C O N C E R T S 
 
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GARSINGTON
12/07/03
LE BARBIER DE SEVILLE

Opéra de Gioacchino Rossini

Mise en scène : Marco Gandini
Décors : Edoardo Sanchi
Costumes : Maurizio Millenotti

Rosina : Christine Rice
Figaro : Luca Salsi
Almaviva : Colin Lee
Dr Bartolo : Robert Poulton
Don Basilio: Brindley Sherratt
Berta : Lynda Russell
Fiorello : Dyfed Wyn-Evans

Choeurs et orchestre du Garsington Festival

Direction : David Parry

Garsington, le 12 Juillet 2003


RETOUR(S) AUX SOURCES
 

Ouvert en 1989 avec les Nozze di Figaro, le Garsington Opera poursuit lentement, mais sûrement son implantation dans le paysage des festivals lyriques de l'été.

Sa courte saison s'étend sur un mois (de mi-juin à mi-juillet) et s'articule autour de trois titres, mêlant piliers et raretés du répertoire. Si les spectacles sont en langue originale, les partitions sont parfois données avec quelques coupures (1) .

On doit notamment au Garsington Opera les créations britanniques d'ouvrages de compositeurs aussi divers que Haydn (Orlando Paladino en 1990, La Vera Costanza en 1992), Janacek (Sara en 2002, en compagnie du rare Osud), Rossini (La Gazetta en 2001), Schumann (Genoveva en 2000), Strauss (Die ägyptische Helena en 1997, Der Liebe der Danae en 1999).

La saison 2003 ne proposait pas de créations, mais restait fidèle au mélange des répertoires avec les relativement rares Finta Giardiniera de Mozart et Femme Silencieuse de Strauss d'une part, le classique Barbiere di Siviglia de Rossini d'autre part.

Tandis que Glyndebourne est tiraillé entre des ambitions artistiques de très haut niveau et les problèmes de financement qui en découlent et l'éloignent singulièrement de ses origines (2), Garsington conserve l'esprit original de son devancier : un public choisi (moins de 500 places dans l'auditorium, tenue de soirée et enthousiasme bon enfant de rigueur), une organisation light et efficace, un cadre exceptionnel (un manoir du XVIIème assorti dans les années 20 de superbes jardins influencés par l'Italie), contribuent à cette ambiance unique de fête courtoise et détendue. Un retour aux sources, donc.

Les spectacles se tiennent dans un amphithéâtre provisoire recouvert d'une tente blanche translucide, partiellement ouverte côté cour : ceci nous permet de distinguer l'un des jardins, éventuellement parcouru par les chanteurs au gré des mises en scène.

Etonnamment, l'acoustique est excellente, un peu sèche pour l'orchestre et très favorable aux voix.
Seul bémol, les spectacles démarrent à 18 heures et s'achèvent vers 22h30 alors qu'il ne fait pas encore nuit : les éclairages de scène doivent donc composer avec la lumière du jour, très présente; les spectateurs sont eux-mêmes visibles toute la soirée, ce qui est un peu déroutant pour les habitués des salles obscures.
La distribution table essentiellement sur de jeunes chanteurs.


Figaro (Luca Salsi) et Rosina (Christine Rice)

A tout seigneur tout honneur, Luca Salsi est un Figaro parfait comme seule l'Italie peut en produire : abattage sans cabotinage, simplicité sans vulgarité, une voix naturelle qui coule sans effort... une prestation parfaite.
Colin Lee est une autre découverte dans le rôle du Comte Almaviva dont il n'esquive aucune difficulté : vocalisation impeccable, aigus percutants (avec un peu trop de recours au registre mixte cependant), variations dans les reprises ou les ensembles et, pour conclure, un superbe "Cessa di più resistere". Quel bonheur d'entendre, aussi bien chanté, cet air que seuls ont osé sur scène les plus grands rossiniens (Blake, Matteuzzi auquel la voix de Colin Lee fait un peu penser) : si ce morceau de bravoure est une véritable fête vocale, c'est aussi dramatiquement un rééquilibrage du rôle d'Almaviva, un peu terne sans cela. 
En Dr Bartolo, Robert Poulton témoigne d'une vis comica digne des spécialistes de barbons tels qu'Enzo Dara ou Bruno Pratico. Son physique, qui rappelle un peu Thomas Allen, apporte une crédibilité nouvelle au soupirant malheureux de Rosina. Vocalement, Poulton n'appelle que des éloges, assurant sans truquer les difficultés de la vocalisation.
On ne retrouve pas le même tempérament comique chez le Don Basilio de Brindley Sherratt; peut-être cette raideur est-elle due au fait que, blessé au pied (en se promenant dans les fameux jardins de Garsington !), il est obligé de se déplacer avec une béquille (3) . Ses moyens vocaux ne sont pas exceptionnels et l'artiste reste en retrait, le "tube" de la Calomnie tombant à plat.

Christine Rice est une Rosina bien chantante, mais sans génie. Vocalement, on ne peut guère lui adresser de reproches notables : la voix est saine, homogène sur la tessiture, les vocalises bien exécutées, mais elle manque d'abattage et le timbre est un plutôt gris.
Après un démarrage un peu lent, Lynda Russell trouve son rythme et exécute son air avec une ornementation très réussie.

Spécialiste de ce répertoire, David Parry mène avec enthousiasme ce plateau vers la conclusion de cette autre "folle journée", retrouvant ce que devait la verve sans complexe des théâtres italiens de province au temps de Rossini : un retour aux sources là encore.
J'ai néanmoins regretté un usage un peu abusif des percussions qui évoquait une célèbre caricature de l'époque.

Sur le plan de la mise en scène, on frise l'erreur de débutant : Marco Gandini ne se contente pas de transposer l'action dans les années 50, aux studios Cinecittà (pourquoi pas, à la rigueur), mais plaque une autre histoire par dessus l'intrigue de Beaumarchais : Rosina devient une actrice en vogue suivie par des paparazzi et dont Almaviva est le partenaire; Bartolo est le "protecteur" de l'actrice ; Berta une maquilleuse ; Basilio on ne sait pas trop et le reste à l'avenantÖ

Comme disait Alexandre Dumas, "Il est permis de violer l'Histoire, à condition de lui faire
de beaux enfants" : ici c'est l'intrigue que l'on viole, mais le résultat n'en vaut vraiment pas la peine ; en l'occurrence, rien ne colle et on ne voit pas ce qu'apporte une telle démarche.

A l'inverse, la dramaturgie est une pure réussite : pas de temps morts, une scène parfaitement exploitée malgré ses dimensions réduites et l'absence de dégagements, des gags sans surcharge (à l'inverse de la récente Cenerentola proposée par Irina Brook au Théâtre des Champs-Elysées).
En particulier, la leçon de musique est certainement la plus drôle qu'il m'ait été donné de voir sur scène : un pur moment de bouffonnerie, un vrai régal ! 

La saison prochaine, le Garsington Opera proposera, toujours sous la baguette de David Parry, un autre Rosssini, L'Equivoco Stravagante. On souhaite à cette création britannique autant de succès que pour ce fort sympathique Barbiere (4).
 
 
 

Placido Carrerotti

(1) La Finta Giardiniera, par exemple, mais il est vrai qu'il s'agit d'un ouvrage exceptionnellement long.

(2) Glyndebourne est devenu un phénomène de mode que les grandes entreprises utilisent largement pour leurs opérations de relations publiques en contrepartie d'un sponsoring généreux ; devenu une véritable industrie, le festival propose jusqu'au panier pique-nique tout prêt (40 £ par personne, supplément pour la langouste, vins en sus, réservation obligatoire) : on est loin de l'esprit d'origine.

(3) A la fin du premier acte, Rosine écrase furieusement le pied de Bartolo d'un coup de talon ; au second acte, celui-ci ne se déplace plus qu'en chaise roulante ou avec une béquille : ceci nous vaut un éclat de rire général à l'arrivée de Don Basilio, lui aussi muni d'une béquille, pendant la leçon de musique !

(4) Les autres ouvrages proposés en 2004 sont le classique Così fan tutte sous la baguette de Steuart Bedford et dans une mise en scène de John Cox, ainsi que la création britannique de Cherevichki, opéra-ballet de Tchaikovsky dirigé par Elgar Howarth, dans une production d'Olivia Fuchs et Niki Turner.
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