OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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TOULON
19/03/2008


© Frédéric Stéphan

Gioachino Rossini

Il barbiere di Siviglia
(1816)


Production du Festival de musique de Strasbourg

Mise en scène, Jérôme Savary
Réalisée par Frédérique Lombart
Décors, Serge Marzoff
Costumes, Emmanuel Peduzzi
Lumières, Alain Poisson

Figaro : Paolo Bordogna
Rosina : Majella Cullagh
Le comte Almaviva : Maxim Mironov
Bartolo : Carlo Lepore
Basilio : Carlo Cigni
Fiorello : Pierre Doyen
Berta : Cécile Galois
Ambrosio : Julien Pastorello
 
Choeur de l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée
Chef du chœur, Catherine Alligon

Orchestre de l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée
Direction musicale, Giuliano Carella

Toulon, 19 mars 2008

Ah bravo Figaro !


A l’horreur succède la gaîté sur la scène du Théâtre de Toulon Provence Méditerranée ; après les passions douloureuses de Jenufa, la bonne humeur du Barbiere di Siviglia, dans la production bien conservée malgré ses multiples lustres de Jérôme Savary. Certes les interventions les plus visibles du metteur en scène sont toujours aussi irritantes quand elles viennent inutilement se superposer à la musique et en distraire – le défilé de saltimbanques, les acrobates jongleurs - ou bien lorsqu’elles grossissent les situations au détriment de la finesse du comique – la scène de l’air de la calomnie.- ou lorsqu’elles risquent de compliquer inutilement la situation – le bouquet de fleurs susceptible de déchaîner la suspicion de Bartolo.

Cependant pour l’essentiel l’œuvre n’est pas maltraitée. L’imposante boîte qui représente la maison limite excessivement les mouvements dans la scène d’introduction, mais une fois ouverte, l’espace qu’elle révèle est toujours aussi séduisant et fonctionnel, même si la vue dégagée sur Séville et la Giralda laisse perplexe tant cette échappée sur l’extérieur est en contradiction avec l’obsession de Bartolo de faire de sa maison un sanctuaire clos où il garde son « trésor » à l’abri des tentations et des convoitises.
Les costumes mêlent agréablement tenues et uniformes de la fin du XVIII° siècle et vêtements inspirés de l’influence mauresque. Bartolo a renoncé à son habituel habit noir ; la robe d’intérieur damassée dans laquelle il s’enveloppe témoigne d’un goût du luxe et du bien-être qui se rattache peut-être au détournement de la fortune de sa pupille. Quant à Basilio, avec ses cheveux longs et hirsutes, on croirait voir l’abbé Faria après vingt ans de cellule, dans sa soutane poussiéreuse et décolorée.

Durant l’ouverture, l’orchestre tarde à trouver le ton juste pour faire jaillir de la partition effervescence et légèreté ; il y parvient finalement mais la verve semble un peu appliquée ; fatigue générale ? C’est le plateau qui tire la couverture à soi. Sans doute les puristes pourront-ils regretter que Rosina ne soit pas chantée par un mezzo-soprano ; mais du vivant de Rossini, bien avant son retrait des scènes, on a vu des soprani investir le rôle. Majella Cullagh, vedette d’enregistrements réalisés par le label Opéra Rara, est un soprano d’agilité voué naguère aux rôles suraigus. Aujourd’hui la voix s’est étoffée ; medium et grave ont une honnête solidité, l’ensemble est homogène et n’évoque en rien le canari redouté. A quelques sons dans les joues près et quelques cocottes mal venues, elle peut tirer fierté de cette Rosina.
Le jeune premier avec lequel elle forme couple, en revanche, est beaucoup moins à son affaire que dans Orphée et Eurydice donné in loco voici trois mois. Est-il fatigué ? Dans la première scène, la voix est affligée d’un vibrato excessif qui ne sera vraiment corrigé qu’au deuxième acte. Tout au long de la soirée Maxim Mironov semble chercher à donner du poids à sa voix légère sans perturber la pureté de l’émission des aigus ; il n’y parvient qu’avec peine, et de surcroît semble avoir oublié les leçons d’interprétation de Pesaro sur la pratique des aigus à la fin des airs. (A-t-on voulu tenir compte du poids des traditions à Toulon ? C’est possible, et c’est regrettable). La tessiture du « rondo » souvent supprimé « Cessa di più resistere » lui est accessible, mais ce sont les agilités qui le mettent à l’épreuve, même si, tout compte fait, le résultat reste honorable. Seulement, à l’écoute de Rossini, ce n’est pas une appréciation raisonnable que l’on souhaite, mais une adhésion enthousiaste.


© Frédéric Stéphan


Or  malheureusement pour lui, son « rival » Bartolo et le factotum Figaro ont des qualités vocales et une personnalité qui font pâlir les siennes. Pour sa prise de rôle, Carlo Lepore est un tuteur saisissant ; au personnage étriqué et timoré souvent représenté il substitue un jouisseur aux abois, dont la confiance en soi, liée à sa surface physique aussi bien que sociale, est minée peu à peu et dont les yeux écarquillés disent l’incompréhension et le désarroi. Vocalement, en rossinien confirmé, il est impeccable dans le chant sillabato et les agilités sans la moindre altération. Les passages où il imite Rosina en voix de fausset ne font que mieux ressortir la rondeur de sa belle voix de basse et la rigoureuse clarté de son émission.
Le titulaire du rôle titre, à une projection sans défaut qui lui donne une puissance étonnante pour une corpulence moyenne, et à une voix bien timbrée et très homogène, joint des talents d’acteur né, doublé d’un acrobate et d’un danseur. Le Figaro de Paolo Bordogna est un personnage aux multiples facettes, séducteur en diable, cousin d’Arlequin dont il prend fugitivement les poses. Il s’impose dès son air d’entrée et il sera à juste titre le triomphateur de la soirée car son agilité vocale va de pair avec son agilité physique. Bravo !
Auprès d’individualités aussi fortes le Basilio de Carlo Cigni, bien qu’irréprochable, manque un peu d’ampleur. Cécile Gallois monte l’air de Berta en épingle, en forçant un peu pour la reprise finale. Mais Figaro tend à faire de même et il semble que sur scène le retour de l’orchestre ne soit pas très net, ceci explique peut-être cela. Pierre Doyen a une présence qui sort Fiorello de l’anonymat.
Bonne participation du chœur au premier acte, un peu emprunté durant la sérénade à cause de l’encombrant décor déjà cité.
Un public nombreux – passés les désagréments de spectateurs retardataires au début de l’ouverture et de jeunes turbulents vertement rabroués pendant la première scène – a suivi avec ravissement le spectacle et acclamé longuement les interprètes au rideau final.

Maurice Salles


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