OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
19/04/2008


Edwin Crossley-Mercer © DR

Dietrich BUXTEHUDE (1637-1707)

LE JUGEMENT DERNIER

(Das jüngste Gericht)

Les Folies françoises
Les Pages et les Chantres
du Centre de Musique Baroque de Versailles

Jaël Azzareti (soprano)
Christophe Einhorn (ténor)
Edwin Crossley-Mercer (baryton)
Patrick Cohën-Akenine (violon solo)

Direction Olivier Schneebeli

Samedi 19 avril 2008
Cité de la Musique, Paris.

Les mousquetaires versaillais dans la Hanse


Les musicologues ne sont pas certains de l’attribution de cette œuvre découverte à la fin des années 20 au maître de Lübeck. En revanche, ils savent bien que chaque année, les cinq dimanches précédant Noël, Buxtehude faisait entendre à Sainte-Marie un acte d’oratorio. Construite en trois actes traduisant la destinée de l’homme de sa déchéance à sa rédemption, le Jugement dernier ne dénote toutefois pas la même qualité d’écriture que celle des motets du compositeur : les arias sont très souvent strophiques avec un accompagnement concertant italianisant réduit, les chœurs homophoniques proches des chorals luthériens repris dans les cantates de Bach. Seuls les récitatifs sur texte biblique laissent transparaître une facture plus audacieuse.

Ce qui frappe d’emblée à l’écoute des Pages et des Chantres du CMBV, c’est l’homogénéité et l’aérienne respiration du chœur mixte. Les timbres des enfants – habillés en joli pourpoint rouge et noir à crevés – se mêlent harmonieusement avec les voix d’adultes, largement masculines. Les pupitres sont espacés, le phrasé rond en dépit d’une direction très vigoureuse et qui pourrait paraître saccadée. Ainsi, les chœurs de l’Actus I, sorte de prologue où dialoguent les Vices, sont pratiquement découpés mesure après mesure, avec des notes systématiquement piquées. Le parti-pris d’Olivier Schneebeli n’est pas sans rappeler l’esthétique des cantates de Bach par Harnoncourt et Leonhardt (Teldec) pour son sens du théâtre mêlé de cette verdeur spontanée parfois brutale.

Côté solistes, Edwin Crossley-Mercer a laissé admirer un timbre magnifique d’onctuosité et de profondeur tirant vers le baryton-basse. Une diction allemande parfaite lui a permis de déclamer avec conviction et à-propos ses interventions solennelles. A la fois stable, varié dans ses couleurs, moelleux sans être brouillon, l’artiste aurait fait un parfait Evangéliste dans la Passion selon Saint-Mathieu si sa tessiture était plus aigüe. Jaël Azzareti quant à elle bénéficie d’une voix fruitée, transparente et dynamique dans les aigus, d’une redoutable précision dans les trilles et les ornements. La soprano a cependant paru fatiguée lors du dernier acte, perdant de sa rafraîchissante clarté. Le seul point noir de la distribution était Christophe Einhorn, en totale méforme : timbre nasillard avec des passages de registre douloureux, émission engorgée, prononciation incompréhensible, le ténor a accumulé les déceptions malgré son enthousiasme naïf. Espérons donc qu’il ne s’agissait que d’un mauvais soir.

De même, les Folies françoises ont d’abord effrayé l’auditoire par une ritournelle introductive d’une justesse plus qu’approximative. Les joueurs de cornets - dont on peut dire à leur décharge que leur instrument principal pourrait plutôt être la flûte - ont témérairement esquissé des notes d’une acidité de pamplemousse qui s’alliaient laborieusement à des violons déjà désaccordés entre eux, sans même mentionner quelques soucis de coordinations dans les départs. En revanche, les deux gambistes, le violoncelliste et l’excellente flûtiste-bassoniste ont imprimé sensibilité et poésie à leurs parties, et sont pour beaucoup à l’origine du climat de fervente simplicité sous l’auspice duquel le concert a été placé. Le 3e acte a été remarquablement différent (grâce à une reprise en main durant l’entracte ?), avec un orchestre très présent et coloré dès la sinfonie introductive lancinante et douloureuse reflétant à merveille l’agonie du pécheur, et des contrastes nettement plus marqués.

En définitive, la réussite d’Olivier Schneebeli tient moins à l’oratorio lui-même, d’une facture de qualité mais sans originalité, qu’à la beauté altière des chœurs, et à l’atmosphère recueillie, bienveillante, et confite d’humilité qu’il a su imprimer à cette Abendmusik qui porte en elle la chaude rugosité de l’épaisse couverture de laine dont s’emmitoufle le marchand hanséatique un soir de pluie. 


Viet-Linh NGUYEN
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