C O N C E R T S
 
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STRASBOURG
25/03/2006
 
Kimy McLaren © Alain Kaiser

Johann Sebastian BACH (1685-1750)

Cantates Profanes

I. Cantate du Café BWV 211
II. Hercule à la croisée des chemins BWV 213
III. Trauerode (Ode Funèbre) BWV 198

Direction musicale : Sébastien Rouland
Mise en scène : Jean Liermier
Décors : Philippe Miesch
Costumes : Werner Strub
Lumières : Jean-Philippe Roy

Soprano : Kimy McLaren
Contre-ténor : Christophe Dumaux
Ténor : Donat Havar
Basse : Jérôme Varnier

Continuo (Clavecin et orgue) : Yvon Repérant
Violoncelle : Urmas Tammek
Luth : Jean-Sébastien Kuhnel
Violes de gambe : Claire Gautrot, Michael Spengler

Chœurs de l'Opéra national du Rhin
Direction des Chœurs : Michel Capperon

Orchestre symphonique de Mulhouse

Nouvelle Production

L’opéra de Bach ?


L’idée de monter sur scène des cantates profanes de Bach peut paraître singulière, et pourtant ça marche... presque.

Le programme rassemble la délicieuse Cantate du Café, la plus consistante Cantate « Hercule à la croisée des chemins » et enfin l’Ode Funèbre, chef d’œuvre absolu dans la production vocale du Cantor.

Le fil conducteur voulu par le metteur en scène Jean Liermier, c’est la jeune fille, Lieschen, adepte du café dans la première cantate. Nous la trouvons tout d’abord avec son père, furieux de la nouvelle passion de sa fille mais finalement bonhomme et tendre lorsqu’il s’occupe de ses plus jeunes enfants. La scène se déroule dans un superbe intérieur dont les pièces défilent au gré d’un travelling (comme dans le 2° acte du Tristan d’Olivier Py à Genève). Les références à Breughel sont sensibles dans cette première partie : les costumes, notamment ceux des enfants, les accessoires, le mobilier, les lumières, tout n’est qu’enchantement visuel (on cherchera par contre vainement à comprendre pourquoi tout penche vers la droite, rien ne semble faire écho à ce détail dans le reste du spectacle...).

© Alain Kaiser

A la fin de cette cantate, l’espiègle Lieschen veut bien renoncer à sa boisson favorite contre un mari, pour contenter son père, mais elle fera stipuler sur le contrat de mariage qu’elle pourra préparer du café quand bon lui semblera ! La mise en scène traduit parfaitement cet aspect humoristique que l’on ne soupçonne pas toujours chez Bach.

Le texte allégorique de la deuxième cantate permettait bien des choses au niveau dramatique. Le metteur en scène a imaginé un jeune Monarque à la recherche d’une épouse par le biais d’un soulier qu’essaient toutes les jeunes filles du royaume. C’est bien sûr à notre Lieschen qu’il siéra parfaitement, et la voici promue souveraine. Dans un premier temps, les époux nagent dans le bonheur, notamment celui des sens. Ils sont cependant poursuivis par le chambellan, quelque peu voyeur (inénarrable scène où il espionne le couple par le trou de la serrure !), qui tâche de rappeler au jeune homme son devoir de souverain. Nous voyons alors défiler, toujours avec cette belle idée du travelling, les pièces luxueuses d’un palais XVIIIe, aux murs tendus de rouge, notamment une chambre au superbe lit à baldaquin dont les voiles forment de gracieux plis.


© Alain Kaiser

Nous sommes alors plus proches des scènes de libertinage que l’on trouve chez Watteau ou Fragonard.

Finalement, le Monarque se laisse convaincre par le chambellan que les affaires de l’Etat sont plus importantes et qu’elles nécessitent de se séparer de son épouse... L’argument est peu crédible (les monarques de l’époque avaient non seulement femme mais aussi maîtresse(s) !). Le texte de la Cantate a beau célébrer la Vertu au détriment de la Volupté, le virage pris par le spectacle est quelque peu rude et forcé. Le suicide de Lieschen qui intervient alors accentue la maladresse. Il permet bien sûr de passer à l’Ode Funébre, mais on a du mal à croire la foule pleurant cette « héroïne » qui a « courageusement maîtrisé le bras de la mort avant qu’il ne vainquit son souffle » et « montré l’art de mourir de la plus sage manière », alors que l’on a cherché, dans la précédente cantate, à repousser une épouse par trop gênante qui finit par se pendre.

Par ailleurs, l’Ode Funèbre n’étant qu’une succession d’airs et chœurs célébrant les mérites de la souveraine défunte, il n’y a plus d’action dramatique comme dans les deux premières cantates. Difficile dans ce cas de rendre quelque chose d’intéressant scéniquement. Le décor tranche également avec le reste du spectacle : un catafalque peu réussi, une scène vide et glacée, tout cela rappelle les pires moments des mises en scène de Jean-Marie Villégier (Atys par exemple). L’on flirte même parfois avec le mauvais goût telle cette immense tasse de café, posée sur sa soucoupe, volant en fond de scène... L’heure n’est pas à l’humour dans cette cantate profonde et bouleversante.


© Alain Kaiser

L’émotion et la poésie ressenties au début du spectacle sont brièvement rappelées lorsque l’un des enfant vient, sur les dernières notes de l’Ode Funèbre, déguster un café laissé sur un plateau à l’avant-scène depuis le début du spectacle.

Ainsi, après avoir été séduit et transporté dans les deux premières cantates, on en finit par s’ennuyer ferme lors de la dernière, et pourtant, il s’agit sans doute d’une des plus belles musiques de Bach... Mais il faut aussi imputer la raison de cet ennui à l’interprétation musicale qui ne convainc pas toujours.

Nous ne débattrons pas ici de la pertinence de faire jouer ces cantates par un orchestre d’instruments modernes (tout en regrettant cependant de n’avoir pas invité un bel ensemble strasbourgeois de musique ancienne : Le Parlement de Musique de Martin Gester) mais on déplorera par exemple un jeu des cordes vraiment inadapté à ce répertoire. Les vents s’en sortent mieux, mais là encore leur couleur se marie mal avec celle des violes de gambe, du théorbe (mais il faudrait 2 luths pour l’Ode Funèbre...) et du clavecin. Ce sont ainsi les récitatifs qui passent le mieux (avec un violoncelliste qui fait de louables efforts de phrasé et maîtrise au maximum le vibrato). Les airs sont quant à eux bien défendus par une équipe sympathique de chanteurs dont émerge surtout le couple d’amoureux, Kimy Mc Laren, timbre charmant et Christophe Dumaux, à la voix de contre-ténor puissante et souple. Par contre le Chœur de l’Opéra du Rhin est absolument inadéquat pour ce répertoire du fait de sa couleur et de son manque criant d’homogénéité (sa prestation fut par ailleurs très moyenne). Les sublimes chœurs de l’Ode Funèbre ont fort à souffrir d’une telle interprétation.

Sébastien Rouland fait tout son possible pour homogénéiser cet ensemble bien disparate (un orchestre moderne avec quelques instruments baroques, un continuo ancien, un chœur d’opéra...) et réussit à insuffler aux musiciens un élan et des phrasés délicats de bel effet.

On reste hélas sur une assez mauvaise impression à la fin du spectacle, ce qui ne doit pas faire oublier la réussite des deux premières cantates où le passage à la scène s’avère très ingénieux et (presque) convaincant. On en oublie qu’il ne s’agit pas d’opéra mais de cantates, le discours musical différant finalement assez peu à cette époque entre ces deux genres. Cela permet en outre de caresser ce vieux phantasme de l’opéra que Bach n’a jamais écrit..
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Pierre-Emmanuel Lephay



Prochaines représentations :
Strasbourg les 27, 29, 31 mars à 20 h. et le 2 avril à 15h.
www.operanationaldurhin.fr

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