C O N C E R T S 
 
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OTTAWA
09/09/06
Figaro - Jeff Mattsey
© Sam Garcia
Gioachino Rossini (1792 - 1868)

IL BARBIERE DI SIVIGLIA

Opéra bouffe en deux actes
Livret de Cesare Sterbini
D’après la pièce de Beaumarchais

Rosina : Mariateresa Magisano
Comte Almaviva : Michael Colvin
Figaro : Jeff Mattsey
Docteur Bartolo : Peter Strummer
 Don Basilio : Philip Cokorinos
Berta : Rebecca Hass
Fiorello : Doug MacNaughton
Ambrogio : Pierre Brault
Officier des gendarmes : Jean-Sébastien Kennedy

Maître des Chœurs : Laurence Ewashko
Orchestre et Choeurs d'Opéra Lyra Ottawa
Direction : Francesco Di Mauro

Mise en scène : David Gately
Décors : John Stodart
Costumes : Malabar
Éclairages : Stephen Ross

Centre National des Arts, Salle Southam
Ottawa, 9 septembre 2006

Un plateau excellent… une fosse commune

Le chef-d’oeuvre de Rossini compte parmi les opéras dont on se remémore le plus facilement les mélodies, ce qui est encore plus évident quand on assiste à une production qui laisse une impression durable. C’est ainsi que les choses se sont passées ce samedi à la Salle Southam du Centre National des Arts alors qu’on a pu se rendre compte jusqu’à quel point sa popularité peut encore être relevé par la prestation d’un remarquable plateau.

Dès la première scène le spectacle prend vie et le soin que le metteur en scène apporte à caractériser les personnages est en parfaite harmonie avec les exigences du genre opéra bouffe. Chacun est finement esquissé et leur gestuelle s’accorde avec l’amplification de l’action, se développant au gré des situations. À titre d’exemples, Figaro deviendra le véritable meneur du jeu, allant même à l’occasion jusqu’à placer les personnages sur la scène avant de donner au chef d’orchestre le signal du début tandis que le maître de musique Don Basilio, atteint de cleptomanie, pique tout ce qui lui tombe sous la main. Ce côté drôle s’accentue de scène en scène et culmine à la fin du premier acte par le plus désopilant mouvement qu’on puisse imaginer. À partir du tutti final Mi par d’esser con la testa, impliquant les cinq principaux personnages ainsi que Berta et le chœur des gendarmes, David Gately prend exactement le contrepied du vivace de la strette par un ralentissement inattendu de l’action un peu comme on en voit parfois dans le «slow motion» de certains films. Pendant quatre minutes d’une indescriptible mêlée, on nous en met tellement qu’il est impossible de tout visualiser, nous obligeant à fixer l’attention sur ce que les yeux arrivent à saisir. Un coup de pied au derrière de celui-ci, un coup de genoux dans les parties intimes de celui-là qui, le souffle coupé, s’écroule au plancher; Bartolo sert un coup de poing au visage d’un gendarme qui le reçoit parce que le véritable destinataire se penche au même instant et Basilio qui en terrasse un autre, lui dérobe son arme et la fourre dans son manteau. Loin d’alourdir le propos, ces exemples de gags donnent un sens à l’intervention des gendarmes et expliquent la fièvre qui s’empare des acteurs. Mais la finesse est aussi au rendez-vous. De façon générale, Almaviva sait tenir son rang et Rosina, qui n’est pas simplement coquette, montre une personnalité forte mais quand même enjouée.

Le décor, monté en triptyque sur un plateau tournant, expose tour à tour la façade de la maison de Bartolo, puis l’intérieur avec son étage des chambres et enfin un salon. Le concept est d’autant plus utile que ce plateau, actionné par des laquais, permet aux spectateurs de voir les protagonistes passer d’un endroit à un autre sans descente de rideau. Ce jeu de va-et-vient cadre admirablement avec l’agitation toujours présente et discrètement palpable dans la production.


Figaro (Jeff_Mattsey) Bartolo (Peter_Strummer)
Finale Acte 1 -
© Sam Garcia

Dans une distribution homogène, Mariateresa Magisano campe une Rosina d’une fraîcheur toute juvénile dans sa recherche d’un mieux-être qu’elle ne peut trouver chez son tuteur. Son beau mezzo velouté s’envole avec assurance et se joue des vocalises qui abondent dans l’œuvre, mais en particulier dans un Una voce poco fa très soigné.

Michael Colvin, que nous avions vu, entre autres à la Canadian Opera Company de Toronto dans l’Arigo de Tancredi, ne cesse au fil des ans d’améliorer la qualité de son émission. Il n’y a plus chez lui cette tendance à chanter haut et d’une voix quelque peu détimbrée surtout dans les notes aigues. Rompu aux difficultés du chant rossinien, il est maintenant aussi à l’aise dans les vocalises (Ah, che d’amore la fiamma io sento) que dans les moments où le legato est particulièrement sollicité (Ecco ridente in cielo). Il aurait sans doute pu donner sa pleine mesure dans l’air Cessa di più resistere malheureusement coupé dans cette production.


Rosina (Mariateresa Magisano) -  ©
Sam Garcia

Non seulement Jeff Mattsey brûle-t-il les planches par son magnétisme, mais son magnifique baryton se plie à toutes les nuances d’un texte qui se veut la plupart du temps très enjoué. On rend hommage à la beauté d’un timbre qui séduit dès les premiers instants entre autres dans le Largo al factotum. Rarement a-t-on pu être témoin d’un tel engagement dans un rôle que trop de chanteurs abordent avec désinvolture ; tout est réfléchi, mais en même temps d’un naturel confondant.

Dans les rôles de basse bouffe, la réputation de Peter Strummer n’est plus à faire et il personnifie Bartolo avec beaucoup de prestance. Son abattage vocal accompagné de quelques stridences dans les parties aigues de la tessiture, s’accorde avec le caractère acéré du personnage et son jeu scénique gagne en intensité à chacune de ses prestations. On sent qu’il joue et chante comme si c’était son ultime représentation. Il fait merveille en particulier avec A un dottor delle mia sorte étalant ici une parfaite maîtrise du chant syllabique.


Bartolo (Peter Strumme) Finale_Acte 1 - ©
Sam Garcia

Philip Cokorinos, un habitué du Metropolitan Opera surtout dans des rôles de comprimario, aborde un emploi avec lequel il est en adéquation tant vocalement que scéniquement. Il campe un Basilio tout bonnement époustouflant avec un sens inné des effets comique en particulier au moment de La Calunnia è un venticello qu’il chante superbement. Son timbre chaleureux conserve son homogénéité sur tout l’ambitus.

Très à l’aise dans ses réflexions désabusées sur l’amour (Il vecchiotto cerca moglie), Rebecca Hass en Berta joue les grandes haridelles jusqu’à ce qu’Ambrogio (Pierre Brault), qui passe la soirée à vouloir poser ses mains sur son postérieur, réussisse enfin la manœuvre vers la fin de la tempête. D’abord surprise, elle se sent soudainement devenir amoureuse, se laisse embrasser par lui, l’embrasse à son tour, y prend goût au point de l’entraîner sans cérémonie et sans qu’il résiste dans une chambre voisine. Bien sûr, cela est voulu par le metteur en scène, mais cette irrésistible façon de jouer appartient à ces deux excellent acteurs.

Doug Mac Naughton (Fiorello) et Jean-Sébastien Kennedy, l’officier des gendarmes, ont fait honneur à la musique en s’acquittant convenablement de leurs parties.

Si on ne peut rien reprocher à l’admirable préparation des choeurs par Laurence Ewashko, nous ne pouvons en dire autant de la direction routinière de Francesco Di Mauro, qui, le nez dans sa partition, se contente de battre la mesure. La musique de Rossini, pourtant si inspirée et si pleine d’entrain ne trouve pas ici sa libre expression. On voudrait plus d’enthousiasme, plus de ferveur dans les détails; on n’entend pas dans la fosse cette truculence qui caractérise une aussi brillante orchestration. C’est ce qui manque à cette production par ailleurs excellente sur le plateau.

 
Réal Boucher
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