C O N C E R T S 
 
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AIX-en-PROVENCE
deuxième volet
10
/07/06 & 11/07/06

Daniel Harding
Journal d’un festivalier

Aix en Provence, 10 juillet 2006

La Flûte est enchantée, mais le spectateur l’est moins !

Il est bien difficile de consacrer son énergie et son attention à la culture lorsque la France entière, dans chaque foyer et sur chaque terrasse de café, communie dans la passion du sport et l’exaltation sauvage du sentiment national, imposant à tous de partager son ivresse et ses espérances. Le festivalier consciencieux a pourtant des devoirs, même lorsque, comme hier soir, les hasards du calendrier provoquent la rencontre, en un combat bien inégal, entre la finale de la coupe du monde et le dernier opéra de Mozart, télescopage bien propre à notre époque et dont la culture ne sortira jamais vainqueur.

Certaines partitions sont sacrées ; non pas qu’elles soient meilleures que les autres, mais elles revêtent une dimension symbolique supérieure de par la place qu’elles occupent dans l’histoire de la musique ou dans l’imaginaire collectif, avec pour conséquence que celui qui s’y attaque se doit de réussir son coup. La Flûte Enchantée de Mozart fait partie de ces œuvres-là. Si la musique est sublime, le livret connaît ses faiblesses ; il est insaisissable, difficile à défendre, hésitant sans cesse entre la naïveté d’un conte de fée et la densité d’une fable métaphysique, rempli d’énigmes et d’invraisemblances, mais capable aussi de délivrer un véritable message de tendresse et d’humanité. C’est donc à la musique et à la mise en scène qu’il revient d’assurer la cohérence du spectacle, de lui donner un sens.

Cette démarche nécessaire est précisément ce qui manque au spectacle conçu par Krystian Lupa, metteur en scène accompli, qui a fait ses preuves depuis de longues années déjà au théâtre, mais qui aborde ici pour la première fois le monde de l’opéra.

Le dispositif scénique est minimal, fait de trois panneaux où s’ouvrent des portes, et sur lesquels on projettera quelques éléments de décor filmés. Les costumes sans couleur définissent un monde éteint (tant celui de la Reine de la Nuit que celui du Temple des Lumières), le tout est triste et gris, baigné d’une lumière chiche ; rien qui évoque la fable ou le merveilleux. Peu de mouvement, peu de décor, l’attention se relâche et le regard s’ennuie rapidement.

La caractérisation des personnages est à peine esquissée ; la dimension philosophique et humaniste du livret, le sens de cette double initiation, pourtant propice à bien des commentaires, sont à peine évoqués.

A la tête du Mahler Chamber Orchestra, Daniel Harding n’est pas non plus dans son meilleur jour : la partition est traitée sans rondeur, décomposée en toutes petites séquences isolées, avec une grande instabilité de tempo – au nom sans doute d’une certaine souplesse – créant entre la fosse et le plateau un dialogue incertain et difficile. Les voix sont pourtant à la hauteur : Pavol Breslik en Tamino tient vaillamment son rôle aux côtés d’une Pamina peu émouvante (Helena Juntunen) mais pas mauvaise et Papageno (Adrian Eröd) réussit comme toujours à s’attirer la sympathie des spectateurs. Olesya Golovneva parvient tout juste à dominer les difficultés vocales du rôle de la Reine de la Nuit, et le jeune Günther Groissböck prête son timbre exceptionnel à celui de Sarastro. Ni le Monostatos de Loïc Félix, plutôt fade, ni les trois dames (Sabina Cvilak, Barbara Heising et Julia Oesch) un peu désordonnées, ne parviennent à soulever réellement l’enthousiasme, de sorte que musicalement aussi, on manque de véritable satisfaction.

Faute d’émotion ou de magie, l’essentiel finit par manquer ; même le public mondain du Théâtre de l’Archevêché s’en rend compte !

C.J.

Aix en Provence, 11 juillet 2006

La canicule règne à Aix comme ailleurs, et le festivalier assoiffé de fraîcheur se réjouit lorsque le spectacle du jour l’emmène un peu en dehors de la ville, sous les arbres centenaires ou auprès des sources vives, au monastère du Grand Saint-Jean, par exemple, où se donnait à voir, hier soir, une représentation de l’Italienne à Alger, œuvre d’un Rossini de 21 ans - il compte pourtant déjà cinq opéras à son actif - créée à Venise en 1813.

Il s’agit d’une comédie, une œuvre de pur divertissement sans autre prétention que celle de faire rire, au livret très amusant, soutenu par une musique pleine de verve et de brio. On y retrouve les poncifs de l’exotisme en vogue au début du XIXème siècle : un sultan féroce, un prisonnier européen réduit en esclavage, des naufragés, le harem et ses eunuques, une belle histoire d’amour contrarié, tout ce qui pouvait faire frémir, rire et rêver le public de l’époque. Le livret offre cependant ceci de particulier qu’on y voit une femme européenne s’emparer de son destin et berner tout son entourage pour récupérer l’homme qu’elle aime – le fait est assez rare pour être souligné.

Sur le plan musical, outre une ouverture particulièrement brillante – et fort bien enlevée hier par le Mahler Chamber Orchestra que dirige Riccardo Frizza – la partition contient tous les procédés d’écriture qui caractérisent le jeune Rossini et requiert donc une virtuosité vocale sans faille. Sans la mise en scène simple et imaginative de Toni Servillo, il est probable que le spectacle n’eut pas tout à fait convaincu. C’est elle qui donne le ton, assure la cohérence de ces situations rocambolesques et offre un visuel éclatant de couleurs, sans cesse renouvelé, avec force détails ironiques qui captent le regard et l’esprit.

La distribution est relativement homogène : les voix sont jeunes, certes pas d’une qualité exceptionnelle. Elles ont cependant le bagage technique nécessaire pour affronter les redoutables vocalises rossiniennes, de sorte que l’ensemble fonctionne bien et offre une soirée agréable et divertissante. Le festivalier n’est pas obligé de partager l’avis de la critique française, qui, réunie en tribunal des flagrants délits un rang derrière lui, n’en finit pas d’exprimer son scepticisme aride, et de regretter le temps où Aix, souvenez-vous, c’était quand même autre chose.

Le rôle d’Isabella (Marilyn Horne y brilla à New-York en 1974) était chanté avec aisance par la mezzo hollandaise Christiane Stotijn, celui d’Elvira, autre mezzo, par Elisaveta Martirosyan, à la voix moins suave et celui de Zulma par Sabina Willeit. Leur donnait la réplique un jeune chanteur très prometteur, le russe Maxim Mironov (Lindoro), timbre idéal de ténor rossinien dont les vocalises, impressionnantes de souplesse et de facilité, recueillirent l’enthousiasme mérité du public ; la basse Marco Vinco (Mustapha) et deux barytons-basses, Giorgio Caoduro, excellent dans le rôle un peu ridicule de Taddeo et Ruben Drole dans celui de Haly, complétaient la distribution.

Le chœur des eunuques (Arnold Schönberg Chor), étonnament composé de ténors et de basses, se montra excellent de bout en bout, contribuant grandement, mais sans lourdeur, au comique des situations.



Claude Jottrand


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