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L’enfant de l’Opéra de Paris

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Edito
4 mars 2010

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Les quelques lecteurs fidèles que compte encore cet éditorial se souviendront peut-être (en supposant que la fidélité ne va pas de pair avec la débilité sénile) qu’ici même, lisant le programme proposé par Nicolas Joel pour sa première saison à l’Opéra de Paris, j’avais procédé à une suspension cartésienne de tout jugement – non sans cacher un certain regret que la saison ne fût pas plus audacieuse. 

Voici que la saison avance, et assurément se produit un vrai commencement de frisson. Certains y vont toujours de leur grincheux couplet, et parfois à juste titre – car les productions assurément ne décoiffent pas les sages mises en pli des abonnées. De plus en plus cependant s’affirme la patte de Nicolas Joel, cette empreinte qu’au fond les moyens censément plus limités de Toulouse ne lui avaient pas permis d’imprimer dans toute sa profondeur : cette empreinte, ce sont les voix. Il ne fait guère de doute que l’on se rend désormais à l’Opéra de Paris parce que l’on sait que, contrairement à Gérard Mortier et à un plus haut degré que Hugues Gall, Nicolas Joel a le génie du casting, et qu’il utilise les moyens supplémentaires dont il dispose pour exprimer à plein ce génie-là.

Au fond, nous avons le sentiment d’assister, lors des spectacles de l’Opéra de Paris, à l’assouvissement par Nicolas Joel d’une passion ancienne et inextinguible, à la mise en acte d’un goût fervent, d’un savoir travaillé de longue main. Il y a là quelque chose d’une enfance exaucée, et c’est – au-delà de la qualité même des distributions – quelque chose de touchant et d’assez fascinant. Ainsi lorsque Netrebko et Villazon annulent Idomeneo, lorsqu’une laryngite menace Bastille comme jadis la peste bubonique les faubourgs de Carcassone, on songe à ce directeur qui, reclus dans son bureau, regarde d’un œil mouillé de vilains gamins détruire son jouet. Cela me rappelle Le Ballon rouge. C’est pourquoi on s’est navré de la vive polémique qui a enflammé les cénacles lorsqu’Emmanuelle Haïm a dû renoncer à Idomeneo. Car alors on n’a point songé aux vaines querelles opposant les Anciens et les Modernes – car en somme tout démontre que les deux familles ont trouvé dans un dialogue constructif la source de renouvellements féconds, et il n’est que de petits marquis rabougris du bulbe pour aimer à souffler sur ces braises froides, dans le secret espoir sans doute de faire entendre leur voix grêle dans une cacophonie dont les meilleurs esprits sont désormais lassés.

Non, on a songé à Nicolas. On l’a imaginé errant dans le vaste labyrinthe qui, passant par les égouts et les catacombes, relie les deux théâtres dont il a la charge, sombre, amer, déçu et peut-être furieux, serrant les mâchoires et ruminant sur la faiblesse des hommes, mais surtout songeant, l’œil éclairé, à ce qu’aurait pu être cet Idomeneo. Villazon éblouissant, en pleine forme, gorgeant son personnage de vie et de flamme, animant comme personne cette mythologie, et Netrebko, foudroyante de beauté et de suc, lui offrant la réplique avec ce phrasé dont le modelé est à elle seule ; et, dans la fosse, Emmanuelle Haïm osant comme elle sait faire des phrasés d’un galbe sans pareil, magnifiant le baroque pour en faire sourdre le plus touchant des classicismes – Dieu, que cela eût été beau ! Comme nous aurions trépigné, chaviré, soupiré ! Las, il a fallu que les contingences nous ôtent ce rêve-là, qu’un homme avait fait et voulu réaliser. C’est bien là tout ce qu’il y a à retenir de cette histoire. C’est sa part la plus amère, sans doute, mais celle aussi qui nous fait entrer au plus près, je crois, des songes et des ambitions d’un homme dont on se dit qu’il est en train d’ouvrir pour Paris un âge d’or qu’on n’espérait pas revoir.

 

 

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