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DRESDE
11/09/06
 © DR
Giacomo Puccini (1858-1924)

Madama Butterfly

Tragédie en trois actes
Livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa

Butterfly (Cio-Cio-San) : Marina Mescheriakova
Suzuki : Elena Bocharova
Pinkerton : Zoran Todorovich
Sharpless : Markus Marquardt
Goro : Tom Martinsen
Le Prince Yamadori : Matthias Henneberg
L’Oncle Bonze : Rainer Büsching
Le Commissaire : Jürgen Commichau
Kate : Andrea Ihle

Chœur et Orchestre de la Staatskapelle de Dresde
Direction musicale : Georg Fritzsch
Mise en scène : Annette Jahns
Décors : Hartmut Schörghofer
Costumes : Frauke Schernau
Chorégraphie : Carla Börner

Dresde, lundi 11 septembre 2006

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(1 étoile et demie)
Depuis la chute du mur de Berlin, l’Opéra de Dresde tente de reprendre la place éminente qui fut le sienne dans le monde musical européen des deux derniers siècles. Le Semperoper possède pour cela des atouts majeurs : outre une tradition ininterrompue malgré les vicissitudes politiques (les innombrables enregistrements réalisés depuis les années 30 jusqu’à nos jours en témoignent), outre un écrin architectural unique, c’est dans la fosse que l’on découvre la carte maîtresse de cette maison : la Staatskapelle de Dresde est l’une des phalanges orchestrales les plus prestigieuses du monde, avec des sonorités d’une richesse unique – rappelons qu’il s’agit du plus vieil orchestre constitué du monde, fondé par le Prince Électeur Maurice de Saxe en 1548 !

Les grincheux peuvent continuer à croire qu’on ne doit aller à Dresde que pour Strauss et Wagner. Puccini, lui, ne s’accommode guère des fanfares de troisième ordre, et l’idée d’entendre sa Butterfly servie par un orchestre de ce niveau a de quoi mettre la puce aux oreilles même les plus rétives à ce répertoire. De fait, on a rarement entendu Puccini aussi poétiquement rendu que ce soir, dans une qualité de moirures insensée, les différents pupitres déployant une palette de dynamique et de couleurs à fendre l’âme.

La régie est à la hauteur de ce rendu orchestral : confiée à Annette Jahns, elle–même chanteuse de son état, la mise en scène déploie avec tact les qualités qu’on croit essentielles à ce métier, et qui font malheureusement défaut à beaucoup : le sens de l’écriture musicale. Les mouvements, les inflexions ne sont pas ici fonction de l’humeur et de l’arbitraire du metteur en scène, mais répondent à la logique rythmique et harmonique de la partition. Le regard du fils de Butterfly se levant lentement sur Kate quand une brève modulation se fait jour à l’orchestre, une ombre voilant tel mouvement de Pinkerton au son d’un leitmotiv à peine perceptible… Les exemples de cette symbiose ne sont pas rares ce soir, et réconcilient un peu avec le métier de metteur en scène !

Le problème, et il est de taille, viendra du plateau. On passera avec indulgence sur des seconds plans parfois bien pâles : c’est un problème habituel des opéras possédant une troupe, où l’on doit trouver du travail pour chacun des membres de l’ensemble – et on sait que la troupe dresdoise peine encore à trouver son équilibre, malgré quelques très bons éléments, tel Markus Marquardt, Sharpless encore un rien léger, mais prometteur. Face à ce chanteur, deux hurleurs se disputent au podium des décibels, à commencer par Zoran Todorovitch, Pinkerton sans grâce ni souplesse, émettant chaque son en force, usant son gosier comme les oreilles de ses auditeurs. Sa Butterfly trémulante ne convainc guère plus. Le physique bien peu juvénile de la dame n’y est pour rien : Hui He, qui triomphe dans ce rôle sur toutes les grandes scènes, Berlin, Milan, Vienne ou Paris, n’est pas franchement plus gracieuse, mais qu’importe alors l’œil quand l’oreille est ainsi comblée ! Seule la scène finale permet à l’artiste de faire valoir ses qualités propres, faites d’énergie plutôt que de morbidezza, de tension plutôt que d’abandon… Déception de taille, donc, mais qui a un mérite : le public, enthousiasmé, ne semble pas aussi perplexe que nous sur ce qu’il vient d’entendre. Bonne leçon de relativité des écoutes et autres habitudes stylistiques…

 
David Fournier
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