C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
BORDEAUX
21/05/05

Marie Lenormand (Rosina) et Kyu Won Han (Figaro)
1ère distribution
© Guillaume Bonnaud
Il Barbiere di Siviglia

Melodrama buffo en deux actes (1816)

Musique de Gioachino Rossini (1792-1868)
Livret de Cesare Sterbini d'après Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Direction musicale : Laurent Campellone
Mise en scène : Laurent Laffargue
Décors : Philippe Casaban, Eric Charbeau
Costumes : Hervé Poeydomenge
Lumières : Patrice Trottier

Il conte d'Amalviva : Ismael Jordi
Figaro : David Grousset
Rosina : Valentina Kutzarova
Basilio : Alexander Vinogradov
Bartolo : Michel Trempont
Fiorello : Jean-Marc Bonicel
Berta : Jeannette Fischer
Ambrogio : David Ponce
Un notaire : Isabelle Girardet

Clavecin : Alexandre Bousquet

Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Choeur d'hommes de l'Opéra National de Bordeaux
Chef de choeur : Jacques Blanc

Grand Théâtre, Bordeaux
21 mai 2005, 20h

Figaro chez les Picaros

Près de deux cents ans après sa création, la boutique de Figaro ne désemplit pas ; les aventures du barbier imaginées par Beaumarchais et mises en musique par Rossini continuent de garnir les théâtres, fussent-ils grands, du moins par le nom, à l'exemple de celui de Bordeaux qui vient de reprendre la production de Laurent Laffargue déjà présentée en 1999 au Théâtre Femina.

Séville, sous la griffe du metteur en scène de la Compagnie Le Soleil Bleu, devient une république bananière, quelque part entre Cuba et Belize, où Almaviva, telle une star américaine, atterrit en même temps que le public durant les dernières mesures de l'ouverture. Loin de la patrie du flamenco et des orangers, le décor se teinte de safran et de rouge brique, s'accessoirise d'un perroquet et de meubles en bois exotique. Unique, il a le mérite de transcrire intelligemment les deux lieux de l'action, une place de la ville et la demeure de Bartolo, et de passer de l'un à l'autre rapidement, en toute logique grâce à de larges persiennes qui sauront aussi claquer opportunément durant l'orage orchestral du second acte. Les poudres et les dentelles du siècle des Lumières sont supplantées par des tenues bariolées, métissage de plusieurs modes, des années 1930 pour le costume à rayures de Basilio aux années 1970 pour la chemise et les bottes au talon biseauté de Figaro. Immanquablement, l'ensemble évoque la bande dessinée, impression confirmée par l'apparition de Fiorello vêtu et chapeauté comme l'un des Dupont dans les albums de Tintin.


Bradley Williams (Almaviva), Marie Lenormand (Rosina) 
et Kyu Won Han (Figaro) - 1ère distribution
© Guillaume Bonnaud

Fidèle à la manière actuelle de mettre en scène les oeuvres comiques de Rossini, Laurent Laffargue multiplie les gags. Ils se succèdent sans trêve au rythme effréné de la musique, certains percutants, d'une actualité caustique mais hilarante (Amalviva, lors du finale du premier acte, montre un passeport américain pour échapper à la police locale), d'autres moins évidents (à quoi servent les petites figurines disposées sur le devant de la scène ?). Cette vision résolument burlesque, si elle ne manque pas d'amuser, présente l'inconvénient de cantonner les personnages dans un seul registre ; elle ne laisse que peu de place à un large déploiement de caractères. La fraîcheur et l'entrain de l'équipe réunie ici servent heureusement un tel propos. Physiquement, scéniquement, ils restent crédibles et se prêtent avec bonheur à toutes les facéties demandées. Et le doyen de la distribution, Michel Trempont, n'est pas, on s'en doute, le moins fantaisiste.

Vocalement, n'en déplaisent aux règles de parité, les hommes prennent le pas sur les femmes. Ismael Jordi, en Almaviva, ne se risque pas à affronter le "cessa di più resistere", mais propose cependant un comte dont la mâle assurance triomphe des difficultés du chant rossinien. Viril, le timbre n'est pas exempt de dureté, mais il parvient à en contrôler le métal pour apporter les nuances que réclament les passages élégiaques, notamment dans la ravissante canzone du premier acte "Se il mio nome...".

Plus monochrome, David Grousset (1) ne ménage pas son énergie et ses pas de danse. Léger, désinvolte, il maîtrise comme il se doit la situation. La clarté et la franchise de l'émission participent à la vitalité de Figaro ; la dimension belcantiste du personnage est malheureusement absente.

La veine comique de Michel Trempont est toujours aussi imparable. Plus pitoyable que détestable, l'illustre vétéran trouve en Bartolo un rôle taillé à sa mesure. Seule la virtuosité de "A un dottor della mia sorte" le malmène un peu.

Mais, s'il ne fallait retenir qu'un nom, alors celui d'Alexander Vinogradov (2) s'imposerait. Au premier abord, sa jeunesse surprend (il n'a pas encore 30 ans). Basilio est d'habitude incarné par des chanteurs plus âgés. Elle confère cependant au vénal professeur de musique une dimension inhabituelle ; il devient une espèce de double malfaisant de Figaro qui trouve là enfin un adversaire à sa taille. Son air de la calomnie s'enfle avec une vigueur inhabituelle, homogène, du grave sépulcral à l'aigu triomphant (il compte à son palmarès aussi bien Sarastro que le Figaro de Mozart), jusqu'au formidable éclat qui n'a rien à envier au "colpo di cannone". De tels atouts le conduisent à abuser parfois des effets, mais ce n'est pas pécher quand le sujet de la pièce et la manière dont elle est ici mise en scène autorisent tous les excès.


Jeannette Fischer (Berta)
© Guillaume Bonnaud

Du côté des dames, Jeannette Fisher est désopilante en Bertha malgré l'acidité de la voix et le volume sonore insuffisant qui déséquilibre le finale du premier acte, cruellement privé de dessus. 

Espiègle, mutine, délurée, malicieuse, coquette, séduisante, les adjectifs se bousculent pour qualifier la Rosina de Valentina Kutzarova. Sa prestation vocale, hélas, n'appelle pas le même emballement. La tessiture n'est pas celle du contraltino requis. La couleur sombre, la rondeur, la facilité dans l'aigu, l'agilité aussi lui font défaut. Restent les notes, la vivacité du regard et ce large sourire qui, coïncidence ou non, n'est pas sans rappeler celui de Maria Callas dans "una voce poco fa" en 1958 à Paris. C'est déjà pas mal, mais ce n'est pas assez. 

L'orchestre national de Bordeaux Aquitaine dirigé par Laurent Campellone répond précisément aux exigences rythmiques de la partition. Il possède la justesse et l'esprit, il lui manque peut-être la verve ou du moins ce petit grain de folie que s'autorise lors des récitatifs, sous forme de citations musicales, le clavecin d'Alexandre Bousquet.

Tout au long du spectacle, le public, venu nombreux, rit et apprécie la farce au point de finalement affoler l'applaudimètre. La salle en redemande et les chanteurs, premiers et seconds rôles, quel que soit leur rang, défilent tous sous un même claquement régulier qui correspond rituellement au bis. Ainsi détraqué, notre seul instrument de mesure ne peut délivrer comme à l'habitude ses précieuses informations quant au jugement de l'assistance sur chacun des artistes. Il témoigne toutefois qu'il s'agit là d'un Barbier, somme toute, de qualité.
 
 

Christophe RIZOUD
Notes

(1) Enfant du pays, David Grousset sera à l'affiche de trois des productions de la prochaine saison bordelaise : La fille du tambour Major, Il signor Bruschino et Werther.

(2) Alexander Vinogradov chantera Colline dans la première distribution de La Bohème que propose l'Opéra National de Paris du 5 octobre au 4 novembre 2005.
 

[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]