C O N C E R T S
 
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LAUSANNE
25/04/2004

© DR
Récital Sylvie Brunet
 

Sylvie Brunet, mezzo-soprano
Stéphane Petitjean, piano

Lausanne
25 Avril 2004



Une grande mezzo verdienne

Les fins d'après-midi de dimanches ensoleillés n'engagent pas forcément le chaland à s'enfermer dans une salle de concert. Surtout pour y entendre une chanteuse peu connue sous nos latitudes, seulement accompagnée d'un pianiste. C'est donc devant une salle clairsemée que Sylvie Brunet fait son entrée. Vêtue d'une grande robe grise et noire, immense chevelure de jais, son imposante stature impressionne d'abord avant qu'un sourire chaleureux n'éclaire son visage et distribue un halo de sympathie sur la salle qui l'accueille.

La jeune mezzo ouvre son récital avec une suite d'airs antiques et on prend rapidement la mesure de son talent. Quand elle s'engage dans l'air de Bertarido, "Dove sei ? amato bene" (Rodelinda de Haendel), on saisit qu'elle n'est pas venue nous conter fleurette ou nous dire "Regardez comme je chante bien ! ". Immédiatement, la voix ample, profonde, sensible de la jeune femme perce l'âme. Elle raconte son trouble, elle dit son amour, elle crie son désespoir. Pris sur un tempo extrêmement lent, "Ombra mai fù" (Serse de Haendel) permet d'apprécier la qualité du phrasé. Entamant cet air sur une note chargée de douceur intimiste, elle y laisse éclore sa grande sensibilité musicale. Puis, dans le célèbre "Amarilli, mia bella" de Caccini, Sylvie Brunet prodigue une extrême douceur alors que ses couleurs entraînent peu à peu son chant plaintif et amoureux vers des horizons infinis. Il n'y a plus de mots, plus de musiques, plus de voix, seul un chant qui vous envahit d'ambiances chaudes et parfumées. Changement total d'atmosphère avec son "Che farò senza Euridice" de Gluck. Le chant se fait puissant, tourmenté, désespéré. Vivant la douleur atroce d'Orphée au plus profond d'elle-même, Sylvie Brunet ne peut s'empêcher de se torturer les doigts tout en criant au monde de lui rendre Eurydice.

On aurait pu craindre qu'avec ce début riche en incandescences, la suite du programme sombre dans la routine d'une leçon bien apprise. Rien n'y fit. Sylvie Brunet s'implique sans compter dans l'exercice périlleux d'airs d'opéras chantés avec le seul accompagnement d'un piano. Avec une aisance vocale déconcertante, elle offre d'abord un sensible "Voce di donna" de la Gioconda (Ponchielli) avant de s'épancher dans deux airs de Werther. Mais c'est dans "Printemps qui commence" suivi de "Mon coeur s'ouvre à ta voix" tirés de Samson et Dalila que s'impose la qualité exceptionnelle de sa diction. Rien de maniéré chez l'héroïne lyrique préférée de la mezzo française, grâce à travers l'intelligence de la coloration vocale, c'est l'amoureuse éperdue qui ressort. Après un "Stride la vampa" (Il Trovatore) chargé de folie, la mezzo, décidément en très grande forme, termine son récital avec un "O don fatale" (Don Carlo) arraché comme une ultime plainte. Jetant ce qui semble être ses dernières forces dans cet air, elle livre une interprétation débordante de générosité qui sied aux rôles que Verdi écrit pour ce registre de voix. Ainsi, Sylvie Brunet se profile désormais comme une grande mezzo verdienne : puissante, intelligente, prodigue, comme les scènes lyriques n'en avaient plus applaudi depuis de nombreuses années.

Accompagnée avec précision par Stéphane Petitjean, sa voix sonnante et peuplée d'harmoniques a enthousiasmé l'auditoire. Prenant tous les risques, conduisant un récital admirablement préparé, la mezzo s'est donnée au public sans retenue ni calcul. 

Merci Madame, vous nous avez comblés !
 
 
 

Jacques SCHMITT

PS : Signalons que Sylvie Brunet sera Ulrica dans Un Ballo in Maschera de Verdi aux côtés de l'Eleonora de Manon Feubel à Avignon (les 9 et 11 mai 2004).

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