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Cinq questions à Waut Koeken

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Interview
11 mai 2011

Infos sur l’œuvre

Détails

Waut Koeken, pour ses débuts en France, met en scène L’Enlèvement au Sérail de Mozart à l’Opéra National du Rhin (première le 10 mai). Il a travaillé comme assistant metteur en scène de Robert Carsen, Bob Wilson, David McVicar, Christof Loy et Andreas Homoki. Puis il a signé les mises en scène de La Flûte enchantée de Mozart dans une adaptation pour enfants, La Strada de Luc Van Hove d’après Fellini (une création), Aladin de Nino Rota, spectacle repris la saison dernière à l’OnR et de bien d’autres opéras à travers le monde.

   

 

 
Machiniste, accessoiriste, sonorisateur, directeur de production, décorateur, dramaturge : vous avez fait bien des métiers avant d’aborder la mise en scène d’opéra. Quand avez-vous osé franchir le pas ?

J’avais environ 14 ans quand j’ai découvert l’univers de l’opéra, un coup de foudre ! Adolescent, j’ai rêvé de travailler dans ce domaine mais je m’estimais trop timide et introverti pour envisager d’aborder la mise en scène,  je croyais cette étoile d’autant plus inaccessible que je n’avais suivi aucune formation théâtrale. J’ai donc entrepris des études de philosophie, me destinant à l’éducation ou la recherche. Comme il fallait que je finance mes études, j’ai cherché et trouvé divers emplois à l’opéra, ce qui m’a permis de prendre les plus belles leçons de théâtre. Comme je suivais passionnément toutes les répétitions depuis les coulisses, j’ai pu admirer de près le travail de nombreux metteurs en scène si bien que j’ai pris conscience de la complexité de l’organisation, sur le plan technique autant qu’artistique. Cela m’a également permis d’approfondir et d’élargir ma connaissance du répertoire. Aujourd’hui, je me sens privilégié d’avoir bénéficié d’un tel apprentissage. La philosophie m’a formé sur le plan théorique et les diverses fonctions que j’ai remplies à l’opéra m’ont permis d’acquérir une formation pratique : le théâtre ne s’apprend qu’au théâtre. C’est ainsi que j’ai fini par envisager de devenir metteur en scène. Toutefois, pour passer à l’action, il faut être soutenu. Le rêve est nécessaire et merveilleux mais quelqu’un d’autre que vous doit y croire pour qu’il se réalise. Si j’étais peintre ou poète, j’aurais fait mes premiers pas dans le confinement de ma chambre mais un opéra ne se crée pas sur une toile ou une feuille de papier… La chance m’a souri le jour où un petit festival m’a offert la possibilité d’adapter pour les enfants La Flûte enchantée de Mozart. Avec moins de quatre sous, mais entouré d’une troupe de jeunes chanteurs passionnés, nous avons donné le meilleur de nous-mêmes. La représentation a retenu l’attention du Théâtre Royal de la Monnaie ainsi que de Marc Clémeur, alors directeur du Vlaamse Opera. Il a cru en moi. C’est lui qui m’a ouvert les portes de la scène lyrique, il m’a confié la création mondiale, au Vlaamse Opera, de La Strada, un opéra de Luc Van Hove d’après Fellini. J’étais très jeune à ce moment-là et relativement inexpérimenté, il prenait un risque énorme en m’engageant. C’est le succès de cette production qui m’a propulsé dans la carrière de metteur en scène.

Comment est née votre conception de la mise en scène de L’Enlèvement au Sérail ?

Au début, j’ai travaille seul, j’ai écouté et réécouté la musique afin d’entendre battre le cœur de l’œuvre, base de mon interprétation. J’ai ainsi pu constater que L’enlèvement au Sérail traitait de l’amour et de la fidélité, mais aussi de l’apprentissage émotionnel et érotique de deux jeunes femmes. L’Enlèvement au Sérail préfigure non seulement Cosi fan tutte mais encore La Flûte enchantée. Bien au-delà de la petite histoire d’un enlèvement au sérail, la musique pose des questions existentielles pertinentes. Son écoute m’a convaincu que le contexte orientalisant ‒ question importante pour l’interprétation de cet ouvrage ‒ n’était pas fondamental. La musique « turque », utilisée uniquement dans l’ouverture, les chœurs et, parcimonieusement, dans les airs d’Osmin, semble inspirée de Gluck. Il existait au XVIIIe siècle une fascination artistique pour l’Orient, mais un Orient de rêve et de mystère plutôt qu’une contrée géographiquement concrète. Dans ce cadre orientalisant, les artistes occidentaux pouvaient donner libre cours à leur imagination, rêver de liberté érotique et d’enlèvement. Avec L’Enlèvement au Sérail,  je n’ai pas souhaité raconter un conte de fée burlesque, ni établir un parallèle des différences culturelles entre l’Orient et l’Occident, j’ai voulu rendre hommage au drame intérieur tel que l’a écrit Mozart en le replaçant dans son cadre imaginaire de turquerie, afin de souligner la gravité qui se cache derrière la légèreté de cet Orient de fantaisie. Mozart nous montre clairement les méandres de deux relations à trois personnes et dans ces luttes amoureuses, les frontières entre cultures deviennent très vagues. Tous les personnages sont des amants qui errent et se perdent dans un labyrinthe émotionnel. De cette façon, la désorientation devient la clef de voûte  de l’Orient imaginaire, à l’arrière-plan de cette narration.

Quelle est la nature de votre collaboration avec le directeur musical Rinaldo Alessandrini ?

Le travail d’équipe avec le Maestro devient crucial à partir des répétitions. Son choix d’interprétation musicale enrichit la dramaturgie : les tempi, les relations entre les différents airs, la durée des silences, le phrasé, les ornements sont tous cruciaux pour l’élaboration et l’évolution psychologique des personnages ; le déroulement musical rythme le déroulement théâtral de la représentation. De cette façon, un bon chef d’orchestre est toujours le co-metteur en scène d’un opéra. Rinaldo comprend merveilleusement la théâtralité de Mozart ; de plus, son approche historisante de la musique de Mozart renforce son génie du renouvellement et son originalité.

Pouvez-vous nous résumer ce que vous avez dit aux chanteurs à la première répétition scénique, lors de l’exposé de votre conception ?

L’exposé de la conception s’est concentré sur le thème central de l’œuvre où les six personnages sont, en quelque sorte, des prisonniers de l’Amour. Je ne voulais pas mettre l’accent sur le clash of cultures entre l’Est et l’Ouest ‒ on ne retrouve pas assez d’arguments dans le texte et dans la musique pour soutenir cette thèse ‒ mais plutôt sur des situations où, dans un couple, l’Autre devient un étranger. Cette étrangeté que représente l’Autre, et finalement nous-même, joue un rôle important dans notre interprétation. En analysant honnêtement la vie sentimentale de chaque personnage, j’ai demandé aux chanteurs de faire avec moi un théâtre de l’âme. Chaque personnage est pris au sérieux : par exemple Osmin ne doit pas être une caricature bouffe sous peine de retomber dans un burlesque qui à mon avis n’a plus rien à nous raconter aujourd’hui. Mozart a donné à ce personnage des phrases d’une beauté et d’une mélancolie extraordinaires, il possède une grande richesse émotionnelle et aime vraiment Blondchen. J’ai également expliqué aux chanteurs que l’Orient était un espace psychique, un endroit de l’âme où les jeunes amants vont se retrouver confrontés à l’expérience profonde que l’amour n’est pas évident, qu’il existe d’autres possibles de l’amour, qu’il faut renoncer à un amour pour en gagner un autre. Après l’exposé du premier jour, la conception ne s’est pas figée. Elle a continué d’évoluer au jour le jour, au cours des répétitions. Le questionnement se poursuit et nous nous remettons tous en cause. Ainsi Carmen van Nyvelseel n’hésite pas à adapter la conception d’un costume, ou même à la modifier en fonction des interprètes ou de leur propre interprétation. Cette semaine encore, la dernière avant la générale piano, de nouveaux sentiments, de nouvelles visions ont surgi. Le discours continue. C’est l’Amour qui aura le dernier mot.

Quels opéras aimeriez-vous tout particulièrement mettre en scène ?

Deux ouvrages me fascinent tout particulièrement en ce moment : La Mort à Venise de Benjamin Britten, un chef d’œuvre absolu, et puis l’œuvre ultime : La Flûte enchantée, qui contient toute la vie. J’espère également pouvoir monter un jour un Verdi : il fut mon premier grand amour. J’ai une grande estime pour Jacques Offenbach et  j’aimerais mettre en scène son  Voyage dans la Lune ‒  un opéra méconnu, mais quelle satire ! Et, puisque nous nous risquons dans le domaine des rêves, si un jour un compositeur daignait mettre en musique le superbe roman The Passion de Jeanette Winterson, j’ose espérer qu’on penserait à moi pour la mise en scène… Le futur proche m’apporte trois projets fort excitants : je vais me confronter pour la première fois à Wagner, plus spécifiquement Die Feen que je dois adapter pour des enfants – j’adore travailler pour les enfants ! Je travaille également sur une création mondiale : Der Turm de Claude Lenners, au Grand Théâtre de Luxembourg, un opéra pour lequel j’ai écrit un livret adapté d’un texte étrange mais fabuleux de Peter Weiss. Et puis je me réjouis d’être à nouveau invité à l’Opéra national du Rhin, en décembre, pour mettre en scène ce superbe ouvrage qu’est La Chauve Souris.

Propos recueillis par Elisabeth Bouillon

Wolfgang Amadeus Mozart, Die Entführung aus dem Serail à l’Opéra National du Rhin, du 11 mai au 2 juin 2011. Plus d’informations sur www.operanationaldurhin.eu.

Waut Koeken © DR

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