C O N C E R T S
 
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VERONE
24/03/2007
 
Maria Devia (Anna Bolena)
© DR
Gaetano DONIZETTI (1797 – 1848)

ANNA BOLENA

Tragédie lyrique en 2 actes (1830)
Livret de Felice Romani

Mise en scène, Graham Vick
Décors et costumes, Paul Brown
Lumières, Giuseppe Di Iorio

Anna Bolena, Mariella Devia
Enrico VIII, Michele Pertusi
Giovanna Seymour, Laura Polverelli
Lord Riccardo Percy, Francesco Meli
Smeton, Elena Belfiore
Lord Rocheford, Marco Spotti
Sir Hervey, Cristiano Olivieri

Direction musicale, Lü Jia
Orchestre et chœurs des Arènes de Vérone

Teatro Filarmonico, Vérone, le 24 mars 2007 à 20h30

 

Royal !


Avec son vingt-neuvième opéra, Anna Bolena, Gaetano Donizetti tient enfin son premier triomphe. Créée à Milan en décembre 1830, l’œuvre fut composée pour les plus grands gosiers de l’époque, le ténor Giovanni Battista Rubini, la basse Filippo Galli et l’illustre soprano Giuditta Pasta. Elle souffre aujourd’hui de cette genèse prestigieuse. Quels chanteurs, en effet, sont capables de rendre justice à une écriture vocale des plus exigeantes, qui requiert à la fois une technique et un tempérament hors du commun. Le XXe siècle compte sur ses doigts les cantatrices qui parvinrent à triompher du rôle titre. Et le XXIe ?

Mariella Devia, réputée pour être la plus grande soprano belcantiste en activité, se devait de relever le défi avant de prendre, comme annoncé il y a peu, ses distances avec le monde lyrique. Le pari ne semblait pourtant pas gagné d’avance. La Devia, quelles que soient ses qualités, n’est pas reconnue pour ses ardeurs dramatiques. D’aucuns qualifient même son chant d’impavide. Or il ne s’agit pas ici d’un rôle de jeune fille éthérée mais bien de celui d’une femme féroce, ambitieuse au point d’avoir troqué l’amour contre la couronne ; non pas une biche – Elvira, Imogène, Amina…– mais une lionne traquée dont les derniers sursauts sont autant de coups de griffes. La cabalette finale « Coppia iniqua », brandie rageusement à l’époque par Maria Callas, en offre le meilleur exemple.

Consciente de ses limites, Mariella Devia, à l’instar des plus grandes, sait ne pas sortir de son registre et jouer justement de ses faiblesses. Plutôt que de s’abîmer à contrefaire les viragos, elle offre d’Anna un portrait automnal qu’elle compose à partir des tonalités mordorées de son timbre. Alors certes, on cherchera en vain le sursaut d’orgueil qui éperonne « Giudici ! Ad Anna » ou la hargne suffocante des « Tu ? Tu, Seymour ? Mia rivale ? ». On trouvera aussi que le son manque de densité, que la voix peine à s’imposer dans le grave et le medium au détriment des ensembles parfois. Mais on appréciera en revanche l’intelligence du chant, la virtuosité confondante de « Legger potessi in me ! », la douceur de l’aigu émis sur le souffle qui sublime « Al dolce guidami » et, au-delà, le visage magnifique de l’épouse déchue, d’autant plus que la splendeur passée de la reine rejoint dans le même temps celle de la cantatrice.


Laura Polverelli (Giovanna Seymour) - Maria Devia (Anna Bolena)
© DR

Par contraste, la jeunesse de sa rivale, Laura Polverelli, n’en parait que plus éclatante. Après un timide « Ella di me, sollecita », la mezzo-soprano italienne reprend le contrôle jusqu’à triompher de sa partenaire dans le duo «  Dio, che mi vedi in core ». La franchise de l’émission, l’égalité des registres, la facilité de l’aigu, la clarté des couleurs, qui rappellent d’ailleurs que le rôle fut au départ confié à une soprano, consacrent alors sa Giovanna Seymour, au moment même où Anna Bolena, dans un geste symbolique, lui offre la couronne. Son dernier air, spectaculaire, achève de convaincre. Mais indépendamment des qualités vocales, c’est la composition qui séduit, la manière dont la chanteuse parvient à traduire le déchirement de la favorite, écartelée entre sa fidélité à la souveraine et sa sensualité qu’exacerbent encore les costumes de Paul Brown.

Du côté des hommes, plus qu’à l’Henri VIII de Michele Pertusi, dont l’interprétation, irréprochable au demeurant, n’empoigne pas – il faut dire qu’au contraire des autres protagonistes, le rôle, dépourvu d’airs, offre peu de moments excitants - on succombe au charme de Francesco Meli. A l’exemple de sa Somnambula parisienne le ténor délivre une véritable leçon de chant. Il y a au départ un timbre dont la grâce rayonne au point de s’être vu confié Don Ottavio. A tort, le tissu en est déjà trop moiré pour convenir à l’amant d’Anna. Mieux qu’avec Mozart, le style trouve matière à s’épancher dans le bel canto romantique, avec une élégance qui n’est pas sans rappeler Carlo Bergonzi – le compliment est de taille. Jamais en effet on n’avait entendu un tel Percy, au point que le personnage apparaît comme une révélation. L’acteur est encore un peu maladroit ; aussi c’est par sa seule expression vocale, avec un art accompli des nuances, qu’il réussit à incarner son personnage. Sa technique lui permet même de venir à bout de la cabalette « Nel veder la tua constanza », omise par un grand nombre de chanteurs en raison des difficultés qu’elle comporte. Il ne lui reste qu’à gagner un peu d’assurance pour affronter sans faillir les notes les plus exposées.


Francesco Meli (Lord Riccardo Percy) - Marco Spotti (Lord Rocheford)
© DR

On retrouve aussi avec plaisir Marco Spotti, applaudi dans La Gioconda aux Arènes en juillet 2005, tout en déplorant que cette voix à l’étoffe remarquable ne soit pas plus et mieux employée (le rôle de Rochefort ne comporte que quelques répliques).

Un tel plateau, agrémenté de la direction dynamique bien que parfois un peu bruyante de Lü Jia, suffirait à combler le plus intraitable des spectateurs. Au diable, la mise en scène ! Depuis longtemps à Paris l’opéra romantique italien se passe d’ailleurs de falbalas ; on le donne le plus souvent à la hussarde, en version de concert.

Les choses ne se passent apparemment pas ainsi en Italie ; la production de l’Opéra de Vérone surprend par son luxe, tant au niveau des décors que des costumes (plusieurs, même par interprète).


(Atto secondo)
© DR

Graham Vick choisit d’illustrer l’action en plaçant les personnages dans un palais de verre et d’argent représenté par un podium pivotant qui, au gré d’accessoires, se transforme en chambre, parc du château ou tribunal. Ce dernier est symbolisé par une tête monumentale au regard voilé – la justice est aveugle, rappelons-le – et une épée gigantesque pointée vers le sol. Encore plus impressionnant, le quintet du premier acte voit le roi et la reine, juchés sur des chevaux d’or et d’argent, à la manière des tableaux de cour. La direction d’acteurs se veut simple mais précise. Seuls les chœurs, coincés la plupart du temps dans un coin du dispositif, peinent à trouver leurs marques.

Au plaisir de l’oreille répond donc celui des yeux. Ce parti pris, résolument esthétique, enthousiasme le public qui, tout en réservant un triomphe à l’ensemble des chanteurs, applaudit aussi le metteur en scène - la chose est suffisamment rare pour être citée. Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’une telle production ne se cantonne pas à l’Italie et vienne irradier de ses beautés les villes où l’hédonisme lyrique n’a plus droit de cité. Du moins pour le moment.



Christophe RIZOUD


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