-signature, il fera la dramaturgie, le schéma théâtral, et Chantal Thomas fera les paroles. Ce n’est pas tout à fait décidé pour l’instant.

Je pars en général de textes avec lesquels j’ai une affinité assez forte, je travaille avec des écrivains qui me connaissent, j’aime qu’il y ait une continuité dans le travail. Il y a  quelques mois, un écrivain allemand assez connu m’a écrit pour me proposer une histoire originale, spécialement pour un opéra. Je ne peux pas vous en dire plus, mais ça pourrait bien aboutir…

Slutchaï, en création mondiale à l’Opéra de Bordeaux, les 26, 27, 28 et 29 novembre à 20h. Renseignements sur http://www.opera-bordeaux.com/detail-spectacle/opera-1/slutchai-591.html

Propos recueillis par Laurent Bury le 6 octobre

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