Le Royal Opera House reprend sa très populaire production de Richard Jones du Trittico de Puccini et le public londonien a répondu présent. “Sold out” à chaque représentation car Londres entretient une relation particulière avec Ermolena Jaho, révélée outre-Manche lors de la création de la production en 2011. Elle remet le voile des nonnes pour cette série dirigée par Nicola Luisotti.
Malheureusement la soirée commence sous de mauvais auspices : en panne de lyrisme et souvent dépassés par la tessiture même de leur rôle, aucun des solistes du Tabarro ne convainc pleinement, Lucio Gallo (Michele) en premier. Attaques hasardeuses, ligne chaotique, à la limite de la justesse, il donne l’impression de se battre à chaque instant contre son personnage. L’américaine Patricia Racette (Giorgietta) tient sa partir sans pour autant y briller, de même que son compatriote Carl Tanner qui compose un Luigi tout en force et sans finesse. Irina Mishura possède ce caractère rugueux dans le timbre qui fait vivre immédiatement Frugola mais la voix se tend douloureusement à l’aigu. Les bateliers enfin, abattent leur besogne avec soin.
Richard Jones a conçu un dispositif scénique parfaitement lisible pour ce premier volet, même si les bords de seine ont plus l'air d’Amsterdam ou de certains quartiers de Londres. L'action se passe bien au XXe siècle. Un siècle qui s'étendra aux autres opus malgré les didascalies. Ce n'est guère gênant dans le confinement de la chambre de Donati où les cupides parents regardent un match du Calcio sur une petite télé pendant que le pauvre Buoso agonise. Ça l’est déjà plus pour Suor Angelica, rongée par la culpabilité d’être fille-mère. Dans cet hospice pour enfant qui ressemble à un hôpital d’après-guerre tels qu'on en voit encore à la périphérie des grandes villes italiennes, le poids de la bienséance et de l'honneur des familles perd complètement de sa puissance. Le metteur en scène britannique règle toutefois une direction d'acteur aussi subtile qu'efficace dans le tragique que précise et gaguesque pour les fourberies de Schicchi.
En comparaison de son Michele transparent et à la limite de la justesse, Lucio Gallo se glisse dans la peau du paysan florentin avec une aisance confondante tant dans la conduite du chant que dans la composition scénique. Il est suivi avec gourmandise par l'ensemble du plateau vocal : Paolo Fanale (Rinuccio) ravit par son timbre chaleureux, que seul un manque de puissance vient assombrir. Rebecca Ewans impressionne par sa gestion du souffle qui lui permet d’étirer les phrases de sa Lauretta, à défaut de les nuancer. Les trois matrones font la paire, Elena Zilio (Zita) au premier chef grâce à un timbre corsé qui à peine entendu fait déjà sourire. Ces messieurs s’en donnent à cœur joie, menés par Carlo Bosi (Gherardo) et la faconde de Gwynne Howell (Simone).
Ces deux volets latéraux de ce triptyque, l'un en mode l’autre en mode majeur, encadrent le joyaux de la soirée : Suor Angelica. Tout d'abord l'orchestre du Royal Opera House y sonne radieux sous la battue aérienne de Nicola Luisotti. Les irisations qui manquaient au Tabarro illuminent la petite harmonie, la rondeur du son gonfle dans les tutti. Le chef se tient sur le qui-vive pour faire naitre un lyrisme frémissant, près à surgir en soutient d’un plateau vocal de première classe. Chœurs et comprimari féminins rivalisent de beau chant et d’investissement scénique. La princesse se matérialise dans la présence féline et menaçante d’Anna Larsson. Même si la mezzo soprano se fatigue au cours de la scène du parloir, elle ne cède pas à la facilité d’une note poitrinée et maintient timbre et ligne. Ermonela Jaho triomphe. Au delà de la parfaite maitrise du rôle – elle chante quasi tout le « senza mamma » mezza-voce, et inversement surpasse l’orchestre fortissimo sans peine – c’est surtout la présence qui captive tout d’abord, émeut très vite et fait chavirer enfin.
Trois opéras en un acte, créé au Metropolitan Opera de New York le 14 décembre 1918
Il tabarro - Livret de Giuseppe Adami d'après La Houppelande de Didier Golds
Suor Angelica - Livret de Giovacchino Forzano
Gianni Schicchi - Livret de Giovacchino Forzano d'après La Divine Comédie de Dante (Enfer, XXX)
Mise en scène
Richard Jones
Décors
Ultz
Scénographie
Sarah Fahie
Costumes
Nicky Gillibrand
Lumières
Mimi Jordan Sherin
Il tabarro
Michele
Lucio Gallo
Giorgetta
Patricia Racette
Luigi
Carl Tanner
Tinca
Carlo Bossi
Talpa
Jeremy White
La Frugola
Irina Mishura
Un chanteur des rues
David Junghoon Kim
Une jeune amoureuse
Lauren Fagan
Un jeune amoureux
Luis Gomes
Suor Angelica
Angelica
Ermonela Jaho
La zia principessa
Anna Larsson
La badessa
Irina Mishura
La suora zelatrice
Elena Zilio
Suor Osmina
Eryl Royle
La maestra delle novizie
Elizabeth Sikora
Suor Genovieffa
Lauren Fagan
Suor Dolcina
Elizabeth Key
Le cercatrice
Melissa Alder
Kate McCarney
Gianni Schicchi
Gianni Schicchi
Lucio Gallo
Lauretta
Susanna Hurrell
Zita
Elena Zilia
Rinuccio
Paolo Fanale
Gherardo
Carlo Bosi
Nella
Rebecca Ewans
Simone
Gwynne Howell
Ciesca
Marie McLaughlin
Marco
David Kempster
Betto di Signa
Jeremy White
Spinellaccio
Matteo Peirone
Pinellino
Simon Wilding
Guccio
David Shipley
Ser Amantio di Nicolao
Tiziano Bracci
Choeur du Royal Opera
Orchestre du Royal Opera House
Maître de concert
Peter Manning
Direction musicale
Nicola Luisotti
Londres, Royal Opera House, samedi 5 mars 2016 à 18h30
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