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Adèle Charvet : « J’ai été biberonnée à Bartoli »

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Interview
27 mars 2024
A quelques jours de sa première Angelina dans Cenerentola à Toulouse, Adèle Charvet évoque ce rôle ainsi que sa carrière

Infos sur l’œuvre

Détails

Vous êtes attachée à certaines maisons, pour y avoir vécu de beaux moments artistiques, comme Bordeaux. Qu’en est-il de Toulouse ?
J’ai des liens très forts avec Toulouse. Le directeur du Capitole Christophe Ghristi attache de l’importance à fidéliser ses chanteurs, et notamment les jeunes chanteurs français qu’il fait revenir tous les ans ou tous les deux ans pour des rôles toujours plus intéressants. Ainsi c’est ma troisième production ici après le rôle de la troisième fille fleur de Parsifal et surtout il m’a fait le cadeau de m’offrir Rosina il y a deux ans, alors que j’étais enceinte de six mois et demi.
Angelina donc, c’est votre prise de rôle.
Oui, Cenerentola était un rêve depuis plusieurs années. J’ai auditionné il y a quatre ans pour ce rôle et pour celui de Rosine au cours de la même journée, et c’était justement pendant les répétitions de Parsifal, ici à Toulouse !  Par rapport à Rosine, c’est un Everest. C’est pour moi un cran au-dessus dans la difficulté parce que d’un point de vue vocal et théâtral, ce rôle est plus complet. On passe des vocalises ultra-rapides en passant par le sillabato jusqu’au grand lyrisme (dans le sextuor de l’acte II). L’autre grande difficulté c’est d’être capable de se ménager sans pour autant « sous-chanter » parce que le grand final est à la fin. C’est un air absolument délirant et un immense challenge pour la voix. Il faut s’économiser, garder de la batterie pour la suite, tout en profitant de ces moments importants sur scène.
Pour ce « Nacqui all’affanno » justement, enregistré des milliers de fois, vous êtes-vous inspirée ?
Il ne serait pas très honnête de dire : « je n’écoute rien et je vous donne ma version ! ». Bien sûr, on a envie d’apporter de soi, mais il y a aussi une tradition qu’il ne faut pas ignorer.
Alors, Bartoli, Garanča, Berganza ?
C’est drôle, parce que j’ai été biberonnée à Bartoli et pourtant il m’a fallu m’en affranchir, parce que nous n’avons pas du tout les mêmes voix. Parfois je me dis : « là je viens de prendre un tic de Bartoli ! », simplement parce que j’ai l’ai écoutée toute ma vie. J’ai énormément écouté Garanča, cela m’a beaucoup apporté. Mais Garanča c’est insolent quand même : une voix si grande et si belle, capable de vocaliser comme elle le fait, c’est assez incroyable.
Avez-vous trouvé votre voie entre tous ces modèles ?
Disons que je suis assez sûre de moi dans ce que j’ai à donner dans ce rôle-ci. En revanche j’espère que j’en chanterai plein d’autres et que mon interprétation évoluera au fil des ans. Dans cette mise en scène [Barbe & Doucet], il y a beaucoup de contraintes et peut-être qu’avec davantage de libertés je pourrai dire davantage. Mais ma voix se sent particulièrement bien dans ce rôle-là ; elle a en effet gagné en moelleux et dans le grave depuis que je suis devenue maman.
Vous êtes à un moment de votre carrière où vous pouvez déjà commencer à regarder derrière vous tout en vous projetant vers de nouvelles perspectives. Tout à l’heure nous évoquions la troisième fille fleur. Ne pourriez-vous pas être tentée par Erda ?
Peut-être dans dix ans !? Ce serait merveilleux un jour ; actuellement je n’ai pas le spinto dans la voix ni ce qu’il faut pour faire face à l’orchestre wagnérien. J’aime beaucoup écouter Wagner, mais je me dis qu’actuellement je ne fais pas partie de ce monde-là. Vivre dans l’univers wagnérien, je trouve que c’est psychologiquement difficile ; je me suis toujours dit en écoutant la musique de Wagner, et c’est d’ailleurs pour cela que je l’écoute avec parcimonie, que c’est comme s’il nous manipulait par la musique et la dramaturgie. Pendant Parsifal, j’en rêvais la nuit, j’avais besoin d’en sortir.
Dans l’idéal, quels rôles Adèle Charvet aura-t-elle pris dans dix ans ?
Dans dix ans j’espère avoir fait Charlotte plusieurs fois, Carmen plusieurs fois, avoir touché Octavian du doigt, c’est un grand rêve pour moi. L’allemand est une langue qui m’est très familière. Avant ça, il y a un tas de choses qui sont évidentes pour ma voix et que je n’ai pas encore chanté. Je pense à Dorabella, Sesto à la fois dans Giulio Cesare et dans la Clemenza. Je chanterai mon premier Chérubin l’an prochain à Glyndebourne. Tous ces rôles mozartiens qui sont parfaits pour ma voix et que je n’ai pas encore faits. Il y a aussi beaucoup de rôles haendéliens qui me tombent dans la voix comme une robe sur mesure, si je puis dire et que je n’ai pas encore chantés, même si je vais faire l’année prochaine mon premier Ariodante. J’aimerais aussi chanter davantage Cavalli, Monteverdi. Dans un tout autre registre, j’ai eu la chance de chanter Mélisande il y a quelques années, je rêve de rechanter cette partition miraculeuse toute ma vie !
Récital ou scène ?
Ce n’est pas vraiment le même métier. J’ai toujours besoin de l’un pour nourrir l’autre. Je me sens de plus en plus à la maison sur une scène d’opéra mais pendant longtemps ma maison c’était l’intimité du récital et la possibilité de regarder les gens dans les yeux et de les « cueillir » ; c’est là que je trouve le plus grand abandon. Malheureusement il y a une certaine frilosité à programmer la mélodie et le lied, c’est très dommage. Je demeure fidèle en réalité à ma formation initiale : j’ai commencé la musique en faisant du chœur ; j’ai aussi besoin de ce format chambriste.
La mise en scène.  Vous est-il arrivé d’être en difficulté, ne serait-ce que philosophique, avec une mise en scène ? Ou au contraire d’être en symbiose avec un metteur en scène ou un chef.
Oui bien sûr ; mais le problème c’est celui du rapport de force. On n’a pas toujours l’espace de dire ce que l’on voudrait et de dialoguer. Tout jeune chanteur vit dans un monde précaire et ne se sent pas toujours le droit de dire les choses. Le débat ancien vs moderne est une fausse question et revient à introduire le débat woke vs non woke dans l’opéra et cela n’a pas lieu d’être. Il y a des mises en scène anciennes qui sont barbantes et les mises en scène moderne formidables. La question c’est le respect. Il m’est arrivé de questionner des choix et de pouvoir en parler.
Laurent Pelly par exemple bien que je n’ai jamais encore travaillé avec lui, m’inspire beaucoup : il est le génie du gag ! Par ailleurs, le Requiem de Mozart par Castellucci à Aix-en Provence a aussi été pour moi un grand moment de musique et de poésie.
Chez les chefs j’admire beaucoup Raphael Pichon et son ensemble Pygmalion avec qui j’ai fait une tournée. Il a une capacité à fédérer le groupe vers un idéal très précis et fort. Par ailleurs c’est quelqu’un qui est toujours dans la bienveillance. En revanche, j’ai travaillé avec l’un des chefs les plus tyranniques qui soit. Il faut être très armé, parce que même si l’on connait la valeur de son propre travail, on est quand même atteint par quelqu’un qui vous hurle dessus ! Aujourd’hui je serai plus armée pour me défendre. Heureusement il y a de moins en moins de gens comme cela. Et surtout ce n’est absolument pas nécessaire. C’est tellement plus facile de régner dans l’amour.
Des projets dans le lied ?
J’aimerais chanter davantage de lieder avec orchestre : j’adorerais m’approcher des Rückert, que j’ai déjà fait au piano. Les Kintertotenlieder, Les Nuits d’été m’intéressent beaucoup, je les ai déjà chantés une fois ainsi que le « Poème de l’amour et de la mer » de Chausson. Mais c’est « An die Musik » de Franz Schubert que je donne souvent en bis et qui est sans doute mon lied préféré.

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