C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
Lyon
12/12/2006
  
Franck Emmanuel Comte
© DR

AMADEO EN ITALIE


Motets de Mozart, Allegri, Leo, Martini, Speranza

Marina Venant, soprano
Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin, récitant

Le Concert de l’Hostel Dieu
(Ensemble instrumental et chœur)
Franck-Emmanuel Comte, direction

Lyon, Chapelle du Lycée Saint-Marc, 12 décembre 2006

A rebours


Quand l’année Mozart finit… Franck-Emmanuel Comte retourne aux sources ! Un postulat tout simple pour un fort beau concert : Mozart ; son voyage en Italie ; ce qu’il y entendit. Un petit ensemble (trois trombones et le continuo) ; un chœur ; un récitant pour nous donner lecture de la prose des Mozart père et fils.

Mais qui est Franck-Emmanuel Comte ? Qu’est-ce que Le Concert de l’Hostel Dieu ? Petit paragraphe militant à l’intention des non-lugduno-lyonnais. Le Concert  est LA formation baroque lyonnaise. Il œuvre depuis treize ans avec une belle constance autour d’un cœur de répertoire essentiellement dévolu aux musiques italiennes et françaises du premier XVIIIème siècle (et même avant). Ce petit monde travaille avec pas grand-chose ; pas grand-chose mais beaucoup d’inspiration… et même de talent. Voilà ! Le mot est lancé. Je ne retire rien.

Comte et son Concert sont surtout connus pour leur travail autour des fonds manuscrits des bibliothèques lyonnaises (ceux qui étaient à la Chaise-Dieu cet été le savent ; tout le monde le saura bientôt puisqu’une belle Sainte Ursule de Scarlatti père sort au disque). Alors pourquoi Mozart ? Pourquoi ce Mozart-ci ?

Parce que Comte a le goût des paradoxes. Parce que Comte sait peut-être, aussi, qu’un Requiem de plus n’aurait pas changé la face du monde ! Il faut être lucide. Alors il nous tire par la main ; nous sort des sentiers battus. Il remonte le fil de la carrière de Mozart ; nous le montre adolescent, l’imagination encore bien malléable. Il nous le montre sous la lampe, grattant ses papiers d’écolier avec attention. Il nous le montre, surtout, dans son temps, au milieu de ses pairs. Fut-il plus belle façon de dire que le génie c’est, avant tout, du travail, du travail et, vous savez quoi, du travail ?

Mozart aspirateur donc ! Mozart en plein exercice de style sous la férule de Martini, avec des pièces qui sentent bon leur contrepoint archaïque. Mozart dans les souliers de Monteverdi. C’est un peu le carnaval des talents. Merci monsieur Comte ! L’intérêt d’un Quaerite primum KV 86 ou d’un Kyrie KV 89 est peut-être documentaire, mais lire par-dessus l’épaule de Mozart est quand même bien grisant.

Et puis les noms abondent. Speranza (quel drôle de Miserere, si tumultueux, si opératique) ; Jomelli (oh ! l’éreintante et poignante Settima parola du Christ en croix) ; et même Domenico Scarlatti (quel tendre Confessor avec sa foi doucement adolescente) ; et surtout Allegri.

Quel Miserere ! Si dans des pièces peu connues on peut se dire que Comte, faisant œuvre de défricheur, peut éventuellement faire illusion, ici, le doute n’est pas permis. C’est à une belle main que l’on a affaire. A un chœur très subtil aussi (même s’il est parfois, subrepticement, pris en faute ; ce qui arrive à d’autres). Très plastique. Qui dessine des volutes séraphiques délicates comme un retable de Fra Angelico. Des volutes qui ont la grâce un peu froide de la peinture siennoise mais aussi son éclat ; sa ferveur maniérée… mais justement aussi sa manière ; sa manière qui est d’une orfèvrerie parfaitement maîtrisée.

En miroir direct lui répond un superbe De Profundis de Mozart (le Köchel 93) où Comte nous dévoile toute l’ampleur d’un propos qui dépasse un musicologisme souvent par trop stérile : celui de jeter un pont. Un pont qui embrasse toute la carrière de Mozart et qui nous montre qu’en 1771, le jeune Wolgang avait déjà, au bout de sa plume, bouillonnante, toute la sève doloriste qui allait nourrir son Requiem.

Il faut faire attention aux formations non-institutionnelles. Ne pas en faire cas, c’est s’exposer à manquer des moments de musique bien particuliers. Ceux qui n’ont pas entendu ce concert ne sauront pas comme Marina Venant pose délicatement sa voix sur le Confessor de Scarlatti ; ils ne sauront pas non plus comme le Miserere d’Allegri sonne bien dans ces gosiers gorgés de talent et de bonne volonté ; ils ne sauront pas, non plus, comme l’Ave verum corpus de Mozart, donné en bis à mi-voix, presque psalmodié, a touché au bouleversant. Ceux-là peuvent se renseigner pour connaître la suite de la saison de l’orchestre… Et les autres, comme moi, retourneront vite, vite au prochain concert.…


Benoît BERGER

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]