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BAUGÉ
24 & 30/07/04

Les Pêcheurs de Perles © DR
LES PECHEURS DE PERLES

Opéra en trois actes de
Georges Bizet

Réalisé par Brad Cohen 

Direction musicale :
Andrew Edward's CB

Direction artistique :
Bernadette Grimmett

Scénographie : J.B. Monribot

Orchestre
et Choeur de l'Opéra de Baugé

Zurga : Owen Webb
Nadir : Andrew Friedhoff
Leila : Rosalind Evans
Nourabad : Michel Kallipetis

Samedi 24 Juillet 2004

MARTHA
ou le marché de Richmond

Opéra en quatre actes de 
Friedrich von Flotow
Livret de G.R. Kruse

Direction : Philip Hesketh

Orchestre
et choeur de l'Opéra de Baugé

Lady Henrietta Durham
(Harriet / Martha) : Moira Harris
Nancy, sa suivante
(Nancy / Julia) : Magdalen Ashman
Lord Tristan Mickelford, son cousin :
Owen Web
Plumkett, un riche fermier :
Stephen Kennedy
Lionel, son frère de lait :
Magnus Vigilus
Le Shérif de Richmond :
Michel Kallipetis

Vendredi 30 Juillet 2004



OPÉRA DE BAUGÉ
SAISON 2004

L'Opéra génère une dimension fantasmatique qui se révèle au détour des mots, qui s'inscrit en filigrane dans les pages des programmes. Il est des noms et des lieux qui provoquent le rêve et l'envie, réalisés parfois, impossibles souvent, toujours attendus... Il serait aisé d'énumérer ainsi chanteurs et chefs, scènes mythiques et anecdotes...

Nous retiendrons Bayreuth bien sûr et son temple wagnérien, Glyndebourne, ses arbres et ses prairies qui ont entendu plus qu'aucun d'entre nous les plus grandes oeuvres du répertoire...

Souhaitez-vous aller recueillir leurs confidences ? C'est trop compliqué ? Alors... allez à Baugé, c'est tout près, c'est dans le Maine-et-Loire, pas très loin de la vallée du dernier grand fleuve libre d'Europe ! Bientôt, la nature verdoyante de la propriété des Capucins, appartenant à un couple d'Anglais totalement possédés par le genre opéra (John Grimmet, fondateur de l'Opéra de Baugé), pourra à son tour vous livrer duos et cavatines, romances et choeurs, drames et comédies légères, de Britten à Mozart...

Si vous souhaitez, pendant quelques heures, fusionner avec la culture britannique, alors formez-vous au rituel et surtout ne vous étonnez de rien tout en vous nourrissant de surprises... et de paniers-repas !

Sélectionnez la tenue vestimentaire ad hoc qui va vous permettre de traverser le miroir des illusions, mais n'oubliez surtout pas votre fauteuil-camping. Et si celui-ci est placé le long d'une table sur laquelle la lumière du jour finissant vient se briser sur les verres en cristal taillé et l'argenterie (côtoyant gobelets en plastique et assiettes en carton)... "still life" caressée par la flamme vacillante des bougies portées par des chandeliers... c'est normal ! vous êtes à l'Opéra de Baugé !

Auparavant, vous aurez longé le grand chapiteau de toile, style "Fête foraine" avec issues de secours, normes de sécurité et accessoires sanitaires adaptés pour découvrir un fronton à l'antique peint en trompe-l'oeil et pénétrer, en retirant vos lunettes de soleil, dans le théâtre en bois, temple clair-obscur de la célébration à venir, parfaite évocation d'un théâtre élisabéthain... c'est normal ! vous êtes à l'Opéra de Baugé !

Et si, à chacun de vos déplacements, vous êtes gratifié d'un sourire par ceux que vous croisez, si, en quittant le parking à la fin du spectacle, le préposé à l'organisation vous fait de grands signes pour vous souhaiter bonne route, vous aurez la confirmation - si vous en doutiez encore - que vous êtes bien à l'Opéra de Baugé...

La place dévolue à la gastronomie - bien française et l'on voit que le "métissage culturel" n'est pas, lui, une illusion - occupe une large place. Elle ne saurait cependant éclipser l'Opéra dans lequel elle est insérée, entre deux actes, et le spectateur de 2005 soupera volontiers avec Don Giovanni (l'un des opéras prévus).

A l'affiche de la saison 2004, deux ouvrages : Les Pêcheurs de Perles de Bizet et Martha de Friedrich von Flotow (annoncés tous deux dans par Christophe Rizoud dans les Brèves).
 





Les Pêcheurs de Perles © DR 

LES PECHEURS DE PERLES
Opéra en trois actes de Georges Bizet

Réalisé par Brad Cohen 

Direction musicale : Andrew Edward's CB
Direction artistique : Bernadette Grimmett
Scénographie : J.B. Monribot

  Choeur et Orchestre de l'Opéra de Baugé

Zurga : Owen Webb
Nadir : Andrew Friedhoff
Leila : Rosalind Evans
Nourabad : Michel Kallipetis



Ce samedi 24 juillet était donnée la première des Pêcheurs de Perles. Après les représentations de 1863, l'oeuvre semble avoir été oubliée et même perdue, non sans laisser, semble-t-il, suffisamment d'indices pour qu'une partition ait pu être reconstituée et éditée par Brad Cohen. "Adaptée à la partition vocale publiée par Bizet lui-même, elle offre une structure claire, conforme à l'originalité de Bizet" (informations fournies par un programme très documenté).

Cet opéra s'inscrit dans notre culture comme l'archétype de l'opéra à la française, avec romances et mélodies, grands airs propices aux prouesse vocales... persistant longtemps après dans la mémoire de l'auditeur, parfois associés à des souvenirs de grand-père ou de grand-oncle enflant sa voix à l'issue d'un repas de mariage.

Les chanteurs, trois essentiellement, se doivent donc de répondre à l'attente. A Baugé, l'engagement, la force de conviction des différents intervenants, des solistes à l'orchestre, ont emporté l'adhésion et - parfois - fait naître le délicieux frisson de l'émotion.

Zurga possède une voix pleine, au timbre un peu sourd. Il faut s'habituer au vibrato, plutôt excessif. Au troisième acte, cependant, il exprime ses tourments avec expressivité dans son grand air "L'orage s'est calmé..." Le duo avec Leila constitue l'un des moments forts de la représentation, les voix se valorisant l'une l'autre. La situation dramatique est parfaitement lisible, ciselée par la partition de Bizet à laquelle chef et orchestre rendent justice, nous en reparlerons.

Andrew Friedhorff incarne un Nadir gracile, fragile - dangereusement pour ce qui est de la voix - et attendrissant, si l'on en juge par les réactions féminines perçues ici et là ! Sa romance est portée par un filet de voix, ténu mais juste, confidentiel jusqu'à l'intime. Il n'empêche que ses interventions restent constamment marquées par l'incertitude du résultat...

Le dialogue avec Leila n'est guère à son avantage, celle-ci, malgré des aigus quelque peu forcés, possède une assurance, une ampleur et une présence qui, progressivement, lui font prendre l'ascendant sur ses partenaires, notamment au troisième acte.

Une mention particulière doit être accordée au choeur qui signe une belle prestation et dont on a pu apprécier la puissance et l'homogénéité, mais qui s'est trouvé desservi par des directives de mise en scène qui mériteraient d'être revues afin que chacun connaisse le rôle exact qu'il doit jouer.

La jeunesse de ce nouvel Opéra qui s'inspire de son glorieux aîné, ne suffit pas à justifier un choix de costumes pour le moins discutable... ce dont les spectateurs ne se sont pas privés ! Il est vrai que les questions de goût peuvent être développées à l'infini. Il n'en reste pas moins que le requin sanguinolent en carton-pâte, les barques pour jeux d'enfants et surtout le drapé-boursouflé-brillant-gardien-de-la-décence de pêcheurs trop blancs de peau pour faire couleur locale, nous font regretter un minimalisme signifiant que nous n'admettrions pas en d'autres circonstances. Mais après tout, nous sommes dans une enclave du Royaume-Uni et les codes culturels et esthétiques sont peut-être à reconsidérer.

C'est à l'orchestre et à son chef qu'il convient de reconnaître le rôle de grand architecte de cet édifice généreux, mais dont nous avons relevé les failles. La direction est précise sans ostentation, l'acoustique bien maîtrisée par une répartition judicieuse des sonorités : les cuivres sont séparés (cors et trombones) afin de ne pas créer un pôle sonore trop présent, un violoncelle est écarté du groupe afin de répartir les graves. Un choix subtil qui souligne le sens de la mesure dans la musique bien française de Bizet, sans exclure pour autant l'arc dramatique qui sous-tend l'oeuvre. Un choix musical déterminant qui différencie avec élégance l'orchestre de Bizet de celui de Berlioz : si certains passages renvoient à La Damnation ou à La Fantastique, on n'atteint jamais aux extrêmes de Berlioz. Que chacun conserve ses particularités...

Cette oeuvre figure assez peu à l'affiche de nos théâtres (sa relative brièveté ne facilitant pas sa programmation ?) et on peut le regretter. Le livret comporte bien des naïvetés (un collier opportunément exhibé qui induit la fin), mais pas plus que dans des opéras plus prestigieux. Le caractère exotique et conventionnel du début (percussions, rythmes, ligne mélodique) s'estompe progressivement, comme si Bizet oubliait son propos initial, mais la musique s'installe magistralement chez l'auditeur, enrichissant sa mémoire et son imaginaire : il faut rendre hommage à l'Opéra de Baugé de mettre ainsi à l'affiche une oeuvre quelque peu éclipsée par une Carmen omniprésente.

Il est clair que l'on ne peut aborder une telle soirée comme on aborde une représentation donnée dans l'un de nos théâtres subventionnés. Ici, on l'a vu, la passion soutient l'ampleur de la tâche et l'ambition mérite d'être accompagnée afin que la dynamique ainsi enclenchée, déjà perceptible dans l'orchestre, porte l'ensemble de la prestation au niveau requis par un choix d'oeuvres exigeantes !

Nous rappellerons l'acte de foi proclamé par le fondateur du Festival de Glyndebourne (il y a plus d'un demi-siècle), John Christie : "Nous ferons la chose non pas du mieux que nous pourrons, mais de la meilleure façon qui soit au monde", et nous le mettrons en perspective avec l'un des grands fondateurs de la pensée française, Nicolas Boileau en l'occurrence, qui donnait le conseil suivant dans son Art poétique "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage...".

De l'autosatisfaction sans nuance de l'un à l'appel besogneux de l'autre, il y a sûrement un équilibre à trouver... et la réponse est à rechercher sans nul doute du côté des spectateurs.


MARTHA OU LE MARCHÉ DE RICHMOND
Opéra en quatre actes de 
Friedrich von Flotow
Livret de G.R. Kruse

Direction Philip Hesketh
Orchestre et choeur de l'Opéra de Baugé

Personnages principaux
Lady Henrietta Durham (Harriet / Martha) : Moira Harris
Nancy, sa suivante (Nancy / Julia) : Magdalen Ashman
Lord Tristan Mickelford, son cousin : Owen Web
Plumkett, un riche fermier : Stephen Kennedy
Lionel, son frère de lait : Magnus Vigilus
Le Shérif de Richmond : Michel Kallipetis



A l'affiche de l'Opéra de Baugé, ce vendredi 30 juillet, figurait cette oeuvre méconnue, rarement (ou jamais ?) donnée de Friedrich von Flotow, représentée pour la première fois en 1847, avec un succès considérable. 

Un oubli regrettable dans la programmation tant l'oeuvre est attachante, animée d'une verve propre au divertissement et à l'émotion, sans pour autant sacrifier à la qualité musicale...

Après des Pêcheurs de Perles pour le moins approximatifs, nous étions impatients de découvrir ce nouveau spectacle. De fait, dès les premiers instants, nous avons été propulsés dans "le" spectacle total qui caractérise l'Opéra : alliance complexe de théâtre, de musique, voix et instruments dialoguant dans un ensemble attrayant de décors et de costumes... avec de surcroît une mise en scène légère et précise.

Hélas, l'édifice n'a pas résisté au-delà des deux premiers actes, se délitant peu à peu pour aboutir, aux deuxième et troisième, à un spectacle inabouti, se hâtant vers la fin... mais salué par les applaudissements d'un public inconditionnel.

Peut-être a-t-on oublié que l'opéra relève d'une alchimie subtile et complexe qui exige la présence d'un grand ordonnateur contrôlant et exaltant tous les éléments mis en jeu ? 

La mise en scène, classique, s'est montrée efficace de bout en bout, soulignant les rapports émotionnels entre les personnages, articulant ensembles (duos, quatuors,...) et choeurs : une bonne occupation de l'espace scénique, toujours intelligible, des effets amusants, jamais appuyés, servis par des chanteurs plutôt bons comédiens, même si, parfois, ils semblaient un peu trop retenus, mais c'était la première.

Nous avons dit à propos de Bizet, tout le bien que nous pensions de l'orchestre : bien des pupitres enrichiraient nombre d'orchestres établis, avec un hommage particulier aux bois et aux cordes.

Les premières voix entendues nous ont d'emblée placés à un haut niveau musical. 

Moira Harris possède un soprano qui lui permet d'incarner une Harriet / Martha souveraine. Elle fait de son grand air de la dernière rose de l'été (thème récurrent ponctuant l'oeuvre), au deuxième acte, un moment particulièrement émouvant dans lequel le dialogue voix-orchestre fonctionne à merveille. La conviction, le don à la salle, effacent des aigus parfois forcés.

Magdalena Ashman (contralto) confère une réelle présence à Nancy / Julia, même si l'organe se révèle un peu plus limitée, notamment dans len termes de puissance et de graves : elle se place bien dans les ensembles, et ses duos avec Martha sont très convaincants.

Sir Tristan (baryton-basse) est porté par Owen Webb, le Zurga des Pêcheurs de Perles : le chanteur est comme transfiguré, manifestement plus à l'aise dans ce rôle. La voix est plus libre et la langue allemande paraît mieux lui convenir. Ses talents de comédien font de Tristan le personnage le plus attendu et le plus drôle.

Nous avons volontairement - et en priorité - voulu rendre justice aux chanteurs qui, s'ils avaient été mieux entourés, auraient pu faire de ce spectacle un succès total. Il faut bien, a contrario, évoquer ceux qui, de notre point de vue, ont conduit à une seconde partie pour le moins laborieuse.

La figure de Lionel était confiée à un ténor léger, Magnus Vigilius qui, manifestement, s'est avéré dépassé par le rôle. Il n'a pu surmonter qu'à de très rares moments ses limites et ses difficultés vocales. Dans les ensembles, l'apport des autres voix masquait en partie une justesse approximative et des aigus étranglés.

Stephen Kennedy était Plumkett, l'un des quatre rôles principaux, dont il a livré une lecture pour le moins inattendue... Jusqu'au milieu du deuxième acte, il est intervenu avec autorité, avec un superbe timbre de baryton léger (aux graves moins assurés). Après un trou de mémoire que l'on pouvait volontiers excuser, il a donné le reste de l'oeuvre... le livret à la main. Hélas, il ne s'agissait pas d'un jeu de scène, mais bien de la nécessité de lire un texte que le chanteur n'avait pas mémorisé...

Les conséquences ont été néfastes à l'ensemble de la représentation, nous ramenant à notre propos initial : tous les éléments d'un opéra sont étroitement imbriqués et la défaillance de l'un (ici Plumkett) et les difficultés de l'autre (Lionel) ont entraîné l'ensemble du plateau ; c'est d'autant plus navrant que la première partie était plutôt brillante.

Comment jouer la comédie lorsqu'il faut lire ? Comment établir une intimité lors d'un duo quand les yeux sont sur le livre au lieu d'être sur l'aimée ?...

Les erreurs se sont multipliées et le chef, que nous n'avons pas encore évoqué, n'a pu redresser la situation. Si l'orchestre a conservé ses qualités intrinsèques, la direction de Philip Hesketh s'est montrée moins rigoureuse que celle d' Andrew Edwards dans Bizet , ses musiciens jouaient souvent trop fort, couvrant les chanteurs et le choeur.

Cette première avait lieu le 30 juillet, les deux autres représentations devant avoir lieu les jours suivants. On ne peut que souhaiter la résolution de certains des problèmes évoqués, tout en craignant la fatigue vocale des chanteurs enchaînant trois soirées sans repos. En tout état de cause, une mention appuyée doit être adressée au décorateur et au metteur en scène dont le travail a permis des évolutions pertinentes en regard à l'action, ainsi qu'aux costumiers et coiffeurs, toilettes, coiffures et perruques variées et colorées mettant en valeur les héros comme le choeur.

Cette oeuvre aura été une excellente découverte pour de nombreux spectateurs (même si le sous-titrage annoncé s'est montré défaillant), grâce à la musique chatoyante et élégante de Flotow qui, sans perdre de sa personnalité, possède la couleur d'Offenbach, la somptuosité de Weber, la subtilité de Mozart dans certains ensembles, le quatuor du rouet dans le deuxième acte rappelant en particulier Così fan Tutte.

Il faut saluer à nouveau l'audace de l'Opéra de Baugé qui n'hésite pas à programmer des oeuvres dont la fréquentation n'est pas assurée. Souhaitons à nouveau que les différents acteurs de cette belle aventure trouvent les ressources artistiques nécessaires pour la mener à bien.
 
 

Jacques REVERDY
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