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Non sunt angeli – ils (et elles) ne sont pas des anges

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Edito
6 octobre 2018
Non sunt angeli – ils (et elles) ne sont pas des anges

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Il y a quelques années, le Vatican avait commandé des travaux de rénovation de salles de travail destinées aux cardinaux. Visant le projet pour avis, le pape avait remarqué que n’avait pas été prévu ce qu’il est convenu d’appeler des « commodités ». Avec humour, il avait alors noté en marge « non sunt angeli », ils ne sont pas des anges !

On est fondé à se demander si la même observation ne pourrait pas être relevée à l’endroit de certains admirateurs de nos stars de l’art lyrique, admirateurs qui ne supportent aucune référence à la nature humaine, très humaine, parfois triviale des corps-instruments que sont les chanteurs et les chanteuses. Cette sublimation mérite qu’on s’y arrête. Sans aller aux outrances psychanalytiques systémiques d’un Michel Schneider, nombre d’auteurs ont décrit la relation d’ordre fétichiste qu’entretient le passionné d’opéra avec l’objet de sa passion. Il en vient alors à manier l’outrance et l’insulte vis-à-vis de celui ou celle qui commet ce qu’il considère comme un sacrilège. Je viens moi-même d’en subir les orages et la vindicte à deux reprises dans les colonnes de ForumOpera avec une violence qui confinait parfois à la haine.

Qu’avais-je donc fait pour être ainsi clouée au pilori ?

Mon premier péché mortel remonte au mois de mai 2018. Rappelez-vous, notre magnifique Julie Fuchs* venait d’être évincée de l’Opéra de Hambourg et du rôle de Pamina au motif de grossesse. Mon éditorial partageait l’indignation générale et stigmatisait les arguments fallacieux du directeur Tillman Wiegand. Toutefois, je mettais à profit ce manquement pour faire un rappel des éléments physiologiques et anatomiques qui, tout au long de leur parcours génésique, impactent l’appareil phonatoire et la colonne d’air des chanteuses, entraînant des modifications de l’émission vocale, parfois bénéfiques, souvent pénalisantes. Mon Dieu, quel déchaînement ! Comment pouvait-on oser employer des termes aussi choquants, aussi vulgaires que grossesse, hormones ou ménopause ? Certain m’accusa de procéder à des « comptes d’apothicaire », me renvoyant sans ménagement à mon titre peu reluisant sans doute de docteur en pharmacie. Pourtant chacun sait, n’est-ce-pas, que nos divas enfantent par immaculée conception et qu’elles ne sont soumises à aucune des contingences de leur sexe…

Aurais-je dû alors me couvrir la tête de cendres, me rendre à genoux sur la tombe de La Callas ou mieux faire publiquement acte de repentance – c’est du dernier chic – dans quelque gazette à fort tirage ?

Je soutiens au contraire qu’un vrai amateur d’opéra doit connaître ces contingences pour apprécier à sa juste valeur l’extraordinaire exploit physique et mental que représente l’acte de chanter, comprendre qu’une défaillance peut arriver à tout moment, qu’une voix se détruit et se reconstruit chaque jour dans un patient travail de ravaudage, que la peur est constante sur une scène et qu’elle peut détruire. C’est précisément par la connaissance des vicissitudes, des lâchetés et des misères de ce métier qu’on en apprécie sans mesure l’incommensurable magie. C’est parce qu’on tremble pour elles et pour eux que l’émotion devient alors un partage charnel véritable et non une adoration qui les désincarnent.

Mais décidément, j’ai aggravé mon cas. Les contempteurs ont remplacé le bouquet d’orties par le fouet à lanières cloutées. Je vous laisse donc apprécier le crime. Le 20 septembre dernier, notre divo assoluto, autrement dit Jonas Kaufmann, donne un récital de lieder absolument sublime au Théâtre des Champs-Elysées et Clément Tailla en fait dans ces colonnes une critique dont je partage chaque attendu. Nous étions envoûtés et eûmes du mal à redescendre sur terre. Mais à la fin des rappels les rires ont fusé. Une admiratrice – peu inspirée, il faut l’avouer – remettait au Munichois un paquet contenant quelques exemplaires de la marque Le Slip français. L’affaire était suffisamment incongrue pour être drôle et mériter une brève qui n’avait rien d’attentatoire à l’immense talent de Kaufmann. Misère de misère. Quelle bronca… Les pourfendeurs montaient au créneau et un lecteur exigea que la rédaction retire ces quelques lignes qu’il devait considérer comme un acte de lèse-majesté. Tout y est passé dans le genre des attaques personnelles les plus basses. Heureusement l’immense majorité des lecteurs de forumopera.com est dotée d’un bienfaisant sens de l’humour et a simplement souri de l’anecdote. Certains d’entre eux ont été révulsés devant la grossièreté des attaques et me l’ont fait savoir. Qu’ils et elles en soient remerciés. Mais la meilleure réponse aux pisse-froid, aux pisse-vinaigre, aux peine-à-jouir de tout poil, aux gardiens autoproclamés de la bienséance lyrique, a été donnée par Jonas lui-même. Quand je suis allée l’embrasser après le spectacle et que nous avons évoqué ce cadeau… embarrassant, il a éclaté de ce rire sonore, rabelaisien, truculent qui est sa marque de fabrique.

C’est bien là que sont le paradoxe et le miracle de l’art lyrique. Jonas Kaufmann nous avait emmenés au ciel et pourtant il se refusait à être un ange.

Sans rancune, les amis.

 

* Belle occasion pour moi de féliciter la belle et talentueuse Julie Fuchs pour la naissance de son petit Dario. Que la vie soit douce pour le bébé et ses heureux parents.

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