A priori, le programme est connu, popularisé par des enregistrements largement diffusés, et il y a fort à parier que le public en est familier. Les seuls questionnements avec lesquels on se rend au concert concernent l’évolution de la voix de notre diva, et, accessoirement, dans quelle robe elle apparaîtra. Bleue, rouge, orange ? De fait ce sont des entrelacs bleu brillant sur un fond blanc qu’elle a choisis. Quant à la voix, nous en reparlerons.
A l’issue, les ovations du public, dont on partage l’enthousiasme, nous vaudront pas moins de cinq bis, qui s’éloignent du baroque au point de terminer dans une forme de frénésie collective avec des gags à gogo et l’inattendu Summertime. L’humour bien connu, le goût pour la plaisanterie de Cecilia Bartoli ne suffisent pas expliquer cette progression inaccoutumée. Que s’est-il donc passé pour aboutir à cette sorte d’instant miraculeux ?
Le programme, sympathique, rythmé par les Quatre saisons, dans l’ordre traditionnel (sans les mouvements lents du Printemps et de l’Automne) mais dont chaque partie est considérée comme indépendante, pourrait passer pour classique, sinon banal. A l‘écoute, son intelligence, sa cohérence se révèlent d’une grande efficacité. Avant, comme après l’entracte, toutes les pièces sont enchaînées, avec ou sans transitions instrumentales. Au plan dramatique comme au regard des tonalités, c’est un régal. Pour les grincheux qui insinuent parfois une possible altération des moyens de la cantatrice, disons simplement que ce soir, sa confiance, sa liberté, son bonheur donnent à son chant bien des qualités supérieures à ce que les enregistrements ont fixé. L’agilité, la souplesse, les couleurs, avec des graves ronds et des aigus lumineux, son aisance, durant un programme des plus exigeants et des plus riches, sont manifestes. C’est peut-être sa longueur de voix et ses phrasés arachnéens, comme ses traits aussi brillants que naturels et discrets qui emportent l’adhésion. Les mezza-voce sont ensorcelants. Le sens du texte et de sa diction est illustré avec maestria, le regard vif, intense, tout concourt à notre bonheur. Enumérer les extraits, bien connus, n’aurait pas grand sens. Par contre la plus riche palette expressive qu’ils appellent, de la tendresse émue à la fureur la plus vive, en n’oubliant pas l’humour complice, nous confirmerait, si besoin était, que l’immense cantatrice qu’est Cecilia Bartoli demeure au sommet de son art. L’ensemble du programme est spatialisé : son entrée se fait depuis la galerie supérieure, puis, du porche, où restera le concertino, elle rejoint l’ensemble dans le chœur pour la seconde partie.
Cecilia Bartoli est familière de l’église Saint-Maurice de Saanen, dont la nef est surmontée sur ses trois côtés d’une galerie de bois, ornée de fresques (chœur et mur occidental). Celle-ci sonne merveilleusement, où que l’on se trouve. Sa mère – Silvana Bazzoni-Bartoli – avec laquelle elle enseigne à la Gstaad Vocal Academy, depuis dix ans, la couve des yeux depuis la galerie. Elle est donc chez elle, entourée de celles et ceux qui l’aiment, accompagnée par les musiciens qu’elle a choisis : tout est réuni pour que ce répertoire, qu’elle contribua à nous faire connaître et apprécier, il y a déjà vingt ans, soit une fête.
Le jeu orchestral, quasi expressionniste dans ses contrastes, sa nervosité comme dans ses épanchements, rompt avec la routine. Les Musiciens du Prince – Monaco, sont en symbiose avec le chant, d’une fidélité absolue à chaque intention lyrique. Leur engagement porte la marque du travail avec Cecilia Bartoli, virtuose, d’une perfection technique rare. Andres Gabetta, Konzertmeister, secondé par Boris Begelman (continuo), a forgé un ensemble de premier plan, vigoureux, voire incisif, qui sait se faire tendre ou plaintif, dans un discours contrasté à l’extrême. Lui-même et ses solistes (Jean-Marc Gaujon, flûte, Diego Nadra, hautbois, et Thibaud Robinne, trompette) font preuve d’une virtuosité souriante, particulièrement dans les fréquents dialogues – écrits comme improvisés – qui sont autant de joutes imitatives entre eux et la voix, ainsi qu’il est fréquent durant toute l’ère baroque.
Plusieurs heures se sont écoulées depuis, et la mémoire de ce moment magique demeure, intacte, avec le sentiment d’avoir vécu une communion collective, rare, qui illumine votre vie.
Antonio Vivaldi
Concerto pour violon en mi majeur op. 8 n° 1 RV 269 «Le printemps» – 1er mouvement
«Quell’augellin», air de Silvia extrait de l'opéra La Silvia, RV 734
«Non ti lusinghi la crudeltade», air de Lucio extrait de l'opéra Tito Manlio, RV 738
«Gelosia, tu già rendi l’alma mia», air de Caio extrait de l'opéra Ottone in villa, RV 729
Concerto pour violon en mi majeur op. 8 n° 1 RV 269 «Le printemps» – 3ème mouvement
«Vedrò con mio diletto», air de Anastasio extrait de l'opéra Il Giustino, RV 717
Concerto pour violon en sol mineur op. 8 n° 2 RV 315 «L'été» – 1er mouvement
«Sol da te mio dolce amore», air de Ruggiero extrait de l'opéra Orlando furioso, RV 728 '
Concerto pour violon en sol mineur op. 8 n° 2 RV 315 «L'été» – 2ème et 3ème mouvements
«Si lento ancora il fulmine», air de Zenaida extrait de l'opéra Argippo, RV 697
«Zeffiretti che sussurrate», air de Ippolita extrait de l'opéra Ercole sul Termodonte, RV 710
Concerto pour violon en fa majeur op. 8 n° 3 RV 293 «L'automne» – 1er mouvement
«Ah fuggi rapido», air de Astolfo extrait de l'opéra Orlando furioso, RV 728
Concerto pour violon en fa majeur op. 8 n° 3 RV 293 «L'automne» – 3ème mouvement
«Gelido in ogni vena», air de Farnace extrait de l'opéra ,Farnace, RV 711
Concerto pour violon en fa mineur op. 8 n° 4 RV 297 «L'hiver» – 1er mouvement
«Se mai senti spirarti sul volto», air de Cesare extrait de l'opéra Catone in Utica, RV 705
Concerto pour violon en fa mineur op. 8 n° 4 RV 297 «L'hiver» – 2ème et 3ème mouvements.
Cecilia Bartoli, mezzo-soprano
Les Musiciens du Prince - Monaco
Violon et direction musicale
Andrés Gabetta
Vendredi 23 août 2019, 19h 30
Eglise de Saanen (Gstaad - Menuhin Festival)
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