C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
08/11/04

© Eric Mahoudeau
Richard STRAUSS (1864-1949)

Ariane à Naxos
(Ariadne auf Naxos) 

Opéra en un acte et un prologue
Livret de Hugo von Hofmannsthal

Mise en scène : Laurent Pelly
Décors : Chantal Thomas
Costumes : Laurent Pelly
Lumières : Joël Adam

Der Komponist : Sophie Koch
Zerbinetta : Lubov Petrova
Primadonna/Ariadne : Solveig Kringelborn
Der Tenor/Bacchus : Janez Lotric
Der Haushofmeister : Graham F. Valentine
Harlekin : Stéphane Degout
Tanzmeister : Xavier Mas
Scaramuccio: Daniel Norman
Truffaldino : Alexander Vinogradov
Echo : Sine Bundgaard
Najade : Ekaterina Siurina
Dryade : Svetlana Lifar
Ein Offizier : Mihajlo Arsenski
Ein Musiklehrer: Olaf Bär
Brighella: Ales Briscein
Ein Lakai : Yuri Kissin
Ein Perückenmacher: Walter Zeh

Orchestre de l'Opéra National de Paris
Direction musicale : Philippe Jordan
 
Bastille, le 8 novembre 2004


RECALÉ À L'EXAMEN DE PASSAGE

La production de Laurent Pelly, créée avec grand succès au Palais Garnier en novembre 2003, nous revient cette fois à Bastille.

Une idée qui pouvait surprendre tant elle fait fi du caractère intimiste de l'ouvrage (rappelons que la précédente production de l'Opéra de Paris avait été donnée Salle Favart). D'un autre côté, l'acoustique de Garnier est plutôt adaptée aux grandes voix (et aux ouvrages qui vont avec) ; à l'inverse, les Nozze ou le Barbiere passent bien la rampe à Bastille (mais les chanteurs y sont-ils "aidés" ?) : le pari d'une Ariadne dans ces lieux pouvait donc être légitimement tenté.

Le résultat, du moins au parterre, est hélas décevant : les ensembles sont confus, les timbres des voix insuffisamment dissociés ; la fosse étant toujours surélevée, l'orchestre s'avère omniprésent ; toutefois, compte tenu de l'orchestration, les chanteurs ne sont pas couverts au prologue (sauf dans les dix dernières minutes) ; avec leurs réserves de puissance, Solveig Kringelborn et Janez Lotric triomphent de l'instrumentation plus touffues de l'opéra, mais leurs partenaires ont du mal à faire aussi bonne mesure. 

Si la balance voix/orchestre ne pose donc pas trop de problèmes pour ce spectacle, la surélévation de la fosse a une autre conséquence, à savoir la modification de la balance des instruments entre eux : les cuivres sonnent trop fort, l'orgue résonne comme une sonnerie de téléphone portable et la couleur d'ensemble est excessivement sèche.

Les directions précédentes avaient mis près de dix ans à caler correctement la hauteur de la fosse : il serait sage de revenir rapidement à sa position antérieure.

La production de Garnier est reprise avec quelques modifications, la scène de Bastille n'étant pas utilisée dans toute sa profondeur. La raison en est sans doute l'alternance des spectacles, mais il est amusant de constater que Bastille dispose de ressources moindres que Garnier !

A première vue, la mise en scène de Pelly fonctionne bien : les chanteurs sont dirigés au millimètre, le décor est fonctionnel, les costumes sympathiques...

A y regarder de plus près, elle n'évite pas un certain nombre de contresens dont on éprouve du mal à saisir la légitimité : l'arrivée sur le devant de la scène d'un Bacchus mal fagoté et au bord de l'épuisement (confusion avec l'entrée de Siegmund à l'acte I de Walkyrie), l'abandon final d'Ariane par Bacchus (écho de la scène finale des Troyens ?), la clochardisation d'Ariane (réminiscence de Sur le banc avec Raymond Souplex et Jeanne Sourza ?), la transformation des personnages de la commedia dell'arte en touristes italiens franchouillards (hommage aux Bronzés ? Non ! A La Belle Hélène du même Pelly ...) 

Beaucoup plus que de simples détails, on le voit : ainsi, l'opposition entre le théâtre populaire italien et la musique "sérieuse", germanique, à la manière de la Querelle des Bouffons, est l'un des thèmes de l'oeuvre qui se voit escamoter.

Sophie Koch renouvelle son incarnation du Compositeur, sans doute plus à l'aise et plus libérée que lors de la précédente édition au Palais Garnier. Personnage d'autant plus convaincant que le costume masculin lui sied à ravir.

Succédant à Waldemar Kmentt, Graham F. Valentine impose le respect : il ne faut pas manquer de courage pour oser une lecture du rôle aussi grotesque ; sosie de Django Edwards, l'artiste campe en effet un majordome tout droit sorti d'une parodie de film d'horreur ! Il ne manque plus qu'Abott et Castello ; voix grasse, yeux en boules de loto, cette vision ultra parodique (qui d'ailleurs pourrait se justifier dans une production expérimentale de l'ouvrage) ne cadre en rien avec le jeu malgré tout assez traditionnel imposé par Pelly aux autres interprètes.

Si Olaf Bär est un maître de musique de qualité, Xavier Mas est largement dépassé par la tessiture du maître de ballet, sollicitant systématiquement la voix de tête dans l'aigu mais incapable d'homogénéiser les registres.

Autre rescapé de la création, Stéphane Degout est toujours aussi remarquable en Arlequin.

Il revenait à Lubov Petrova la lourde tâche de palier le désistement de Natalie Dessay : c'est raté ; rétrospectivement, les réserves (légitimes) qui ont pu être exprimées à l'encontre de la chanteuse française, semblent dérisoires en regard de la prestation de sa doublure. Voix ténue, aigus "à l'arraché", jeu qui relève plus de la copie du modèle que d'un véritable investissement personnel, Petrova est une Zerbinette honnête mais sans grand intérêt.

Solveig Kringelborn dispose de moyens assez impressionnants mais pas toujours bien contrôlés : les grandes phrases lyriques conviennent bien à son timbre chaleureux ; en revanche, les changements de registres sont fort mal maîtrisés et la chanteuse a parfois du mal à s'en sortir avec ses trois voix.

Janez Lotric n'est pas le plus séduisant des Bacchus (il cadre plutôt avec les représentations classiques du demi-dieu dans son âge mûr...). En revanche, vocalement, sa performance est impeccable : il surmonte avec succès une tessiture meurtrière sur laquelle de plus grandes vedettes se sont cassé les dents. Le timbre, un peu nasillard, est moins insolent que celui de Villars, mais la gamme d'expression est nettement plus riche, l'interprétation moins monolithique.

Pinchas Steinberg n'avait pas laissé un souvenir impérissable à la tête de l'orchestre de l'Opéra de Paris et on pouvait se réjouir de son remplacement par le jeune Philippe Jordan.

Il faut vite déchanter : abstraction faite des problèmes acoustiques, la direction est empesée, sans humour, traînant l'ouvrage cinq à dix minutes plus loin que son prédécesseur, ce qui est énorme compte tenu de sa brièveté (autour des deux heures).

Une soirée d'autant plus morne que de nombreuses rangées sont vides, malgré des "soldes" de dernières minutes ; soirée plus morne encore après le prologue, de nombreux spectateurs quittant la salle.
 
 
 

Placido CARREROTTI
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]