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Regards croisés sur l’enseignement du chant en France

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Actualité
19 juillet 2018
Regards croisés sur l’enseignement du chant en France

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Jean-Pierre Blivet, chanteur et pédagogue, et Carlo Ciabrini, directeur artistique de Malibran-Music, donnent leurs points de vue sur l’enseignement du chant en France.

Jean-Pierre Blivet, chanteur et pédagogue, a formé de grands artistes lyriques tels que Natalie Dessay, Laurent Naouri, Isabelle Kabatu, Sérénade Uyar ainsi qu’un grand nombre d’autres solistes ou choristes de la scène internationale. Il est l’auteur de Quand l’oreille voit tout, un livre publié en juin dernier par les Editions Papiers Musique où il partage la richesse de son enseignement et les secrets de son expérience. Un DVD destiné à illustrer par l’exemple son enseignement accompagne l’ouvrage.

Ténor originaire de Corse, Carlo Ciabrini a été l’élève de la grande soprano française Renée et de Umberto Valdarnini, tout en recueillant aussi les conseils des ténors légendaires Carlo Bergonzi et Giacomo Lauri-Volpi, le premier lors d’une masterclass sur les rôles du Duc de Mantoue (Rigoletto) et d’Edgardo (Lucia di Lammermoor). Fort de cet enseignement et de son expérience, il lui arrive depuis plusieurs années de donner des cours de chant à titre amical et privé. Passionné également par l’histoire de l’art vocal, il a repris avec son épouse, après la disparition de Guy Dumazert – producteur, connaisseur averti du beau chant et mari de Renée Doria –, les rênes et les destinées de la maison de disques Malibran Music.


Selon vous, quel est l’état de l’enseignement du chant en France ?

Jean-Pierre Blivet (JPB) : L’enseignement du chant est hélas au diapason de l’enseignement général (mauvais usage de la langue française par exemple).

Ce nivellement par le bas ressenti dans presque tous les domaines, n’épargne pas l’enseignement du chant. Mais pour autant, il n’est pas le plus mauvais non plus, hélas. Pour avoir enseigné un peu en Suisse, en Allemagne, au Japon et beaucoup en Autriche (Vienne, Salzbuorg) davantage encore en Italie, dans quatre grandes académies internationales, je puis dire que de grands problèmes se posent aussi dans toute l’Europe et bien au-delà. Mais en France l’adoption de la cooptation par les professeurs en place, ne laisse aucune chance aux tentatives d’amélioration en matière de technique vocale. La recherche de la facilité, voix canalisée, nasale ou en appui sur la gorge, se répand de plus en plus au détriment d’une technique approfondie (bascule crico-thyroïdienne pour l’obtention d’une quinte aigue aisée, sans coup de glotte de surcroit, grâce à l’emploi du « palpitare » et d’une homogénéité sur l’ensemble de la tessiture).

Carlo Ciabrini (CC) : Je ne suis pas professeur de chant, mais directeur artistique de Malibran-Music (c’est un grand mot car, avec mon épouse Floriana  assurant toute la partie iconographique de la production, l’effectif est complet). Notre société, depuis vingt ans, s’efforce de maintenir le patrimoine artistique de l’opéra français. J’ai quelques jeunes ami(e)s que je fais profiter de mon expérience. J’ai maintenant 70 ans et je pense avoir gardé toute l’étendue de ma voix de ténor. Le contre-ré est toujours là, à la demande, bien que certaines vertèbres semblent récalcitrantes. Dans tout ce qui suit je vais parler des ténors car c’est ce que je connais le mieux, mais la réflexion est la même pour toutes les autres voix. Il faudra m’expliquer le déséquilibre entre les voix d’hommes et les voix de femmes (pourquoi tant de sopranos et de mezzos, et si peu de ténors ?).

L’état de l’enseignement du chant en France ? Comment répondre à cette question sans un retour en arrière ? Ayant commencé à fréquenter Garnier à partir de 1964, j’ai eu le plaisir d’entendre toute cette « Troupe de l’Opéra de Paris ». Il était logique que tous ces grands artistes se tournent à la fin de leur carrière vers l’enseignement. L’arrêt des troupes lyriques a tari la source, en privant les jeunes artistes d’une possibilité de faire leurs débuts. Plus de chanteurs, ou si peu, entraîne le manque de professeurs, plus de nouveaux artistes. Je ne vais pas me lancer dans une critique des conservatoires que je fréquente très peu. Je suis un peu étonné de voir les noms des enseignants qui me semblent inconnus, peu francophones. Quand on cherche sur Google « professeur de chant », on tombe sur une liste de gens de moins de 30 ans qui, paraît-il, enseignent. Sans être indiscret, ces gens ont chanté où ? Ils sont possesseurs d’un diplôme qui leur donne le droit d’enseigner. Pour ce que j’ai pu en voir, les programmes ne sont pas adaptés à la formation de chanteur. Voilà, à mon avis, ce qui explique l’état calamiteux de l’enseignement du chant en France. Ne me demandez pas le remède, je ne le connais pas. De nouveaux répertoires, la sonorisation progressive des théâtres semblent compromettre le retour d’un niveau de chant minimum. Je parle des ténors. Nos dix doigts nous suffisent pour compter les grands noms actuels, tout juste. Il y en avait plus de dix à Garnier à la fermeture. Cela pour l’enseignement public.

Pour le privé maintenant : je dois avouer que ma façon de dire les choses m’a conduit jusqu’au tribunal, contre un monsieur qui prétend enseigner le chant sans pouvoir émettre le moindre son, sa seule référence étant un escroc qui sévissait dans les années 30-50. Peut-on concevoir un professeur de piano qui ne joue pas de piano ? Non bien sûr, et bien dans l’enseignement du chant c’est monnaie courante. Nous trouvons une multitude d’individus qui enseignent le chant sans savoir chanter.

Les pseudos professeurs de chant se retrouvent souvent sous diverses apparences plus ou moins trompeuses. Il faut surtout se méfier :

  • des pianistes qui sous le prétexte qu’ils vous accompagnent vont vous apprendre à chanter ;
  • des professeurs de chant possédant un diplôme qui ne sont jamais montés sur une scène ;
  • des professeurs de chant qui ne chantent pas en prétextant maladies ou accidents ayant brisé leur carrière
  • la race la plus redoutable, les médecins qui vous assomment de termes médicaux pour vous expliquer le mécanisme vocal.

Comment faire quand vous vivez de votre enseignement pour être correct avec les jeunes qui viennent vous demander des cours ou des conseils ? J’ai vu souvent arriver de jeunes gens, âgés à peine de vingt ans, qui avaient déjà à leur actif plusieurs professeurs. Que veut un jeune apprenti chanteur ? Bien souvent il a dans l’idée une tessiture, une puissance vocale. Si vous l’encouragez, il restera ; sinon, il cherchera un autre gourou. Je grossis un peu le trait, mais à peine. De plus, quand je lui referai une phrase, bien souvent il dira : « Mais vous chantez ? ». Etonnant !

Un mot sur les masterclass. Je doute un peu de leur utilité. Vous avez de jeunes débutants qui,  la plupart du temps, ne savent pas mettre deux notes l’une derrière l’autre, et qui viennent écouter la parole d’un grand artiste. Il me revient à l’esprit un jeune couple travaillant le duo final de Carmen avec un illustre mezzo. A quoi bon ? Ils ne savaient même pas chanter « Au clair de la lune ». Je rêve d’une masterclass avec Gabriel Bacquier s’adressant à des chanteurs professionnels qui voudraient approfondir Scarpia ou Don Juan.

Existe-t-il une seule méthode d’enseignement du chant ?

JPB : Bien évidemment non. Diverses méthodes sont employées qui vont souvent de paire avec la personnalité de l’enseignant. Ne confondons pas méthodes et technique vocale. Si l’art et la manière (donc la méthode) peut prendre des chemins différents pour tenter d’atteindre un même but, la technique vocale quant à elle est forcément unique, étant tributaire des paramètres bien définis qu’impose une phonation naturellement libérée, souple, ample et sans forçage sur toute l’étendue de la voix avec la maitrise de la bascule crico-thyroïdienne pour l’obtention d’une quinte aigue aisée et puissante. Le cartilage thyroïdien (pomme d’Adam) basculant vers l’avant, tandis que le cricoïde situé juste en dessous bascule à l’inverse donc vers l’arrière et contribue ainsi à l’étirement des cordes vocales de façon naturelle et sans effort. De cette façon toutes les voix obtiennent une grande étendue et un aigu facile et somptueux. Natalie Dessay dont on connait l’aigu remarquable en est un bel exemple mais aussi Laurent Naouri, dont l’étendue vocale était très limitée au départ, chante aujourd’hui sur trois octaves ainsi que Sérénad Uyar dont la voix devenue somptueuse atteint des contre notes étonnantes (contre si naturel) tout en chantant des ouvrages larges. Ces trois artistes à la voix totalement différente utilisent pourtant la même technique. N’oublions pas que malgré des possibilités vocales différentes tous les humains possèdent le même mécanisme laryngé, deux poumons, un diaphragme, deux cordes vocales et des résonateurs (ndlr : cavités pharyngo-buccales) de volume différents, certes mais en nombre égal. La méthode d’apprentissage puis de perfectionnement pourra emprunter un entrainement plus ou moins direct mais procédant de la même technique phonatoire. 

CC : Pour moi je n’en connais qu’une. Celle que m’ont enseignée Renée Doria et Umberto Valdarnini, l’une étant l’élève de l’autre. Mais je pense aussi que ce sont les centaines d’heures passées à écouter de grands chanteurs.

Un professeur de chant doit pouvoir chanter. Pas besoin d’avoir été un très grand chanteur. Avoir compris ce que l’on faisait et le transmettre aux autres par l’exemple. Bien souvent les plus grands chanteurs ne sont pas les meilleurs professeurs. Par contre, un mauvais chanteur sera toujours un mauvais professeur.

Peut-on parler de méthode ? On a bien connu la méthode Marchesi, Garcia etc… C’était plutôt le fait, pour Marchesi, d’une chanteuse qui connaissait parfaitement sa manière de chanter et l’a enseignée à ses nombreux élèves. Pour autant on ne peut pas trouver des points communs entre ces chanteuses et chanteurs. On ne peut parler de méthode universelle, mais plutôt d’un enseignement qui sera spécifique à chaque chanteur, c’est à ce moment que l’art du professeur adaptant et expliquant sa technique à l’élève fera merveille.

Le plus grand maître de la fin du XIX° siècle fut Cotogni, ses élèves étaient de Reské, Battistini, Lauri-Volpi, Gigli etc… Cotogni était un grand baryton Verdi. On a un peu vite cité Campogagliani comme grand pédagogue : sa plus illustre « élève » Renata Tébaldi suivait ses conseils artistiques, mais étudiait le chant avec le soprano Carmen Melis. Melocchi, qui était chanteur lui-même (il nous reste un témoignage de sa voix en compagnie du ténor G. Limarilli), avec le larynx haut et le larynx bas, semble plus tenir du folklore que de la technique vocale ; en effet la plupart de ses élèves avaient en parallèle un autre maestro qui, lui, était chanteur. Je n’ai pas connu Corelli personnellement, mais Del Monaco récusait cette méthode qui tentait d’expliquer et de domestiquer un phénomène naturel qu’une bonne émission vocale ne doit pas soulever.

Et « la technique italienne » (les amis reconnaîtront) ? Où est-elle, la méthode ou la technique pour chanter, la fameuse méthode que tout le monde recherche sans jamais la trouver ? Il n’existe pas de technique italienne, française, russe ou allemande, c’est un leurre. On peut parler de style mais pas de méthode. Il y a une seule bonne façon de chanter et beaucoup de mauvaises. Si vous écoutez Vezzani, Koslowsky, Melchior ou Pertile, ils chantent tous très bien et de la même façon, mais avec des intonations et des styles totalement opposés. L’enseignement du chant repose sur la faculté de donner un exemple que l’élève va essayer de reproduire. On peut donc penser que la qualité de l’exemple favorisera dans un sens ou dans un autre la réussite de l’élève.

Il faut surtout arrêter de chercher le professeur qui vous donnera une voix, il n’existe pas. Il n’y a pas de baguette magique dans le chant. Un maestro améliorera votre voix, la posera, la disciplinera, mais en aucun cas il n’y aura création. Il faut toujours avoir en mémoire que le métier consiste à se faire entendre dans une salle (devant un orchestre et avec une quarantaine de choristes derrière soi) et non pas à susurrer quelques airs antiques derrière un piano. L’art du chant d’opéra n’est pas une affaire de patronage ! Je n’invente rien, nous trouvons des articles de Victor Maurel disant la même chose en 1903 !

Le grand chanteur c’est celui qui va garder sa voix durant toute sa carrière. On peut citer Gianni Raimondi, Alfredo Kraus, César Vezzani, Alain Vanzo, Nicolai Gedda, Giacomo Lauri-Volpi. Tous ténors, tous avec des voix totalement différentes, mais une même qualité : la longévité. Ils ont eu tous la sagesse de se tenir à un répertoire qui leur convenait, sans jamais aborder des rôles au-delà de leurs moyens. On peut assister au désastre actuel de nombreux ténors « célèbres » qui en tout juste dix ans sont venus à bout de la voix que la nature leur avait donnée. Je parle des ténors mais le phénomène est le même pour toutes les voix.

L’interprétation : quel grand mot servant à justifier toutes les misères de la voix ! Verdi n’avait pas écrit le rôle d’Otello pour Tamagno, mais il le choisit pour le Maure parce qu’il ne trouvait aucun autre artiste lui donnant satisfaction, pour donner vie à toutes les facettes du ténor vedien. Au moins, avecTamagno, il était sûr de la puissance. J’adore l’interprétation : Bergonzi dans le récitatif de l’air d’Alfredo dans La traviata, Kraus dans « A te o cara », Caballé dans Norma, etc…. Mais attention, c’est la couche de vernis sur le chanteur. On ne doit songer à interpréter que lorsque l’instrument est terminé et parfaitement docile. Pas de piano détimbré, pas de son filé se terminant en hoquet sinistre et j’en passe sans doute. Quel métier !

Chanter dans sa langue enfin, vaste programme ! Il vaudrait mieux en principe pour apprendre le chant, chanter dans sa langue vernaculaire. L’étude du chant est déjà assez délicate sans y ajouter la difficulté de prononcer une langue que l’on ne maîtrise pas. Mais je dois avouer qu’enseigner le chant à un Tibétain serait au-dessus de mes forces. Il faut donc choisir. Le chanteur français a intérêt à chanter en français. Dans Massenet, Bizet, Gounod on doit pouvoir trouver un air de travail. Autrement, pour ma part, ce sera l’italien pour les non francophones. Je comprends fort bien qu’un Allemand désire apprendre en allemand, mais je ne pourrai pas beaucoup l’aider.

Peut-on être chanteur et professeur ? 

JPB : Oui sans aucun doute mais sous certaines conditions et réserves.

Que faut-il à un chanteur pour entrer en carrière ? Une belle voix sans problème de justesse, une sensibilité musicale, une bonne mémoire, une bonne santé (surtout de la sphère ORL), un jeu de scène intéressant (ou mieux), la nécessité d’un certain et constant recentrage psychologique sur lui-même et sur sa voix. On rencontre beaucoup de solistes ayant de réelles et belles qualités vocales, scéniques et musicales mais trop souvent pour beaucoup d’entre eux, faute d’une technique approfondie on trouve aussi des défauts techniques avérés et persistants, tels que voix nasale ou engorgée, à l’aigu poussé et difficile ou pire encore une voix chevrotante bien que jeune encore. Cependant, ces artistes font une carrière et parfois même malgré leurs défauts pourtant évidents,une grande carrière, grâce aux qualités naturelles énoncées plus haut. Au regard de cette carrière on leur confie souvent la formation de jeunes chanteurs. Nous connaissons l’importance et l’emprise du mimétisme. Les ornithologues vous diront que si l’on retire les œufs d’un oiseau chanteur pour les mettre dans un nid d’un oiseau non chanteur, jamais les petits ne chantent. Les solistes dotés d’une belle voix dès leur jeune âge et dont la carrière s’est vite interrompue faute d’une vraie technique et de défauts audibles devraient se remettre en question humblement et retravailler leur voix sous contrôle d’une bonne oreille extérieure et expérimentée. Sous ces conditions, des solistes peuvent apporter beaucoup. 

CC : A priori oui, question de temps et de planning. Mais il me semble que plus l’artiste avancera dans la carrière plus il pourra faire bénéficier ses élèves de son expérience.

Que faut-il pour être un bon professeur ?

JPB : Une excellente oreille spécialisée dans la reconnaissance des différentes qualités et défauts de sons et la connaissance des remèdes à tous ces défauts. Il faut avoir une voix bien placée, sans défauts probants, une voix homogène sur toute son étendue avec une quinte aigue assurée et aisée ; l’aigu étant la résultante d’une bonne technique. Sont nécessaires aussi de grandes qualités de pédagogue et l’expérience d’une écoute affinée de la voix des autres. Enfin être doté d’une grande patience, d’un sens de la progression vocale, d’une grande connaissance de différents répertoires et consacrer beaucoup de temps aux élèves surtout aux débutants ce qui n’est pas possible pour un soliste en pleine carrière.

CC : Il faut tout ce que je développe dans l’idée qu’un professeur de chant doit chanter ou avoir chanté, quand il est très âgé. Il y a aussi toute l’approche pédagogique,exceptionnelle qu’avait Renée Doria par exemple. Elle a 97 ans et quand je lui amène des amis-élèves, elle se met encore au piano et tout ce qu’elle dit, surtout pour les femmes, est toujours très pertinent, fruit d’une longue carrière et d’une approche pédagogique acquise dans ses années de conservatoires parisiens.

Comment identifier sa tessiture ?

JPB : Il y a pour cela des fondamentaux à respecter. La couleur de la voix, son spectre (la pâte de la voix), les notes de passage c’est-à-dire le passage du palais dur au voile du palais et inversement en descendant. Repérer également les singing formants qui sont les notes naturellement les plus éclatantes. Ce sont des notes qui sonnent mieux et plus facilement que les autres. La raison en est l’addition de sons et de vibrations. Suivant l’anatomie et la physiologie du chanteur, les résonateurs ont une géométrie et un volume différents. A une certaine hauteur, variable suivant les individus, certains sons entrent en sympathie avec les vibrations émises par la « voix source » (son provenant des cordes vocales) et qui va s’amplifier suivant l’endroit et le résonateur dans lequel il va se répandre. A l’audition, la couleur d’une voix, la hauteur des notes de passage ainsi que la richesse harmonique dans le grave, le medium et l’aigu et en repérant les singing formants de surcroit, on ne peut se tromper sur une tessiture. La grande erreur est de considérer prioritairement les notes atteintes. Or on peut monter très haut et ne pas être une voix légère et ne pas monter à cause d’un manque de technique et de travail par exemple et être pourtant une voix aigüe et légère. Les critères indiqués plus haut sont déterminants et doivent seuls être les vrais repères. 

CC : Ce n’est pas la partie la plus facile d’un enseignant. De façon empirique, il y a les notes de passage qui doivent déterminer la tessiture. Pour ma part c’est au bout de quelques séances que l’on peut commencer à avoir une idée précise. Ludwig mezzo, Falcon ou soprano dramatique, idem pour Cossotto, Verett ? Michel Dens baryton ou ténor ? Qui se souvient de Guichandut et Vinay ? Je pense que seul le temps déterminera la tessiture exacte.

Quel travail quotidien recommandez-vous à un chanteur ?

JPB : Le travail doit être régulier et d’une durée limitée afin que cet entrainement journalier développe la voix sans la fatiguer exagérément. Commencez toujours par des voyelles et phonèmes ronds. Evitez d’employer le verbe « chauffer ». Un chanteur ne s’entraine pas dehors par une température négative. Ses cordes vocales sont bien au chaud dans la trachée, il ne s’agit pas de muscles directement situés sous la peau comme pour un sportif donc il n’y a rien à chauffer.

De quoi s’agit-il alors ? Ouvrir les résonateurs, l’ensemble laryngé et assouplir le corps. L’ouverture doit se faire par synergie à la manière d’un compas. Vous ouvrez le bas du dos et donc les côtes les plus basses en premier lieu et l’ensemble laryngé va également s’ouvrir si ce geste est pratiqué en souplesse. Quand vous ouvrez un compas, le haut s’ouvre également. L’ouverture pratiquée depuis le bas des côtes permet d’éviter toute contradiction au niveau de la gorge et d’éviter aussi de fatiguer les muscles laryngés pour la plupart petits et fragiles dénommés « muscles aplatis » alors que les muscles intercostaux et le diaphragme sont très solides et résistants. Le plus puissant évidemment est le diaphragme, il fonctionne depuis les premiers instants de la vie et sépare la partie digestive de la partie respiratoire. En procédant ainsi on ne fatigue pas les muscles de l’appareil laryngé et on adopte alors la manière de travailler des anciens grands maîtres qui disaient notamment – « Un grand chanteur doit descendre de scène fatigué au niveau des muscles du dos et intercostaux et être prêt à recommencer au niveau des muscles laryngés ». Il faudrait une longue explication pour bien démontrer l’importance du choix des voyelles et phonèmes à employer et dans quel ordre. Je vous conseille de lire mon livre de technique vocale Quand l’Oreille Voit Tout. Mais sachez qu’il faut alterner phonèmes et voyelles tantôt ronds, tantôt latéraux. Commencez toujours par rechercher la rondeur et l’ouverture souple avec des exercices dont le but est aussi de conserver le larynx en position basse. Je dis « conserver en position basse » et non faire descendre le larynx, ce qui engendrerait de grands défauts vocaux et entrainerait un habitus de grossissement et d’engorgement de la voix totalement à déconseiller. Le travail de préparation doit se faire à l’aide de voyelles, le mot « voyelle » ne l’oubliez pas, vient de l’Italien « vocale » ; ce n’est pas un hasard. Les consonnes ne doivent pas être employées dès le début afin d’ouvrir plus facilement les résonateurs mais ceci mériterait une explication détaillée.

CC : Bergonzi disait : « Avant de chanter, un arpège de Rossini, un sib, la voix est là, on y va ». Hygiène de vie propre a toute personne, celle-ci doit être décuplée pour le chanteur. Une nourriture pas trop épicée dans les périodes d’activité, pas de café et en général pas d’excitant, bien sur pas de cigarette. Selon votre facilité vocale (la bonne technique), une heure  de pratique dans la journée me semble suffisant. Plus longue bien sur quand on travaille un rôle. Le métier de chanteur est  un sacerdoce. Je n’emploie pas ce mot au hasard. Il présente un caractère quasi religieux en raison du dévouement exigé. J’essaie de faire passer ce message au jeunes gens, mais il sont persuadés qu’une heure pas semaine ou 45 minutes de cours suffisent pour devenir un chanteur. Mario de Monaco, que j’ai longtemps fréquenté me confiait que durant sa carrière il était entièrement piloté par sa femme avec une seule obsession : chanter le soir. Il est certain que le métier actuel avec ses déplacements mondiaux bouleverse un peu cette sérénité.

A quoi reconnait-on un futur grand chanteur ?

JPB : On confond trop souvent grand chanteur et grande ou belle voix. Il arrive même que certains membre de jury s’exclament « Quelle belle voix, moi je mets une bonne note malgré les défauts, car la voix est vraiment belle ! ». Une belle voix ne suffit pas et le jury est là (en principe) pour juger de l’art du chant donc de la manière dont le candidat utilise sa voix, (legato, phrasé, homogénéité, souplesse et virtuosité). Il ne viendrait jamais à l’esprit de membres de jury de violon par exemple de dire : Il a un Stradivarius ou un Guarneri et donc je lui donne un prix sans juger de la manière dont il se sert de l’instrument. Pour moi un grand chanteur possède outre une belle voix, une technique vocale approfondie, doublée d’une grande et sensible musicalité, d’un sens du phrasé, d’une bonne prononciation et d’une réelle présence scénique enrichie par une grande culture musicale et littéraire indispensable à mes yeux.

CC : Le timbre, l’allure physique très importante de nos jours. Culture générale. Plutôt identifier le mauvais. Si un élève arrive avec une voix pratiquement naturelle et bonne : c’est rare ! Je ne suis plus certain de la définition du grand chanteur. Je suis persuadé qu’un Tony Poncet ne pourrait plus faire carrière maintenant.

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