Comme celui de Marlène Dietrich – d'après Cocteau –, le nom de Chiara Skerath commence par une caresse et s'achève par un coup de cravache. Cette jeune soprano belgo-suisse, élève du CNSM de Paris, lauréate de plusieurs concours internationaux dont le Reine Elisabeth en 2014, compte déjà un palmarès où s’entremêlent grands rôles, grands noms et grandes scènes. Elle fut Despina dans Cosi fan tutte à Francfort, Adina dans L’elisir d’amore à Metz, chanta une Coryphée l'an passé à l'Opéra de Paris dans Alceste dirigée par Marc Minkowski ainsi qu'Euridice de Gluck sous la direction de Sir John Eliot Gardiner à Madrid et à Bremen.
Richard Plaza lui offre sous le dôme exclusif d'Elephant Paname le premier Instant Lyrique de la saison, avant Nicolas Courjal (le 21 mars), Gabrielle Philiponet (le 26 avril) puis Sonya Yoncheva, Yann Beuron, Jean-Francois Lapointe, entre autres.
Comme son nom, la voix de Chiara Skerath caresse et cravache. Caresse d'un soprano encore hésitant dont on sent tout au long d'un récital ininterrompu de près d'une heure et demie ce qu'il recèle de tendresse plus ou moins exprimée ; cravache d'un timbre rêche et d'une émission qui doit encore gagner en souplesse si elle veut s'épanouir dans un large répertoire. Aujourd'hui, une certaine légèreté sied à sa jeunesse – « la dernière valse » de Reynaldo Hahn ou son équivalent italien, moins connu de ce côté des Alpes, qu'est « invito alla danza » d'Ottorino Respighi. Peut-être justement parce que la voix, dépourvue d'angélisme mais non de candeur, évite de trop sucrer des pages qui pourraient sinon sembler mièvres.
Les fiançailles pour rire, en début de récital, après un Mendelssohn et deux Fauré expédiés d'un chant inquiet en quête de marques, trahissent l'inexpérience. Il faudrait plus de préparation et plus de maturité pour exprimer le suc d'une musique capricieuse, tantôt frivole, tantôt grave, où la douleur de la solitude affleure sous un ton parfois badin. Poulenc veut du chic – et Chiara Skerath n'en manque pas. Poulenc exige aussi une science du mot et, plus ardu, un art du silence. Un travail accru sur la diction et les blessures du temps aideront, n'en doutons pas, l'interprétation à gagner en profondeur.
Pour l'heure, l'allemand et ses consonnes heurtées lui conviennent mieux que l'italien et le français. Le côté cravache sans doute, que viennent tempérer le sourire et le regard, radieux comme ceux d'un enfant auquel on promet la lune. C'est cette dichotomie qui capte l'attention : d'un côté un tempérament lumineux, une spontanéité conquérante, une sincérité désarmante ; de l'autre, un instrument âpre aux sonorités musquées. Schubert mieux qu'un autre réconcilie ces deux visages, « Im Frühling » surtout dont le doux balancement n'a rien d'innocent. Le côté caresse et l'accompagnement d'Antoine Palloc, mieux à son affaire ici qu'ailleurs.
Un accroc dans l'air de Susanna incite à la prudence. Giuditta sera privée d’aigus pas forcément superflus. Un dernier coup de cravache : « Nebbie » d’Ottorino Respighi jetterait un froid si l'on ne percevait la tragédienne qui un jour déchirera la chrysalide. Libérée, Chiara Skerath n’en paraît que plus charmante. Les derniers numéros sont jetés au public, conquis, comme des brassées de fleurs : « Invito alla danza » dont les paroles lui échappent, ce qu’elle avoue, en continuant de chanter, avec un tel naturel que la faute – si faute il y a – est aussitôt pardonnée ; « Marechiare » tourbillonnant puis en guise de bis, ce passage obligé qu’est « O mio babbino caro » et, à la demande de Richard Plaza, « I Could Have Danced All Night » qu’elle entonne pieds nus pour mieux virevolter.
Félix Mendelssohn
Auf Flügeln des Gesange
Gabriel Fauré
La fleur et le papillon
Après un rêve
Francis Poulenc
Les Fiançailles pour rire
Reynaldo Hahn
À Chloris
La dernière valse
Frantz Schubert
Im Frühling
Am Flusse
Guarda che bianca luna
Wolfgang Amadeus Mozart
Le Nozze di Figaro, « Giunse alfin il momento... Deh vieni non tardar »
Als Luise die Briefe
Frantz Lehár
Giuditta, « Meine Lippen, sie küssen so heiß »
Ottorino Respighi
Nebbie
Invito alla danza
Francesco Paolo Tosti
Marechiare
Bis
Giacomo Puccini
Gianni Schicchi, « O mio babbino caro »
Frederick Loewe
My Fair Lady, « I could have danced all night »
Chiara Skerath, Soprano
Antoine Palloc, Piano
L'instant lyrique, Paris, Elephant Paname, lundi 7 mars, 20h
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Le respect, il va de soi, n'est-ce-pas ? Pourtant, à l'heure des coupes sombres dans les budgets de la culture, des annulations innombrables, les musiciens encaissent les nouvelles dévastatrices e-mail après e-mail. Dans quel encadrement psychologique ces nouvelles arrivent-elles ? ...
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé