OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
06/06/2008

Pierre Boulez
© Felix Broede pour DGG


Concert Boulez

Mahler 10ème Symphonie (Adagio)
Berg Altenberg-Lieder *

Entracte

Schönberg Pelleas et Melisande

Laura Aikin (soprano) *

Orchestre de l’Opéra National de Paris
Direction musicale : Pierre Boulez

Salle Pleyel, le 6 juin
2008

Le son lointain


Plus encore que de l’Opéra de Paris, Pierre Boulez est un ami de Gérard Mortier, auquel il doit (en partie) la collaboration artistique hors-norme qu’il a réalisée avec les Wiener Philharmoniker. L’arrivée de Mortier à la tête de la « Grande Boutique » a ainsi donné lieu à plusieurs concerts : après une soirée consacrée notamment à Bartok, à l’automne 2004, et après une participation au Gala du Mariinsky à Garnier un an plus tard, Boulez retrouve donc les musiciens de l’Opéra, cette fois à la Salle Pleyel. Programme boulézien de circonstance, regroupant quelques compositeurs qu’affectionne l’auteur du Marteau sans maître, et intelligemment construit autour de ce qu’on pourrait appeler « la conquête de l’atonalité », comprise par le dernier Mahler, engagée par le jeune Arnold Schönberg et sereinement appliquée par l’encore plus jeune Alban Berg des Altenberg-Lieder.
   

Laura Aikin © DR

Créées en 1913, ces cinq pièces d’après des « Textes de Cartes Postales » de Peter Altenberg suscitèrent la polémique en raison, notamment, de l’effectif orchestral, d’une grandeur démesurée comparée à la brièveté des numéros (dont le dernier, le plus long, n’excède guère quatre minutes). Berg y démontre qu’on peut être atonal sans rejeter le passé en bloc, et s’autorise même – provocation suprême ! - des instants de bel canto, où la virtuosité et l’agilité dans l’aigu de la soprano soliste sont pleinement requis. Artiste multiforme, Constance chez Mozart comme chez Poulenc, autant Lulu qu’Olympia, incarnation d’une virtuosité vocale que seule égale la curiosité intellectuelle, Laura Aikin possède à l’évidence toutes les qualités nécessaires pour livrer une grande interprétation des Altenberg-Lieder. Mais pas à Pleyel. De nombreux observateurs ont noté, dès la réouverture de la salle, combien l’acoustique de celle-ci s’avère trompeuse pour la voix, qui d’un rang à l’autre, apparaît très diversement audible. Des premiers rangs du premier balcon (où était placé votre serviteur) le moindre piano se noyait sous la masse orchestrale ; un seul pizzicato des cordes mettait à mal la réverbération de cette superbe voix. Ce qu’on a deviné de l’interprétation - un premier mot (« Seele » - « Âme ») sinueux et fantasmagorique, comme chanté au sortir d’un cauchemar ; des accents torturés et obsessionnels, à l’image des poèmes d’Altenberg qui semblent dépeindre des « femmes au bord de la crise de nerf », probablement patientes du Docteur Freud ; sur le « Hinaus » (« infini ») concluant la troisième pièce du cycle, un suraigu inoubliable - c’est assez pour vouloir légitimement réécouter les Altenberg-Lieder par Laura Aikin, au disque ou dans un lieu plus adapté.

On a beau être sur Forum Opéra, et affectionner d’abord la voix, l’orchestre aussi nous intéresse (a fortiori quand les voix sonnent tel un « son lointain »). Ici sa prestation ira crescendo. De l’Adagio de la 10e Symphonie ne monte certes pas une fièvre dévastatrice (le Mahler de Boulez n’est pas celui de Bernstein). Préférer mettre savamment en lumière les multiples contre-plans de cette grande architecture orchestrale est un parti pris fort tentant, efficace, pour le moins, avec un petit nombre de très grandes phalanges. Ici la pureté du son, la clarté de la diction, l’intelligence de construction et la lisibilité du discours sont brouillées par de petites scories instrumentales - un violon qui grince, un cor approximatif - vénielles mais incessantes, et donc très agaçantes ! De petites imperfections dans une lecture qui se veut parfaite, sont aussi pénibles que de grosses chutes de tensions dans une interprétation enfiévrée : ils touchent à sa nature, à sa légitimité même ! On commençait à s’arracher les cheveux (au grand dam de nos voisins), quand vint l’heure des Altenberg-Lieder. L’orchestre s’y montre sous un meilleur jour qu’avec Mahler, plus opulent, plus nerveux, rendant justice au génie de Pierre Boulez. Mais c’est en deuxième partie que l’on pardonne enfin totalement aux musiciens de l’ONP : transfigurés, ils offrent un anthologique Pelléas et Mélisande, d’une violence et d’une tension sidérantes. Chez Schönberg, Boulez règne en maître absolu, grand ordonnateur d’un discours cinglant et implacable que traversent parfois les solos des instrumentistes qui, ayant manifestement réaccordé leurs violons, ont vu Boulez leur réaccorder sa confiance !


Clément Taillia
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