Voilà qu’au lendemain du solstice d’été, un délicat parfum de vacances vient nous chatouiller délicieusement les narines. Ce sont en effet indubitablement des effluves pesarese qui flottent ce soir dans la salle du Théâtre des Champs Elysées, anticipant le Rossini Opera Festival (le ROF pour les intimes , qui a lieu tous les ans en août, dans la ville natale du compositeur). Tout y concourt : l’œuvre évidemment, mais aussi un chef, Michele Mariotti, lié indélébilement à Pesaro, ne serait-ce que par sa naissance, un orchestre qui a fait les beaux soirs du ROF et une distribution qui ne déparerait pas aux abords de l’Adriatique (la plupart des chanteurs réunis ce soir sont d’ailleurs des habitués du festival).
Le premier artisan de la réussite est sans nul doute le jeune chef italien, à la tête de l’Orchestre du Teatro Communale di Bologna dont il est le directeur musical depuis 2015. Dès l’ouverture on sent que la soirée sera réussie : le chef varie les reprises du thème, maîtrise les crescendi avec maestria. Tout au long de la soirée, il relance sans cesse l’attention, varie les climats, surprend par certains détails, sans que cela nuise à l’unité ou au souffle de l’ensemble. Preuve, si nécessaire, de l’excellence de la préparation, les ensembles sont parfaitement réglés (en particulier le septuor déchainé qui conclut le premier acte). Les musiciens de l’orchestre le suivent jusque dans ses tempi échevelés, tout en conservant leur sonorité caractéristique, en particulier du côté des vents (on citera pour l'exemple le superbe solo de flûte qui introduit le « Per lui che adoro »). Les interventions des chœurs masculins du Teatro Communale di Bologna finissent de convaincre que Bologne possède décidemment une maison d’opéra de premier plan.
Pris individuellement, on pourrait toujours trouver à redire sur chaque chanteur, mais ensemble ils forment une distribution enthousiasmante. On sent d’ailleurs une vraie complicité (ils ont tous participé à une générale à Bologne avant la tournée à Paris, mais surtout ont souvent partagé la scène, et ça se voit !) : la présence des pupitres n’empêche pas le trépidant théâtre rossinien de pétiller et aux personnages de prendre vie. Ça cabotine bien un peu mais l’œuvre s’y prête et surtout cela ne nuit en rien à la probité stylistique des protagonistes : les spécificités de l’écriture vocale virtuose rossinienne, tel le chant syllabique rapide, n’ont pas de secret pour eux.
L’Isabella de Mariana Pizzolato subjugue par son mezzo long et moiré. La voix semble couler, homogène et sans dureté aucune, cascadant ses vocalises sans effort apparent. Qui peut résister à son « Per lui che adoro », tour à tour caressant et mutin ? Que ce soit dans la pure virtuosité ou dans l’expression, elle peut faire la fierté des femmes italiennes. Face à tant d'onctuosité, pouvait-on imaginer plus opposé que le ténor un peu pointu d’Antonino Siragusa ? Le « Languir per una donna » appellerait timbre plus moelleux et aigus plus ductiles, pourtant le ténor sicilien tire son épingle du jeu, faisant preuve de nuances, et profitant de sa projection insolente pour briller dans les ensembles.
Mustafa (Carlo Lepore) impressionne par son volume (ses « Papataci Mustafa » font trembler les murs). Le timbre plutôt rocailleux peut surprendre, mais le chanteur, familier des rôles de basses bouffes rossiniennes, ne fait qu’une bouchée des embuches techniques pour donner vie à un tyran pitoyable d’une grande drôlerie. A l’inverse, la timidité dans l’incarnation est justement la seule réserve que l’on pourra faire au Taddeo de Roberto de Candia. Vocalement, le baryton italien a de la puissance et maîtrise aussi bien que ses comparses l’alphabet de l’écriture vocale rossinienne, mais ce pleutre personnage autoriserait davantage de vis comica et d’exagération.
Lavinia Bini, enfin, est une Elvira est suffisamment sonore dans les ensembles (tout comme sa suivante Zulma – Cecilia Molinari) bien qu’un peu raide d’émission, tandis que le jeune baryton Andrea Vincenzo Bonsignore, Hali bien chantant, se tire parfaitement de son air de sorbet.
Opéra-bouffe en deux actes (1813) composé par Gioachino Rossini sur un livret d’Angello Anelli.
Créé au Teatro San Benedetto à Venise le 22 mai 1813
Edition critique de A. Corghi éditée par la Fondation Rossini de Pesaro en collaboration avec Ricordi, Milan
Isabella
Marianna Pizzolato
Elvira
Lavinia Bini
Mustafà
Carlo Lepore
Lindoro
Antonino Siragusa
Taddeo
Roberto De Candia
Zulma
Cecilia Molinari
Haly
Andrea Vincenzo Bonsignore
Chœur du Teatro Comunale di Bologna
Chef des chœurs
Andrea Faidutti
Orchestre du Teatro Comunale di Bologna
Direction musicale
Michele Mariotti
Paris, Théâtre des Champs Elysées, le vendredi 22 juin 2018, 20h
VOUS AIMEZ NOUS LIRE…
… vous pouvez nous épauler. Depuis sa création en 1999, forumopera.com est un magazine en ligne gratuit et tient à le rester. L’information que nous délivrons quotidiennement a pour objectif premier de promouvoir l’opéra auprès du plus grand nombre. La rendre payante en limiterait l'accès, a contrario de cet objectif. Nous nous y refusons. Aujourd’hui, nous tenons à réserver nos rares espaces publicitaires à des opérateurs culturels qualitatifs. Notre taux d’audience, lui, est en hausse régulière avoisinant les 160.000 lecteurs par mois. Pour nous permettre de nouveaux développements, de nouvelles audaces – bref, un site encore plus axé vers les désirs de ses lecteurs – votre soutien est nécessaire. Si vous aimez Forumopera.com, n’hésitez pas à faire un don, même modeste.
Et maintenant ? Ces deux mots résument le débat gigantesque qui occupé le back-office lyrique.
© 2018 - Mentions légales - Tous droits réservés - Publicité - Site réalisé par Damien Ravé