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À bas les surtitres !

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Edito
1 avril 2012

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N’ayons pas honte de l’avouer : on ne comprend pas toujours tout aux opéras que l’on écoute ou que l’on voit. Je ne parle pas seulement des obscurités des livrets, de leurs tiroirs à rallonge que compliquent des doubles-fonds codés. Je parle simplement de ce qui s’y dit. C’est que les opéras présentent ce défaut de n’être pas très souvent en français. Pendant longtemps, on remédia à ce problème en traduisant les livrets. Preuve que nous ne sommes pas plus fermés aux langues étrangères que d’autres, nos voisins en ont fait tout autant jusqu’à une période très récente, et bein des maisons perpétuent cette tradition de donner les œuvres en langue locale. Inutile de s’attarder sur les avantages, les inconvénients et surtout les ridicules de cette façon de faire. Les plus grandes maisons aujourd’hui ne songeraient pas à traduire les livrets et c’est tant mieux. Elles préfèrent désormais, et de très loin, faciliter l’accès aux textes par les surtitres. Or, à présent que nous disposons d’un certain recul à l’égard de cette technique censément moderne, il est temps d’entrer résolument en résistance et de clamer haut et fort : Non aux surtitres ! A bas les surtitres ! Mort aux surtitres !

Les surtitres, c’est tout ce qui se fait de plus humiliant pour les spectateurs. Les voyez-vous, le menton levé, le regard hésitant entre le haut et le bas, la gauche et la droite, caboches giratoires ne sachant plus où donner de la tête ? Les entendez-vous, rire à une réplique point prononcée encore mais inscrite déjà au tableau lumineux ? Les supportez-vous, lorsqu’ils se font une idée de textes versifiés sur la seule base de surtitrages inexacts, nécessairement lacunaires ? Mais il y a pire : les livrets d’opéra n’ont généralement de valeur littéraire qu’associés à la musique. Le surtitrage, isolant le texte et le schématisant, n’en livre qu’une moelle appauvrie, ridicule parfois. Il brise le rythme des répliques, désosse tout lyrisme, dévitalise le surcroît de sens apporté par le compositeur à un texte parfois délibérément pauvre. Et c’est ainsi que des salles entières s’esclaffent à ce qui n’est pas drôle, tant il est des phrases qui, isolées, semblent simplement bêtes et creuses, ou décalées. Combien de moments parmi les plus pathétiques excitent aujourd’hui la rigolade générale, seulement parce que le surtitre donne une couleur digne de Ionesco à un texte qui s’épanouit seulement dans la musique, fleur flétrie reprenant ses couleurs dans la lumière du matin ? C’est atterrant, à la fin. Et les spectateurs – dont on se tue à redire que la plus grande partie d’entre eux sont dans la salle pour la seule et unique fois de l’année – sortent de là avec l’idée que décidément, c’est bien bête l’opéra, et bien niais. C’est là un fait de déconstruction, pour ne pas dire de destruction, absolument majeur dans l’expérience lyrique de ces dernières années. Un chanteur récemment nous confiait qu’il ne voulait plus chanter le Comte des « Noces de Figaro » parce qu’au moment du « Contessa perdono », une des phrases les plus belles écrites par Mozart, des plus efflorescentes, offrant la rupture de climat la plus bouleversante, oui, à ce moment-là, la phrase sèchement traduite au tableau lumineux produit un effet burlesque – et alors, la salle rit. Haneke l’a bien compris : sa production de « Don Giovanni » intègre littéralement les surtitres dans la dramaturgie, supprimant toutes les références contextuelles afin d’assurer la modernité du texte, mais sans aller jusqu’à les couper dans le texte chanté – effet de distance diablement efficace qui trompe l’ignorant et joue avec celui qui sait. Post-modernisme, quand tu nous tiens. La preuve que le système est vicieux, c’est qu’on surtitre même les opéras en langue locale ! Alors, la fonctionnalité possible du surtitrage devient simple redoublement, piégeant la musique et les chanteurs dans la trappe d’une conformité illusoire à ce qui s’inscrit en lettres lumineuses. Gare à ceux qui disent un mot pour l’autre ! Et qu’on ne nous dise pas que c’est fait pour les touristes de passage, puisque par définition ils ne comprendront pas plus les surtitres que l’original.

Ce système procède à la dissociation systématique du texte et de la musique, en un temps qui n’a plus la sensibilité littéraire pour comprendre ces livrets, et qui, rompu à tous les artifices du cinéma, a du mal à placer à son juste rang ce qui est dit par rapport à ce qui est chanté. Les surtitres constituent à l’évidence une aberration. Qu’on ait pu y recourir, pour voir, pour essayer, pourquoi pas ? Mais que l’on persévère étonne. Car enfin, il est désormais loisible à n’importe qui, via internet, de lire et relire in extenso le livret de l’opéra que l’on s’apprête à voir, avec toutes les traductions possibles. Il est loisible à n’importe quelle maison d’opéra de poster sur son site tous les livrets de toutes les œuvres programmées. Cela suppose une chose seulement : que le spectateur prenne une heure de son temps pour préparer sa soirée. Stendhal faisait cela, et s’inventait même une musique possible qu’ensuite il comparait à celle du compositeur. Et puis, enfin, il reste également possible de jeter les spectateurs dans le chaudron, sans texte, sans livret, sans traduction, sans rien. Et chacun sait bien que c’est ainsi que se produisent les plus belles expériences esthétiques : lorsqu’on accepte de ne pas tout comprendre, lorsqu’on accepte de s’en remettre à l’inflexion des voix, à la musique, aux gestes des chanteurs – bref, lorsqu’on accepte de se livrer tout entier à l’esprit plus qu’à la lettre, à l’émotion immédiate plus qu’à un déchiffrement servile. Les surtitres sont caractéristiques de sociétés qui ne font pas confiance à leur sensibilité et se rassurent avec une pseudo-précision, en fait creuse et stérile. Je voterai pour le candidat qui interdira les surtitres à l’opéra.

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