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METZ
07/03/2004

(Thomas Adès)
Thomas ADÈS (né en 1971)

Powder her face

Opéra en huit scènes sur un livret de Philip Hensher
Production de l'Opéra de Nantes

Direction musicale : Philip Walsh
Mise en scène : Laurence Dale
Décors et costumes : Tom Schenk
Éclairages : Dominique Borrini
Créateur d'images et dramaturge : Olivier Meyrou
Chef de chant : Noémi Biro

Duchess : Sally Silver
Maid, Confidante, Waitress, Mistress, Rubbernecker, Society Journalist : Heather Buck
Electrician, Lounge Lizard, Waiter, Rubbernecker, Delivery Boy : Andreas Jaeggi
Duke, Hotel Manager, Laundryman, Other Guest, Judge : Jonathan May

L'Orchestre imaginaire
Quatuor Melodia
Ballet de l'Opéra de Metz

Opéra-Théâtre de Metz, 7 mars 2004



Né en 1971, le Londonien Thomas Adès devient compositeur en résidence de l'Orchestre Hallé à sa sortie de l'Université de Cambridge. On connaît surtout de lui Living Toys, commande du Sinfonietta de Londres, et cet unique opéra, Powder her face. Mais il y a aussi à découvrir Five Eliot Landscapes, la Chamber Symphony, créée en 1993 par l'Orchestre philharmonique de la BBC, The Origin of the Harp (1994) et These Premises are Alarmed pour l'inauguration du Bridgewater Hall en 1996. Thomas Adès mène également une carrière de pianiste et chef d'orchestre et assume la direction artistique du Festival d'Aldeburgh.
Commandé par l'Opera Almeida pour le Festival Cheltenham en 1995, Powder her face peut être considéré comme un opéra de chambre, puisqu'il ne sollicite que quatre chanteurs et un ensemble orchestral de quinze instruments. C'est l'opus 14 au catalogue d'Adès, sa composition datant de 1994-95.

La création française de l'opéra eut lieu à Nantes, dans une production de Laurence Dale. Il est donc logique de la voir arriver à Metz, d'autant que dès sa création anglaise, l'ouvrage a connu une carrière magnifique pour un opéra contemporain. Est-ce la mention "pour public averti" de l'affiche ou le manque de curiosité ? La salle est loin d'être pleine, mais les absents ont, selon l'adage, bien tort, car "la" scène effectivement un peu scabreuse de l'acte I n'est qu'un épiphénomène (qui plus est justifié dramatiquement et musicalement) en regard de la formidable révélation musicale du talent de Thomas Adès et de la pertinence du travail scénique de Laurence Dale.

L'argument repose sur une histoire réelle qui défraya la chronique anglaise, celle de la Duchesse d'Argyll, aux moeurs plus que scandaleuses et au divorce tumultueux. Mais les faits ne sont que prétextes à une critique au vitriol des conventions de la société aristocratique, d'Angleterre ou d'ailleurs. Tout le monde en prend pour son grade, du duc cachectique et libidineux à sa maîtresse cynique, des serviteurs aux faux amis, des juges aux tabloïds... Toute une société du paraître et de l'hypocrisie, de l'argent et du pouvoir. Et pourtant, le livret est si habile que la tendresse ou la compassion des auteurs pour des personnages victimes avant tout de leurs propres faiblesses émeut en permanence et atténue ce que la charge pourrait avoir d'excessif. Féroce, oui, méchant, jamais. On rit souvent, un rire franc, complice, presque fraternel. Oui, ils sont décadents, ridicules, excessifs, menteurs et corrompus, mais ils nous ressemblent tant... Et au bout du compte, la morale est sauve, puisque la Duchesse finit bien par payer ses dettes, au propre comme au figuré.

Ah, cette Duchesse ! Magnifique personnage campé avec panache par Sally Silver, ambassadrice du rôle sur toutes les scènes. Tout au long des huit chapitres construits comme un film par flash-backs ou "flash-forwards" de 1934 (consécration de la débutante de l'année) à 1990 (chute définitive de l'héroïne après sa condamnation), la Duchesse se vautre dans un luxe réel ou imaginaire qui justifie à lui seul son existence : tout s'achète, un comte comme un garçon d'étage. Sauf qu'un importun finit toujours par présenter la facture... Sally Silver est somptueuse, plie sa voix aux caprices de la partition, parfois bien scabreuse, et réussit une transformation magnifique, dans le deuxième acte, hétaïre élégante et nymphomane devenue épave sublime et émouvante, rendant enfin les armes, dissoute dans les brumes de l'abandon et de l'oubli, scène finale bouleversante et admirablement réglée par Laurence Dale.

Autre révélation de la soirée, un feu follet nommé Heather Buck, voix radieuse et fluide, incroyablement ductile et virtuose, qui plus est belle et splendide comédienne. Endossant comme tous les chanteurs de l'ouvrage (sauf la Duchesse) plusieurs rôles, elle fait preuve d'une présence scénique et d'une faculté de transformation ahurissantes : l'air dans lequel, surgie d'une pièce montée, elle décrit les fastes du mariage chez les riches est un pur délice scénique et musical. A ses côtés, les deux hommes de la partition sont aussi désopilants, féroces, et magnifiques chanteurs. Ajoutons qu'à l'évidence tous se délectent de la partition vocale...

C'est peu dire qu'elle est d'une complexité et d'une richesse d'inspiration stupéfiantes quand on songe à l'âge du compositeur à l'époque, 23 ans. On soupçonne une culture musicale à l'évidence encyclopédique, tant les clins d'oeil assumés et parfois tendrement ironiques aux illustres prédécesseurs abondent : notes bleues échappées d'un jazz imaginaire, École de Vienne, cabarets de Berlin, scènes de Broadway, réminiscences de tangos mondains, parodies de crooners, effluves de Bernstein... La liberté d'écriture est totale. Ça virevolte, pas de répit, tirades en solo captivantes (pour la Duchesse, mais aussi pour un juge plus anglais que nature...), duo, trios, la musique est aussi sarcastique que le texte, elle en rajoute, c'est énoooooooooooorme parfois, poétique souvent, mais Dieu qu'on s'amuse ! Et que le chef et les musiciens, pas si imaginaires que ça, ont du talent. Décor à transformations astucieux quoique parfois bruyant, ballets cohérents, lumières ingénieuses. Laurence Dale fait monter tout le monde sur scène aux saluts de la première : ce n'est que justice.

De l'opéra contemporain comme cela, on en redemande... C'est plein d'esprit, pas une miette à jeter, pas une note, pas une scène... Thomas, à quand le prochain ?
 
 
 

Sophie ROUGHOL
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