C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
21/10/03

© La Monnaie
Ernest CHAUSSON

Le Roi Arthus

Drame lyrique en trois actes et six tableaux
Livret du compositeur

Arthus : Louis Otey
Genièvre : Dagmar Schellenberger
Lancelot : Douglas Nasrawi
Mordred : Philippe Georges
Lyonnel : Yves Saelens
Allan : Jacques Does
Merlin : Olivier Lalouette
Un laboureur : Lorenzo Carola

Orchestre symphonique et Choeurs de La Monnaie
Chef des choeurs : Renato Balsadonna
Direction musicale : Daniele Callegari

Mise en scène : Matthew Jocelyn
Décors et costumes : Alain Lagarde
Éclairages : Dominique Bruguière

Nouvelle production

La Monnaie, Bruxelles, le 21 octobre 2003



Créé précisément au Théâtre de La Monnaie le 30 novembre 1903, Le Roi Arthus nous revient un siècle plus tard, en un ardent cadeau d'hommage de Bernard Foccroulle, lointain successeur de Maurice Kufferath, le directeur de l'époque. L'unique opéra de Chausson s'inscrit dans la lignée de ces opéras français du dix-neuvième siècle finissant, écrits par des compositeurs avant tout symphonistes ou chambristes, la plupart issus de ou gravitant autour de l'école franckiste. Ils n'étaient pas dramaturges-nés comme Gounod, Massenet, Verdi ou les véristes, et ne se souciaient aucunement d'efficacité dramatique, considérée comme superficielle ou, pire, vulgaire. Chez eux, l'action est intérieure, spirituelle même, sous l'influence du Maître à penser de cette mouvance, Richard Wagner bien entendu. Voilà pourquoi ils se limiteront quasi tous à la composition d'un seul opéra : Pénélope, Ariane et Barbe-bleue, Polyphème, Padmavâtî, Le Pays... sont les fruits glorieux de cette ascèse manifestement voulue. Même Debussy n'accomplit pleinement que Pelléas et Mélisande. Seuls d'Indy et Magnard iront jusqu'à écrire trois opéras. Toutes ces oeuvres sont donc à entendre en tant qu'épanouissement compositionnel et non en tant que simple création lyrique. Ces musiciens bandaient leur art, tel l'arc d'Ulysse, et donnaient le meilleur d'eux-mêmes dans un genre décrié, mais envié sans doute, et ce qu'ils lui donnaient, ils devaient le considérer comme un accomplissement total.

Cette conception particulière, et relativement brève dans l'Histoire, se rencontre idéalement dans ce Roi Arthus que Chausson mit dix ans à écrire (1886-1896), et créé après la mort tragique de son auteur (1899). Le livret qu'à l'instar de Vincent d'Indy et Wagner, Chausson, fin lettré, écrira lui-même, abonde en beautés littéraires ("Ta parole est sombre comme le rire de la mer", "Seigneur, Seigneur, je suis sans force entre vos mains"), souvent aussi symbolistes que parnassiennes : "Mais quand viendra le réveil, tu déchireras tes voiles et, le front mitré d'étoiles, tu descendras du soleil" ou la phrase ultime "Arthus, sur ton front royal qu'a dédaigné la victoire plane la suprême gloire d'avoir cru dans l'Idéal". Lignes admirables et peu communes dans l'art lyrique. L'intrigue est simple, directement belle. Genièvre, épouse du roi Arthus, et son amant Lancelot, le meilleur chevalier de la Table Ronde, sont surpris par Mordred, blessé mais non tué par Lancelot. Mordred accuse Lancelot devant la cour. Les amants s'enfuient dans la forêt. Écartelé entre son amour et sa loyauté, Lancelot renonce à combattre son roi. Atterrée, Genièvre s'étrangle. Lancelot, qui s'est interposé entre les guerriers, est blessé à mort. Désemparé et découronné par Mordred, Arthus est seul au monde : c'est alors que des choeurs mystiques l'entourent et l'enlèvent vers sa gloire éternelle et future. Peu d'action donc, sauf intérieure. Celle du doute, du déchirement, pour Arthus et pour Lancelot, pauvres figures ballottées par le destin.

Les beautés musicales abondent, spécialement dans les scènes où paraît le Roi. Celle où il invoque son vieux mentor Merlin, ou tout le tableau final sont à classer parmi les plus hautes inspirations de la musique française.

Se pose à présent la question cruciale : comment mettre en scène cet ouvrage ? Des opéras statiques, il en existe beaucoup, à commencer par les deux modèles immédiats que sont Tristan und Isolde et Parsifal. La Monnaie, délibérément, n'a pas voulu revenir à la mise en scène de 1903 ou aux costumes de Fernand Khnopff. La dramaturgie de Matthew Jocelyn, lumineusement épaulée par Dominique Bruguière, est sobre, très sobre, et se concentre sur le désarroi des protagonistes. Lumières sombres, vertes ou bleues, rappelant un Moyen-âge idéalisé au moyen de vitraux saisissants. Un gigantesque pilier se couchant imperceptiblement et des plumes de paons évoquent la soumission puis la déchéance de Lancelot, sous l'empire de la reine. L'apparition des choeurs anime quelque peu la scène, à la fin du deuxième acte (Arthus à cheval) ainsi qu'au final de l'opéra où, joliment, tous les personnages se fondent dans le choeur/monde, entrant dans l'Histoire et dans le Mythe, pour l'éternité. Par contre, la toute première scène, où l'on voit Arthus, Mordred et Lancelot chanter leur rôle devant pupitre et partition, laisse perplexe : l'un des rares moments mouvementés de la partition se voit ainsi réduit à l'oratorio. Où sont le cri de victoire sur les Saxons et l'éloge de Lancelot ? L'intention a échappé à beaucoup de spectateurs. Si l'on monte Le Roi Arthus, que cela ne devienne pas un concert en costumes ! Heureusement, le troisième acte rachète cette introduction pour le moins curieuse par une grande ferveur (toute aussi statique, au demeurant).


Danielle Callegari
© La Monnaie

Venons en à la réalisation proprement musicale de cette soirée événementielle. Avant tout, il convient de louer l'orchestre, les choeurs, et leurs chefs. La superbe pâte sonore - wagnérienne, certes - dont Chausson enduit son drame a magnifiquement été mise en valeur, du raffinement des vents (cor anglais, hautbois, flûte, clarinette basse) à la puissance fracassante du tutti (remarquables cuivres), sans défauts de justesse ni décalage avec le plateau. Un immense coup de chapeau à Daniele Callegari, par ailleurs justement ovationné. Sur le plan vocal, par contre, la soirée fut inégale. Certes, il s'agissait d'une première, et les chanteurs ont dû se chauffer. Ce qui valut un premier acte hésitant dans le chef des trois solistes principaux, mais qui faisait ressortir le timbre clair et assuré du Lyonnel d'Yves Saelens. Arthus (Louis Otey) paraissait comme déjà fatigué, la voix tremblante, et les amants fâchés avec la justesse. L'opéra comptant un duo par acte, Dagmar Schellenberger et Douglas Nasrawi se reprirent au second acte et démontrèrent tout leur talent au dernier, durant leur mort respective. Je m'en voudrais d'omettre le très chantant Merlin d'Olivier Lalouette, dans le seul véritable "air" de l'opéra ("Pommiers verts, pommiers prophétiques", visage filmé au milieu des arbres de la forêt profonde, apparition poétique et merveilleusement lyrique). Mention spéciale aussi pour le si joli Laboureur de Carola et le belle basse de Jacques Does (Allan). Louis Otey livre une poignante scène finale, hélas quelques fois couvert par un choeur visiblement exalté.

Tous les solistes apportaient, il faut le signaler, une grande attention au texte, ce qui rendait les surtitres presque inutiles. Un spectacle d'une parfaite beauté musicale, malgré les quelques interrogations posées par la mise en scène. Que La Monnaie soit remerciée pour la beauté de son geste d'anniversaire et, surtout, pour avoir fait (re)découvrir une oeuvre d'une sombre et grande beauté, éloignée sans doute des canons de l'art lyrique actuels, mais ni datée, ni difficile d'accès. Tout simplement intemporelle quant au Mythe et à la Musique. C'est toute la force d'une programmation intelligente.
 
 
 

Bruno Peeters
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