C O N C E R T S
 
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LIEGE
11/04/2004

(Ekaterina Siurina)
Vincenzo BELLINI

I CAPULETI E I MONTECCHI

Opéra en deux actes 
Version concertante
Musique de Vincenzo BELLINI

Livret de Felice ROMANI
Créé à Venise, le 11 mars 1830
Editions Ricordi

Direction Musicale : Giuliano Carella
Giuletta : Ekaterina Siurina
Romeo : Ruxandra Donose
Tebaldo : Cesare Catani
Capellio : Giovanni Furlanetto
Lorenzo : Léonard Graus

Orchestre et Choeurs de
L'Opéra Royal de Wallonie

Représentation du 11 avril 2004 
Théâtre Royal de Liège


Le rendez-vous annuel à Liège pour les versions concertantes d'une oeuvre de bel canto romantique a souvent donné lieu à des matinées incendiaires, riches en émotions. Après une Adelaide di Borgogna expérimentale, ont suivi notamment des Tancredi, Semiramide et Sonnambula qui ont permis au public de l'ORW d'applaudir des pointures comme Ewa Podles, Rockwell Blake ou encore Annick Massis.

Au-delà du fait que la distribution semblait - au premier coup d'oeil - moins alléchante, celui qui semblait faire le plus cruellement défaut, c'était le Maestro Zedda, véritablement adulé à Liège où il nous a déjà gratifié d'une Cenerentola cette saison. Faut-il y voir la raison pour laquelle de nombreuses places étaient encore disponibles à quelques minutes du spectacle ?
L'oeuvre en elle-même, peut-être, a semblé moins originale, mais a-t-on si souvent l'occasion d'entendre cette partition de Bellini ?

Au début de l'année 1830, Giovanni Pacini se désiste d'un engagement pour la saison du Carnaval à Venise afin de pouvoir honorer une commande de Turin. La Fenice se tourne alors vers Bellini qui se voit octroyer sept semaines pour écrire un nouvel opéra. Fort d'une collaboration fructueuse avec le librettiste Romani (Il Pirata, La Straniera, ...), les deux hommes sont à nouveau associés pour cette entreprise. Pris par le temps, Romani va retravailler un de ses livrets tandis que Bellini réutilisera pas moins de dix mélodies de sa funeste Zaïra qui connut un échec retentissant à Parme en 1829. Il faut encore savoir que parmi d'autres impondérables, Bellini dut plier son écriture à la distribution réunie pour cette saison du Carnaval. Cette troupe explique de suite la présence d'un musico (rôle travesti) pour incarner Roméo et les difficultés accumulées dans sa partie vocale, l'identité plus frêle de Giuletta comparée à une Amina ou une Alaïde, la typologie des autres rôles plus effacés du Père, de l'Amant et du Conseiller.

Giulano Carella est un vieux routier, fréquentant régulièrement et avidement le répertoire belcantiste romantique. Nous l'attendons, d'ailleurs, en mai prochain dans une gravure de l'Esule di Granata de Meyerbeer chez Opera Rara. Que ce soit dans ses rapports avec l'orchestre, le choeur ou l'oeuvre en elle-même, Carella nous propose - faute d'un temps qu'il n'a pas pris ? - une version très manichéenne de l'opéra de Bellini.

A son actif, une énergie certaine et un grand métier. Les aspects guerriers, martiaux et masculins sont davantage exprimés et, sans doute, directement plus abordables dans ce contexte de répétitions. Pourtant, très vite (dès l'ouverture en fait), cette monochromie va lasser faute de contrastes, d'accents et de chiaro oscuro... L'orchestre de l'ORW est capable de grandes choses, du moins s'il est stimulé par des poétiques, des imaginaires et des enthousiasmes d'enfant comme Zedda en est capable justement. Nous avons déjà assisté à de réelles transfigurations de cette phalange sous la baguette amoureuse du vieux Maestro...
Ce n'est pas tant le résultat entendu qui chagrine, car rien n'est honteux, loin de là, mais il nous semble qu'avec un peu plus d'imagination et d'investissement le chef italien aurait pu proposer une approche autrement diversifiée, sous bien des aspects. Ainsi, sous la baguette "carellienne", on cherche en vain à retrouver la légèreté des rythmes belliniens, en l'occurrence d'allure plutôt éléphantesque et, malgré la moyenne d'âge du public généralement rassemblé pour le dimanche des abonnés, il nous semble que la dynamique sonore pouvait explorer d'autres nuances que le Forte et le triple Forte en de maints endroits de la partition...

Il faut reconnaître pourtant qu'avec Carella, les artistes se sentent en sécurité et ainsi libérés dans leur chant, ils compensent souvent grâce à la beauté de la ligne mélodique, le manque de finesse certain de cette direction musicale très virile et musclée.

Ces aspects masculins se retrouvent dans un premier tableau où le Choeur d'hommes se montre très professionnel, ni plus ni moins, avec, à nouveau, peu de contrastes, peu ou pas de consonnes et d'accents, une honnête routine et une certaine bonhomie. Dans l'optique d'une version concertante où peu de choses distraient le regard et où donc, fatalement, le moindre détail visuel prend des allures de coup de poing dans l'oeil, il serait judicieux, nous semble-t-il, que tous se présentent avec la même couverture de partition et qu'un des choristes, plus particulièrement, évite de prendre appui nonchalamment, le coude sur le genoux et la joue flasque sur le poing... Le professionnalisme réside également dans ce genre de détail.

L'entrée de Cesare Catani nous a ramené à d'autres préoccupations. Il nous laisse partagés. Force est de reconnaître que Catani, de par ses moyens naturels, impressionnants, et son énergie, parvient à hisser son personnage au rang de véritable protagoniste. Ceci n'est pas une mince affaire, Bellini n'ayant pas conçu sa partition pour un monstre comme Rubini au-delà d'une scène d'entrée acceptable. L'engagement du ténor est total, mais global. Le matériau à la base est réellement corsé, large, imposant en volume, mais, de toute évidence, lancé très vite en carrière : bien des aspects du bagage technique du ténor semblent avoir été négligés et maintenant, après dix ans, il est résolument interdit au chanteur d'émettre un son piano, tant l'émission s'appuie - dans tous les sens du terme - sur une énergie assez brutale. Catani existe, notamment dans ses récitatifs, mais son aria et sa cabaletta sont monolithiques, pour ne pas dire primaires, avec un médium solide, mais des passages cruellement à nu et un aigu assez frustre, claironnant à souhait pour le grand plaisir d'un certain public. L'artiste ferait sans doute beaucoup plus illusion dans un répertoire plus tardif et dans le cadre d'une version scénique. Au-delà de sa prestation, on regrette que le meilleur de ce potentiel non négligeable ne soit pas mis en lumière faute d'armes adéquates.

Giovanni Furlanetto débarquait de Paris et de Bastille où il venait de faire ses débuts dans le même emploi. Prestation professionnelle et honnête de cet artiste qui nous semble davantage à sa place dans un répertoire plus mozartien. Furlanetto se sent obligé d'en faire des tonnes pour crédibiliser un personnage trop âgé pour lui, psychologiquement plus que vocalement. Plutôt que de se contenter d'une émission qui peut être très agréable et suffisante à elle-même, la " basse " préfère jouer les vilains jusqu'à la caricature avec d'inutiles et faux effets de timbre. Une plus grande conscience des mots et de la douleur paternelle étaient accessibles à l'artiste mais, ce dernier semble s'être également beaucoup ennuyé pendant cette après-midi. Après avoir régulièrement " gratouillé " sa barbe pendant la prestation de ses collègues, a fini par jeter son dévolu sur un fil dépassant de sa chaise et a bien occupé dix longues minutes à tenter de l'extraire avant d'en faire une ravissante boulette... No comment...

Qu'est-il arrivé à Léonard Graus pour que nous ressentions une telle sensation d'impréparation ? L'artiste qui rend d'immenses services à Liège depuis de nombreuses années a souffert le martyre tout au long de sa prestation. Lunettes et partition au garde à vous, nous jetterons un voile pudique sur une prestation crispée, hésitante, frisant l'accident vocal où nous avons eu peine à reconnaître le timbre du chanteur, mais où nous avons partagé un stress, visible et audible, à chacune de ses interventions. Graus nous doit une revanche...

Giuletta vit un véritable jeu de chaises musicales. Tatiana Lisnic céda son siège à Donata D'Annunzio Lombardi qui finalement fut remplacée par la toute jeune Ekaterina Siurina. La cantatrice russe a été la révélation de cette représentation et est à l'aube d'une carrière très prometteuse. En petite poupée matriochka, elle est, physiquement, idéale de fraîcheur, de candeur et de mélancolie. 

Dès sa première apparition en scène, elle est crédible et de plus, très agréable à regarder quand elle chante, rien ne perturbant une superbe émission. L'instrument et la manière dont la jeune artiste s'en sert, sont d'une réelle beauté, sans aucune verdeur, maîtrisant la tessiture raisonnable de Giuletta. De bout en bout, Ekaterina Siurina offre une vision argentine d'une Giuletta enfant, même dans la douleur du tombeau et de l'agonie de Roméo. Sans bouder notre plaisir et il fut grand cette après-midi là, Siurina va encore beaucoup mûrir, et gageons que d'ici peu de temps, à la vue de l'intelligence de ses choix, la cantatrice assumera bientôt l'intégrité du phrasé lunaire bellinien, osera des clairs obscurs plus prononcés et des dynamiques de consonnes autrement percutantes. Il va sans dire que la psychologie de son personnage n'en sera que plus accessible pour le public. Nous espérons également que des d'agréables couleurs viendront bientôt ombrer un médium riche en potentiel et que l'artiste affrontera plus crânement coloratura et suraigu. Sur l'heure, après un Oh Quante Volte à peine sorti de l'enfance et qui a beaucoup touché, Ekaterina Siurina trouve ses meilleurs moments dans les duos avec sa partenaire où elle semble galvanisée par l'affectueuse et sincère complicité unissant les deux artistes. Assurément une personnalité à suivre ....

Si nous n'avons pas eu droit à la confrontation de Marie-Ange Todorovitch avec elle-même après son Angelina, notre plaisir fut immense de retrouver, treize ans plus tard, une autre Cenerentola, la plendide Ruxandra Donose. En 1991, la jeune Roumaine dans les premiers balbutiements de sa carrière, avait offert à l'ORW une délicieuse Cendrillon rossinienne. Elle nous revient dans un tout autre emploi, grandie, mature, en pleine possession de moyens qui ont beaucoup gagné, notamment en termes de couleurs, à la faveur d'une carrière très intelligemment conduite. Donose offre, visuellement, un Romeo idéal, crédible, racé et juvénile. Romeo voit souvent s'affronter deux types d'emplois. Les grands contraltone alla Podles ou encore davantage alla Horne ou, plus proches, de nous des mezzos plus clairs et plus légers, comme Kasarova ou Larmore. A première vue, on serait tenté d'inclure Donose dans la seconde catégorie, pourtant on s'y refuse.
Son Romeo est avant tout personnel, pétri d'humanité et défini par un chant d'une probité à toute épreuve. Le mezzo roumain refuse tout effet gratuit ou facile - même quand le chef l'y invite - et dessine son héros avec comme armes une émission superbe et libre sur toute la tessiture ainsi qu'un amour des mots à fleur de lèvres. Les moyens, sans être surhumains, affrontent sainement les aspects virils et guerriers du Se Romeo t'uccise un figlio et du la tremenda ultrice spada. Mais bien davantage, l'artiste touche par une véritable évolution psychologique, elle y croit et nous aussi, emportant l'adhésion dans une scène du tombeau (celle de Bellini et non pas de Vaccai, ici) très émouvante et servie par une morbidezza supérieure. Avec Donose, Bellini voit s'exprimer, sans aucune affectation, tout le bagage d'une touchante belcantiste : un art du recitativo, un legato sans couture et expressif, un rubato à bon escient et une très estimable coloratura.

En cette belle après-midi de printemps, avec la délicate essence d'Ekaterina Siurina et les couleurs flamboyantes de Ruxandra Donose, le chant de Bellini fut fleuri dans le sens le plus noble du terme. Merci Mesdames...
 
 
 

Philip T. PONTHIR
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