OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BORDEAUX
19/01/2008
 
© Frédéric Desmesure


Giuseppe VERDI (1813 – 1901)

UN BALLO IN MASCHERA

Opéra en 3 actes
Livret d’Antonio Somma
d’après le poème écrit par Eugène Scribe
pour l’opéra de Daniel-François-Esprit Auber,
Gustave III ou Le Bal masqué
Créé au Teatro Apollo, Rome, le 17 février 1859

Mise en scène Carlos Wagner
Assistant mise en scène Tom Baert
Décoration Rifail Ajdarpasic
Costumes Hervé Poeydomenge

Riccardo Julian Gavin
Renato James Westman
Amelia Hui He
Ulrica Elena Manistina
Oscar Daphné Touchais
Samuel Jérôme Varnier
Tom Antoine Garcin
Silvano David Grousset
Un juge Pierre Guillou
Un serviteur Nicolas Pasquet

Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Chœur de l'Opéra National de Bordeaux
Direction musicale : Paolo Olmi

Grand-Théâtre, Bordeaux, le 19 janvier 2008, 20h

Effets de serre


Le réchauffement climatique frapperait-il aussi la planète lyrique ? Jusqu’à présent, Un ballo in Maschera était plutôt coutumier des terres froides. Les origines de l’opéra, la Suède du roi Gustave III, l’y prédisposaient. L’assassinat du monarque en 1792 par l’un de ses capitaines au cours d’un bal masqué inspira le livret. La censure qui n’appréciait guère à l’époque les histoires de régicide déplaça l’action à Boston dans le Massachusetts. Il n’y fait guère plus chaud mais le meurtre d’un roi y posait moins de problèmes, d’autant moins qu’au passage Gustave III était devenu comte Riccardo, gouverneur de La Nouvelle Angleterre. Comment après tout cela imaginer la plaine sinistre – l’« orrido campo » dans lequel Amélia cueille la mandragore à minuit – autrement que battue par le blizzard, ce vent glacial qui souffle au nord du continent américain et qui s’accompagne de tempêtes de neige.

Pourtant, à Bordeaux, Carlos Wagner transplante l’action au soleil, dans une république bananière d’Amérique du Sud. La végétation devient luxuriante, l’ « orrido campo » une jungle dans laquelle on abat sans sommation d’une balle dans la tête les opposants au régime. Le palais du gouverneur comme la maison de Renato rappellent l’un de ces postes de douanes sous les tropiques avec une table en guise de bureau, de vieilles machines à écrire, des piles de dossiers, des ventilateurs qui agitent l’air moite…Ce qui pourrait passer pour un truc de metteur en scène, une simple question d’emballage, s’avère modifier non le livret – l’histoire est respectée à la lettre - mais l’esprit de l’œuvre.


Hui Hé © Frédéric Desmesure

Modifier ou trahir ? La réponse divise le public le soir de la première quand au moment des saluts, huées et bravos se confondent. Tout dépend en fait si l’on considère Un ballo in maschera comme un grand chant d’amour, trempé de brumes et de sentiments romantiques dans lequel les passages comiques servent à soulager le drame de son intensité. Le Tristan und Isolde de Verdi, comme on le qualifie parfois, et rien d’autre.
Ou alors si l’on accepte d’autres points de vue. Celui de Carlos Wagner ne se contente pas de traverser l’équateur ; selon la théorie des climats, il se charge en même temps d’humidité et d’exubérance jusqu’à faire d’Un ballo in maschera un opéra baroque (en dehors de toute signification musicologique, évidemment) ; les déguisements du bal masqué qui s’inspirent de la statuaire religieuse espagnole le soulignent d’ailleurs.

Baroque, c’est-à-dire efflorescent, extravagant voire loufoque. Et pas seulement le premier tableau du premier acte dont le finale n’aura jamais paru aussi « offenbachien » mais toute la scène d’Ulrica, représentée à la Garcia Marquez, fumées et sang de poulet à l’appui, avec une Elena Manistina imposante, vocalement et physiquement.


© Frédéric Desmesure


Baroque aussi par le jeu des contrastes dans le respect de la nature même de l’œuvre qui mélange rires et larmes à travers le personnage d’Oscar. Le rôle est souvent payant ; Daphné Touchais y fait figure de révélation. Travestie en titi des banlieues, jogging et casquette à l’envers, elle emporte le pompon par son jeu vitaminé, son allure décalée et des vocalises qui font mouche aussi bien dans « Saper vorreste » que dans un « Di che fulgor » chorégraphié à la « tecktonik ».

Baroque encore par la manière inattendue dont Riccardo, souverain généreux, amoureux exalté, rêveur mélancolique cède sa place à Riccardo, dictateur d’opérette, cousin facétieux du duc de Mantoue, le vice en moins. On aimerait que la voix de Julian Gavin se conforme à ce portrait plus désinvolte qu’à l’habitude. Mais le ténor australien n’est ni léger - ce que le rôle réclame au début - ni lyrique, plutôt dramatique en fait. La couleur, sombre, et la largeur de l’émission lui donne à s’épanouir davantage dans le duo d’amour, ou à la limite dans « Forse la soglia attinse » (l’air du III), que dans « La rivedra nell’estasi » ou « di tu se fedele », les deux airs du premier acte qui demandent plus de nuance et de souplesse. Et puis on a dans l’oreille d’autres velours.

La satisfaction vocale, on la cherchera plutôt chez Amelia et son époux, Renato. Hui He, toujours un peu geisha dans l’allure, s’affirme somptueuse sur toute la tessiture, éclatante de santé avec des sonorités opulentes qui contribuent à l’impression générale de luxuriance. James Westman, d’abord introverti (mais le « Alla vita che t’arride » donne peu à figurer), se libère une fois son infortune dévoilée comme si il avait enfin trouvé un terrain d’expression à sa convenance. Le chant s’anime entre rage et désespoir dans le finale du II pour trouver son aboutissement au III dans un « Eri tu » qui, révélant l’amant plus que le mari, laisse entrevoir, derrière le mordant et le métal, la souffrance de l’homme.

Baroque mais cohérent du début à la fin dans la représentation des sentiments, dans l’équilibre du plateau, chœurs compris, baroque jusqu’à travers la direction de Paulo Olmi, passionnée, abondante elle aussi à défaut d’être toujours raffinée, énorme parfois même au point de donner à l’orchestre des élans pucciniens et de fracasser dans les ensembles le mur du son.

Baroque alors puisque c’est l’adjectif qui sans cesse revient à l’esprit pour qualifier le spectacle, baroque dans le sens d’étonnant, d’inhabituel. Baroque et réussi car l’opéra de Verdi en ressort intact et sa musique, ainsi interprétée, demeure magistrale qu’on souffle le froid… ou le chaud.

Christophe RIZOUD
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