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Cinq clés pour Guercœur

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Actualité
15 avril 2024
Le 339e numéro de l’Avant-Scène Opéra accompagne une nouvelle production de Guercœur à l’Opéra national du Rhin du 28 avril au 28 mai 2024.

Infos sur l’œuvre

Détails

L’Avant-Scène Opéra n°339

Points de repères

L’ŒUVRE
Iseult Andreani : Argument
Nicolas Boiffin : Introduction et Guide d’écoute
Albéric Magnard : Livret intégral original

REGARDS SUR L’ŒUVRE
Gérard Condé : Portrait de l’artiste en compositeur lyrique
Charlotte Segonzac : Le retour de la littérature sur la scène opératique à la fin du XIXe siècle
Claire Paolacci : La création de Guercœur à l’Opéra de Paris
Gilles Saint-Arroman : L’opéra français face à Wagner
Marianne Massin : Guercœur, une subversion de l’heroïsme ?
Étienne de La Boétie : Le discours de la servitude volontaire (extraits)

ÉCOUTER, VOIR ET LIRE
Didier van Moere :Discographie
Aurianne Bec : L’Œuvre à l’affiche
Aurianne Bec : Bibliographie

Date de parution : 03/2024
ISBN 978-2-84385-441-5
128 pages

Deuxième opéra d’Alberic Magnard (1865-1914), Guercoeur ne fut jamais représenté sur scène du vivant de son compositeur. « Quand on fait le compte de toutes les pauvretés créées depuis le début du siècle sur nos scènes subventionnées, et dont la plupart n’eurent même pas l’excuse du succès commercial, on demeure stupéfait qu’un ouvrage musicalement aussi abondant, aussi solide, aussi soigné, et même aussi agréable que Guercœur ait dû attendre trente ans l’heure de la confrontation avec un public de théâtre », s’étonnait la critique lors de la création en 1931. Zoom sur une œuvre maudite – car marquée du sceau wagnérien ?

1. Le compositeur

Voici un compositeur dont la mort est plus connue que la vie. Albéric Magnard fut tué le 3 septembre 1914 à Baron-sur-Oise en défendant son manoir contre les Allemands. Les manuscrits des partitions d’orchestre de Yolande, son premier opéra, et de deux des trois actes de Guercœur furent détruits dans le pillage et l’incendie qui s’ensuivirent. Gérard Condé dans l’Avant-Scène Opéra met en relation l’énergie virile de sa musique avec son mode de vie spartiate : « bain froid au saut du lit, séance de gymnastique, longue marche dans la nature, propice à l’inspiration et l’après-midi, composition ».

Né à Paris en 1865, Magnard devrait sa vocation à une représentation de Tristan und Isolde à Bayreuth. En 1886, il entre au Conservatoire de Paris dans les classes de Dubois (harmonie) et de Massenet (composition). Sa première symphonie date de 1890. C’est en organisant à Paris en 1899 un festival autour de ses œuvres qu’il attire l’attention sur sa musique. Dandy tant par l’extravagance de ses gilets que par son anticonformisme farouche, sa misanthropie est souvent attribuée à sa surdité partielle. Il quitte Paris en 1904 pour s’installer dans l’Oise où il compose ses dernières partitions.

Bien que se réclamant de Rameau et Beethoven, Magnard est communément qualifié de « wagnérien » à l’instar d’autres compositeurs français de sa génération :  Chausson, Ropartz – l’ami fidèle – ou encore d’Indy avec lequel il collabora à la Schola Cantorum jusqu’en 1892. Pied-de-nez posthume à son illustre modèle : En 1927, la rue Richard-Wagner dans le 16e arrondissement à Paris a été débaptisée pour être renommée rue Albéric-Magnard.

2. L’œuvre

Trois opéras seulement occupent les vingt-et-un numéros de l’opus d’Albéric Magnard : Yolande, Guercœur et Bérénice, par ordre de composition. Si le premier d’entre eux fut créé à Bruxelles en 1892 et le troisième à l’Opéra-Comique en 1911, Guercœur, lui, attendit le 24 avril 1931 à l’Opéra de Paris pour être représenté dans son intégralité.

Albéric Magnard s’attelle à l’écriture de ce deuxième opéra en 1897 pour l’achever en 1901. La version piano-chant est publiée trois ans plus tard. Le troisième acte est joué au Conservatoire de Nancy en 1908 ; le premier aux Concerts Colonne en 1910. Le conducteur et les parties d’orchestre de ces deux actes sont détruits en 1914 lors de l’incendie du manoir de Magnard. Guy Ropartz, qui connaissait l’ouvrage pour l’avoir partiellement dirigé à Nancy, entreprend alors de le restaurer de mémoire à partir de la réduction pour piano et du deuxième acte retrouvé à Paris, permettant sa création intégrale trente ans après son achèvement.

Pourquoi une telle genèse ? Magnard, soucieux des interprètes et encore plus de la mise en scène de son opéra, aurait émis de nombreuses conditions qui, ajoutées aux changements de décors et aux longs interludes symphoniques, compliquèrent les représentations envisagées à l’Opéra-Comique lors de la saison 1907-1908. Albert Carré, son directeur, préféra finalement commander au compositeur un nouvel opéra – ce sera Bérénice.

Erigée en manifeste patriotique en raison de la mort glorieuse de son auteur, Guercœur fut salué par la critique lors de sa création – en 1931 donc – mais disparut de l’affiche après une dizaine de représentations pour ne reparaître que sporadiquement, en 1951 dirigé par Tony Aubin pour la radio, en 1986 enregistré par Michel Plasson avec José van Dam dans le rôle-titre, puis en 2019 au Theater Osnabrück en Basse. La production de l’Opéra national du Rhin, du 28 avril au 28 mai prochains, ne sera donc que la troisième dans l’histoire de l’œuvre.

3. Le livret

Cueilli par la mort dans la fleur de la jeunesse, Guercœur veut retourner sur terre pour retrouver son amante Giselle, son ami Heurtal et son peuple bien-aimé. Après moults mises en garde, les déesses Vérité, Beauté, Bonté et Souffrance accèdent à son désir. Bercé de douces Illusions – que personnifie un choeur de vierges –, Guercœur s’imagine être accueilli en héros. Il lui faut déchanter. Giselle s’est consolée dans les bras de Heurtal qui, à rebours de tout idéal démocratique, règne en despote sur le peuple affamé. Repoussé par celle qui fut son épouse, il est accusé d’imposture par son ex-ami puis assassiné par la populace versatile. De nouveau au ciel, Guercœur se repent, louant la déesse Souffrance de l’avoir libéré de ses illusions. Vérité prophétise l’avènement d’une humanité meilleure dans des temps lointains. Apaisé, notre héros s’endort du sommeil éternel, le mot « Espoir » aux lèvres.

Prenant exemple sur Wagner, Magnard a lui-même écrit le livret de Guercœur sans « vers allitérants comme chez le maître allemand », explique Nicolas Boiffin dans L’Avant-Scène Opéra, mais en faisant usage d’« une prose rythmée où se glissent ça et là quelques alexandrins blancs ». L’influence wagnérienne reste également présente dans une histoire où interfèrent dieux et héros, idéaux et désillusion, amour et trahison… Mais, au contraire du compositeur de Parsifal, le stoïcisme de Magnard ne cède pas à la tentation de l’utopie. Dans Guercœur, le crépuscule des dieux est loin d’advenir, et ce n’est pas demain la veille que le Graal brillera dans un monde d’amour et de liberté.

4. La partition

Discours continu, chromatisme, leitmotivs confiés à l’orchestre –Nicolas Boiffin en dénombre une quarantaine –, symbolisme des tonalités, liberté de la déclamation… L’influence de Wagner contagionne autant la partition de Guercoeur qu’elle en a inspiré le livret. « Je n’ai pas fait ce que j’ai voulu », écrit Magnard au critique Octave Maus en 1901, « je suis retombé dans le wagnérisme, alors que dans mon œuvre purement musicale, je crois être parvenu à m’en dégager ».

Encore faut-il distinguer le deuxième acte, tendu par une action dramatique, des deux actes extrêmes, dans le séjour céleste des morts, d’un statisme marmoréen. Guercoeur est-il une œuvre de transition, comme le déplorait Magnard, le détournant « pour longtemps du théâtre où l’ombre de Wagner nous obscurcit le chemin » ? Bérénice sept ans plus tard prouvera le contraire. Ou plutôt une œuvre ambivalente, entre opéra et oratorio, abstraction et expression, lyrisme et symphonie, Wagner et Gluck – Schola Cantorum oblige ? Si l’on en croit Nicolas Boiffin, c’est au modèle de la tragédie lyrique du XVIIIe siècle que se réfère Magnard, « comme un modèle d’unité entre drame et musique ». D’où la dénomination de « tragédie en musique » choisie pour désigner Guercœur.

Au-delà des questions de forme, demeure une partition profuse, irriguée par l’orchestre, œuvre d’un grand symphoniste que Gaston Carraud, premier biographe de Magnard, définissait comme « un immense lied, dont la partie centrale – le deuxième acte – serait en forme sonate ».

5. Le héros

A l’instar de l’opéra, la voix de Guercœur a-t-elle été forgée dans l’acier wagnérien ?  Oui, si l’on en juge à la force et l’endurance exigée par une écriture tendue. « Souvenir des colères de Wotan, des invectives de Telramund, des éclats désespérés du Hollandais ? », interroge Didier van Moere dans L’Avant-Scène Opéra avant de constater que « l’aigu ne s’émet pas toujours en force, loin de là, nécessitant une grande souplesse d’émission ». Bien qu’héroïque, le baryton de Guercœur reste héritier de la tragédie lyrique. Sa filiation gluckiste lui impose de savoir user d’un chant déclamatoire, qui implique largeur, puissance et camaïeu expressif, sans parler bien sûr d’une articulation irréprochable de la langue française.

Cet art de la déclamation, cette palette de nuances, cette maîtrise de la diction veulent un chanteur à la fois « grand baryton d’opéra et subtil mélodiste », conclut Didier Van Moere avant de tracer le portrait vocal d’Arthur Endrèze, le créateur de Guercœur  qui enregistra en 1933 « le calme rentre dans mon cœur » (en ligne sur YouTube) : « une voix superbement timbrée, au métal franc, une émission ductile qui rend insensible le passage des registres, en particulier vers l’aigu […] Une ligne de mélodiste aussi, où se coule naturellement le mot, dont l’articulation restitue tout le sens avec une clarté dont toute la critique s’enchanta ». C’est dire la difficulté du rôle dont il reviendra à Stéphane Degout sur la scène de l’Opéra national du Rhin de résoudre la dualité.

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