C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
LYON
14/10/05
© Franchella / Stofleth
(galerie de photos sur www.opera-lyon.com)
Richard STRAUSS (1864-1949)

ARIADNE AUF NAXOS

Opéra en un prologue et un acte 
Livret de Hugo von Hofmannsthal 

Zerbinette, Laura Aikin
La Prima Donna/Ariane, Kirsi Tiihonen
Le Compositeur, Lilli Paasiviki
Le Ténor/Bacchus, Robert Künzli
Arlequin, Markus Werba
Le Majordome, Heinrich Baumgartner
Un maître de musique, Paul Gay
Un maître à danser/Brighella, Eberhard Francesco Lorenz
Un Officier, Gérard Bourgoin
Un Perruquier, Brian Bruce
Un Laquais, Jean-François Gay
Naïade, Katrina Thurman
Dryade, Elodie Méchain
Echo, Virginie Pochon
Scaramouche, Jeroen de Vaal
Truffaldin, Jérôme Varnier

Orchestre de l'Opéra national de Lyon
Gérard Korsten

© Franchella / Stofleth

Mise en scène, Günther Krämer
Décors, Jürgen Bäckmann
Costumes, Falk Bauer
Eclairages, Christophe Forey

Lyon, le 14 octobre 2005

Saluée par la critique, couronnée même, la production que l'opéra de Lyon avait montée en 2002 retrouve donc les planches où elle s'était déjà illustrée. Vive, inventive, iconoclaste parfois, bigarrée souvent, elle suscite, avec le recul du temps, les mêmes applaudissements... les mêmes reproches aussi.

On aime toujours l'idée d'un prologue où l'orchestre, en tenue de ville, investit la scène comme pour une répétition improvisée. On aime de même la manière grouillante, presque brouillonne de la tenue de la direction d'acteurs, qui est l'essence même de la rhapsodique mise en abyme voulue par Hofmannsthal. On adore le caractère carnavalesque, techno-déjanté des personnages de la commedia dell'arte, comme l'acuité avec laquelle sont perçus par le metteur en scène les enjeux des intrusions comiques de l'acte serio. On se passionne, enfin, pour les multiples projections qui animent le fond de la scène, des variations modernistes alla Warhol collées sur les visions d'Ariane au tourbillon échevelé, gore, qui cache à peine la morbidité du propos sous le futile des déplacements de Zerbinette et de ses acolytes.


© Franchella / Stofleth

Le public aime, le public rit. Il rit même un peu trop et un peu trop souvent, dans l'acte surtout où l'acidité, le drame même, l'action en général paraissent toujours désengagés par le sourire, la virtuosité visuelle et technique de la mise en scène. GroBmächtige Prinzessin en pâtit sans doute beaucoup, alors même que Zerbinette tombe justement le masque au sens propre du terme, perd ses habits de cocotte, à rester dans l'entre-deux de la farce et du faux-semblant. Petit reproche donc, mais reproche quand même, car l'oeuvre ne gagne jamais que dans l'équilibre des genres, drame et comédie. 

Vocalement, le plateau se sera magistralement illustré par les dames. Pas par ses nymphes, mal appariées de vocalité (et ce n'est pas de leur faute car leur vocalité, justement, est exquise), trop chichiteuses aussi (ce dont, là encore elles ne sont pas responsables) sans l'hédonisme assumé du "doux vol de l'onde".

Mais quelle Ariane ! Princesse marmoréenne qui peine un peu à s'humaniser, mais technicienne parfaite (quels sons filés pour Ein schönes war) embrasée pour une scène finale vertigineuse, brillante, mais aussi moelleuse de timbre, irradiante de féminité, généreuse, et tout simplement belle.


© Franchella / Stofleth

Quel Compositeur aussi que celui de Lilli Paasiviki. Fricka, bientôt, à Aix, le mezzo porte plutôt bien le travesti. Mieux, elle porte en elle le lyrisme tendu, profus, lumineux des artistes élevées sous le soleil de minuit. Juvénile, ardent, furieux, vocalement souverain (proche par l'engagement comme par l'éloquence d'une Varady), son jeune Compositeur restera dans les annales comme un des rares à ne pas faire regretter (faute de vraiment faire oublier) les Seefried, Jurinac, Troyanos et Baltsa passées... Mieux, son hymne final à la Musique soulève, parcouru d'émotion, un frissonnement presque amoureux.

Quelle Zerbinette enfin ! Laura Aikin était de la création de cette production. Elle revient, triomphatrice par avance d'un rôle qu'elle maîtrise comme peu. Au coma, à la croche près il y aurait pourtant bien à redire. Cette Zerbinette-là n'est pas vocale ou du moins pas seulement. Le timbre est... viennois. Les yeux fermés, on croirait entendre Erna Berger (ce qui n'est du reste pas une insulte). La voix en elle-même est sans apprêts, la projection moyenne, le trille pas franchement exemplaire et le suraigu (qui fait une Zerbinette comme un contre-fa une Reine de la nuit) aussi peu stratosphérique que possible. Il y aura même quelques petits accidents qui rappellent la bien faillible humanité de la dame. Osera-t-on dire aux musicologues pointilleux, aux névrosés du papier réglé, que l'on en a cure ? Eh bien ! Après tout oui ! Parce que justement, la Zerbinette de Laura Aikin traverse l'opéra en maîtresse de jeu fidèle à elle-même, à sa philosophie d'une vie sans entrave, à sa philosophie de la douleur aussi, de la déception. Sa compréhension du rôle est hors de portée, littéralement. De là son rondo prend un relief saisissant, d'un abattage brillant mais surtout d'une violence, d'une résignation épuisée où la jubilation va de pair avec les larmes... Magnifique Laura Aikin.


© Franchella / Stofleth

Autour, le quatuor des saltimbanques exulte, virevolte, emporte. Markus Werba (exceptionnel Papageno sur cette même scène) donne un Arlequin vibrant, jouisseur et jouissif, gouleyant de timbre... Un Hermann Prey en puissance !

On passera rapidement sur un Bacchus trompetant, qui n'a guère pour lui que sa quinte aiguë (encore n'est-elle ni très libre, ni très juste). Strauss, dit-on, n'aimait pas les ténors... Celui-ci ne les lui aurait pas fait plus aimer. Passons !

L'orchestre, enfin, donne une prestation solide à défaut d'être vraiment géniale. C'est que Korsten est plus à l'aise dans le lyrisme de l'acte que dans les incises virtuoses du prologue. Le monologue d'Ariane, la scène finale en paraîtront magistralement menés, emportés par un souffle large, amoureusement calculé, par un son cossu, chaleureux, enflammé. Le reste aura mis à jour, en contrepartie, de petits décalages, des incertitudes d'intonation qui passent dans le mouvement de l'action, bien vite oubliés.

Un trio gagnant chez les dames donc, une mise en scène intelligente et brillante... Bis !!!
 
 

Benoît BERGER
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]