C O N C E R T S
 
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PARIS
22/09/2004

© DR
Cecilia BARTOLI

Freiburger Barockorchester

Antonio Salieri (1750 - 1825)

1ère partie
Ouverture de Cubai, gran kan de Tartari
"Gelosia, dispetto e spegno" extrait de La scuola de' gelosi
"Eccomi... Amor pietoso amore" extrait de Il ricco d'un giorno
"Vi sono sposa e amante" extrait de La fiera di Venezia
Ouverture de Don Chisciotte alle nozze di Gamace
"E non degg'io seguirla" extrait de Armida
"Sulle mie tempie" extrait de La secchia rapita

2ème partie
Ouverture de La secchia rapita
"Se lo dovessi vendere" extrait de La finta scena
"Or ei con Ernestina" récit et aria extraits de La scuola de' gelosi
"Se spiegarsi potessi appieno" extrait de La finta scena
Variation n°26 sur La follia di Spagna
"Non vo' gia che vi suonino" récit et aria extraits de La cifra

Rappels
"Maggior follia" extrait de La Semiramide riconosciuta de C.W. Gluck
"Al tuo seno fortunato" extrait de L'anima del filosofo de J. Haydn
"La Ra La" extrait de La grotta di Trofonio de A. Salieri

Mercredi 22 septembre 2004, 20 heures
Théâtre des Champs Elysées, Paris



Finalement elle était verte, opulente avec une longue traîne... Les paris étaient allés bon train tandis que prenaient place les musiciens de l'Orchestre baroque de Fribourg. Rouge. Bleue. Rose. Perdu. Au mépris de toute superstition, la robe affichait une couleur intensément émeraude, à faire pâlir une granny smith. Les divas sont ainsi. Elles ne se résument plus à leur seule voix mais leurs attitudes, leurs faits, leurs gestes importent presque autant. Et Mlle Bartoli appartient assurément à la légende.

Ce postulat posé, indiscutable, satisfaisons à présent les hérétiques. Oui, le volume sonore est faible. Il m'a même paru moindre qu'à l'habitude. Il faut en chercher sans doute la raison du côté du Freiburger Barockorchester et de son effectif, largement supérieur à celui d'il Giardino Armonico ou de l'Akademie für alte musik Berlin qui accompagnaient la chanteuse dans ses précédents récitals au Théâtre des Champs-Elysées. Tout est relatif, ne l'oublions pas. Oui, la voix en s'étirant vers l'aigu s'est amincie dans le grave et le médium. Conséquence directe, les couleurs ont blanchi. Le chant n'a plus le même relief. Oui, Salieri n'a pas l'envergure de Mozart ou Haydn. Il ne parvient pas, comme ses illustres confrères, à dessiner un caractère, tracer une situation en quelques notes. Oui, après Vivaldi, Gluck, on commence à connaître la chanson. Exhumation, sensation, promotion. L'effet de surprise n'est plus au rendez-vous. Oui...

Restent une personnalité unique, une technique accomplie servie par une musicalité hors pair, une générosité à toute épreuve, des pans de répertoire dévoilés comme autant de fresques oubliées subitement mises à jour derrière leur barbouillage de plâtre, une joie de chanter incroyablement communicative. Et le public frissonne, en redemande. Ce soir comme les autres soirs. Toute critique semble alors bien mesquine.

Pourtant, le triomphe n'est pas forcément assuré. Le premier air, par exemple, extrait de La scuola de' gelosi, tombe à plat. Pas un applaudissement. Rien. La salle est froide et ce n'est pas l'insipide ouverture de Cubai, gran kan de Tartari, exécutée auparavant par un irréprochable Barockorchester, qui a pu l'aider à se réchauffer. Heureusement, le rondo "Amor pietoso amore", qui par ses longues phrases suspensives apparente Emilia à La Comtesse Amalviva, permet de reprendre l'assistance en main. Bartoli est sans rivale lorsqu'il faut ainsi reposer la voix sur le souffle pour exhaler le soupir de l'âme. "Vi sono sposa e amante" convoque la flûte et le hautbois pour un trio virtuose où les ornementations dialoguent et s'imitent. La cantatrice sait habilement rendre le public complice du plaisir qu'elle partage avec les autres solistes. L'ouverture de Don Chisciotte alle nozze di Gamace est à peine jouée qu'elle est aussitôt oubliée. La première partie peut s'achever avec, d'abord, la grande scène d'Armida, merveilleusement exprimée, puis le tonitruant extrait de La secchia rapita. La puissance des cuivres et les timbales malmène alors un peu notre Cecilia, mais elle cramponne le hautbois et finit par terrasser les redoutables difficultés de la partition. Sortie. Un peu difficile, la longue traîne s'accroche à l'angle de la porte.

La secchia rapida assure, au moyen de son ouverture, la transition avec la deuxième partie. "Se lo dovessi vendere", petite pièce allègre, ruban que Zerlina ne refuserait pas de nouer à son cou, est l'occasion de déployer oeillades et espiègleries. C'est le trou normand, le sorbet au milieu du repas, léger et rafraîchissant, qui prépare aux plats de consistance. "Or ei con Ernestina" est le premier d'entre eux. Le rondo introspectif, introduit par un récitatif enfiévré, met en valeur la comédienne. L'expression du visage, du corps aussi, affranchie des tics qui autrefois l'entachaient, dans les passages virtuoses notamment, participe autant que le chant au portrait de cette comtesse aux tourments mozartiens. "Se spiegarsi potessi appieno" renoue avec l'ébouriffante virtuosité. Les variations sur La follia di Spagna à l'indéniable charme mélodique valent à l'Orchestre de Fribourg une formidable ovation. L'habileté de l'ensemble, pourtant dépourvu de chef, est admirable. Les récit et aria extraits de La cifra forment avec bonne humeur le point final de la soirée.

Point final ? Non, car avec la Bartoli, les rappels correspondent à une troisième partie. On ne range pas la nappe et les couverts. Au contraire, on fait défiler encore deux morceaux de choix : un extrait de La Semiramide riconosciuta de Gluck, gravement bouleversant, et l'air du genio de Haydn qui finit d'enflammer la salle. C'est un mauvais tour joué à Salieri qui ne sort pas vainqueur d'une telle confrontation. Car il s'agit là des deux meilleurs moments de la soirée. La musique se hisse enfin à la hauteur de l'interprète. Le compositeur viennois aura pourtant le dernier mot. "La Ra La" referme le concert comme un clin d'oeil alors que le public se met debout pour acclamer la diva.

Oserais-je l'avouer, j'ai failli ne pas y aller. J'avais déjà écumé ses derniers récitals Vivaldi, Gluck, Orfeo e Euridice au Châtelet aussi... J'en étais sorti tellement comblé que, Salieri aidant, je craignais d'être déçu. Et puis finalement, je me laissai convaincre par un jeune camarade de l'accompagner. Aujourd'hui, je sais que, la prochaine fois, sans hésiter, j'y serai.
 
 

Christophe RIZOUD
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