OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BARCELONE
26/02/2008


 Edita Gruberova
© Antonio Bofill


Gaetano Donizetti (1797-1848)

LUCREZIA BORGIA

Opera seria en deux actes avec prologue
Livret de Felice Romani d’après Victor Hugo
Création à La Scala de Milan, le 26 décembre 1833

Version concert

Lucrezia Borgia : Edita Gruberova
Gennaro : Josep Bros
Maffio Orsini : Ewa Podles
Don Alfonso, Duc de Ferrare : Ildebrando D’Arcangelo
Don Apostollo Gazella : Alberto Feria
Liverotto : Roger Padullés
Ascanio Petrucci : Francisco Santiago
Olofreno Vitellozzo : Jordi Casanova
Gubetta : Roberto Accurso
Rustighello : Bülent Külekçi
Astolfo : Balint Szabo


Orchestre et Chœur Gran Teatre del Liceu
Direction musicale : Stefan Anton Reck
Chef de Chœur : José Luis Basso

Barcelone, Gran Teatre del Liceu
26 février, 2008

Un opéra élixir de succès


En dépit de son action meurtrière, le vin des Borgia répandrait-il également des vapeurs euphorisantes ?

Dès sa création à La Scala de Milan, Lucrezia Borgia remporte un triomphe suivi de trente-trois représentations. Puis, malgré la censure et le procès gagné par Victor Hugo, on l’acclame fréquemment en Italie et à l’étranger jusque dans les années 1920. Après une longue période d’oubli, l’œuvre est ressuscitée à New York en 1965 lors de la renaissance donizetienne.

La grande mezzo Marilyn Horne ambitionne alors de rivaliser avec les sopranos coloratures en interprétant le rôle de Lucrezia en concert. Mais enceinte de près de sept mois, la chanteuse doit déclarer forfait. Carnegie Hall étant entièrement vendu, il faut la remplacer à la hâte dans ce rôle qui demande une grande virtuosité. On sollicite Montserrat Caballé, jeune soprano barcelonaise qui commence à briller en Europe. Malgré un engagement important en préparation, celle-ci accepte d’apprendre immédiatement Lucrezia. C’est une révélation… Du jour au lendemain, la carrière internationale de Montserrat Caballé est lancée ! (1)

Pour le trentième anniversaire des débuts in loco d’Edita Gruberova dans L’enlèvement au sérail, le Liceu a décidé d’offrir en 2008 une prestigieuse prise de rôle à cette diva de 61 ans. Promesse tenue : chaque représentation de Lucrezia Borgia reçoit une demi-heure d’ovation d’un public en délire. Il faut s’empresser d’ajouter que si la soprano de Bratislava a su rassembler en Espagne un grand nombre de fans venus en masse avec bannières, confettis et bouquets pour lui rendre un hommage triomphal, ce concert est aussi une exceptionnelle réussite collective.

Bien évidemment, la Gruberova, servie par une technique d’une grande efficacité, déploie tout son savoir faire. Elle a l’art de tenir l’auditeur en haleine sans forcer son talent. Après quarante ans de carrière, sa voix possède une étonnante fraîcheur. Elle ressemble à une porcelaine d’une extrême finesse qu’on serait émerveillé de ne point entendre se briser au moment de ses portamenti ascendants ou descendants et de ses pianissimi suraigus prolongés. Cette grande chanteuse ne manque pas de mordant quand il le faut ; elle sait être intense comme dans son superbe air final ; elle est rarement bouleversante tant elle semble éthérée.


Ewa Podles & Josep Bros
© Antonio Bofill

 
Le contralto Ewa Podles est tout le contraire. Sa technique vocale est admirablement contrôlée, mais elle s’incarne totalement dans son personnage — aussi une prise de rôle. Les couleurs moirées de sa voix capiteuse la rendent unique. Ceux qui sont sensibles à son chant généreux, tellement particulier, sont subjugués dès les premières notes. Et dans le fameux brindisi qui suit « Il segreto per esser felice », Ewa Podles crée un moment de théâtre à la hauteur de ses interprétations scéniques.

Le solide ténor barcelonais Josep Bros est un spécialiste du bel canto. Il a l’aigu facile ; il possède la vaillance, le phrasé, la projection. La voix peut se faire charmeuse et tendre « Piangete per me » ou encore « T’amo qual s’ama un angelo ». Il assume avec brio ce rôle exigeant.

Dans le Duc Alfonso, la basse italienne Ildebrando d’Arcangelo a un peu de mal à s’imposer dans sa première scène. Malgré sa jeunesse, on perçoit parfois un léger vibrato. Il est cependant un mari jaloux et implacable très efficace, surtout dans son long duo menaçant avec Edita Gruberova.

Le chœur du Liceu est bien chantant ; les seconds rôles correctement tenus. Une mention pour le ténor turc Bülent Külekçi (Rustighello), la basse roumaine Balint Szabo (Astolfo) et la basse italienne Roberto Accurso (Gubetta ).

La direction d’orchestre est précise et sobre. L’expressivité et les couleurs instrumentales sont justes mais parfois un peu pâles car le chef allemand Stefan Anton Reck porte toute son attention aux chanteurs. Grâce lui soit rendue.

Comme Tonio dans La fille du régiment du même compositeur, écrions-nous « Ah mes amis, quel jour de fête ! »


Brigitte CORMIER



 
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(1) Montserrat Caballé, Casta Diva, Robert Pullen et Stephen Taylor, 1994 – Hachette, 1996 pour la traduction française.

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