C O N C E R T S
 
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STRASBOURG
14/01/2006

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Hector BERLIOZ 

Benvenuto Cellini

Opéra en deux actes
Livret de Léon de Wailly et Auguste Barbier

Direction musicale : Oleg Caetani
Mise en scène et chorégraphie : Renaud Doucet
Décors et costumes : André Barbe
Lumières : Guy Simard

Giacomo Balducci : Fernand Bernadi
Teresa : Anne-Sophie Duprels
Benvenuto Cellini : Paul Charles Clarke
Ascanio : Isabelle Cals
Fieramosca : Philippe Duminy
Francesco : Alain Gabriel
Bernardino : Chad Louwerse
Le Pape Clément VII : François Lis
Pompeo : Mario Montalbano
Le cabaretier : Christophe de Ray-Lassaigne

Chœurs de l'Opéra national du Rhin
Direction des Chœurs : Michel Capperon

Chœurs de l'Opéra de Nice
Direction des Chœurs : Giulio Magnanini

Orchestre philharmonique de Strasbourg

Nouvelle production

Strasbourg, le 14 Janvier 2006

Benvenuto Cellini est un ouvrage rare à la scène, et il faut remercier avant tout l’Opéra du Rhin de non seulement nous le proposer - qui plus est dans une remarquable production - mais de le placer au cœur d’un cycle Berlioz qui, sur trois ans, présente les trois opéras du grand Hector. On ne sera pas étonné que l’initiateur de ce superbe cycle soit... un Anglais. Nicolas Snowman, directeur de l’Opéra du Rhin, marche en effet sur les traces de Thomas Beecham, Colin Davis ou John Eliot Gardiner en affichant sa passion pour l’un de nos plus grands compositeurs.
La version proposée est la version originale de Paris, avec cependant des modifications apportées par Berlioz lui-même après les premières représentations, des ajouts de la version de Weimar et la présence de quelques dialogues parlés. Reconnaissons que le résultat est fort convaincant, même si la deuxième partie (après le Carnaval Romain) est moins inspirée et constitue un indéniable creux dramatique (et ce, quelle que soit la version...). Mais que faire après le déferlement de la géniale scène du Carnaval ?...

Cette nouvelle production peut faire la fierté de l’Opéra du Rhin tant le travail de toutes les équipes est éclatante. Une telle entreprise nécessitait une mobilisation exceptionnelle, le résultat, répond de ce point de vue, à toutes les espérances en commençant par une mise en scène absolument éblouissante de Renaud Doucet, auquel il faut associer les noms d’André Barbe pour les décors et les costumes ainsi que celui de Guy Simard pour les lumières.

© Alain Kaiser

L’idée - géniale, osons le mot - de cette équipe est de faire un parallèle entre la personnalité fantasque du sculpteur Cellini et celle de Berlioz, à tel point que c’est Berlioz lui-même qui « joue » le rôle de Cellini durant tout l’ouvrage. (1) La première entrée de Cellini voit ainsi un Berlioz, baguette de chef à la main, prêt à diriger tandis que la fonte de la statue n’accouchera pas du fameux Persée mais de la partition de Benvenuto Cellini ! (2). Décors et costumes - extrêmement nombreux et luxueux - naviguent ainsi entre le XVI° et le XIX° avec un naturel confondant et offrent une mise en abyme passionnante (les pans de décor affichant le profil de la statue de Persée et découvrant en arrière pan la partition de Cellini ou le portrait de Berlioz... ).

Il est pour nous impossible après une seule représentation de rapporter le vertige qui nous a saisi durant tout ce spectacle tant la pertinence des idées, et surtout leur réussite scénique (car les bons propos sont légion, leur réussite scénique moins courante) sont proprement stupéfiantes. Tous les registres sont parcourus, de l’éclat de rire (provoqué par les personnages de Balducci et Fieramosca ainsi que la charge violente contre l’Eglise (3)), à l’émotion la plus subtile (les acteurs de Commedia dell’Arte doublant les principaux personnages). Mais Renaud Doucet parvient aussi à bouleverser avec des images saisissantes comme ce Berlioz dirigeant sa propre musique à l’avant-scène durant l’ouverture, l’irruption de trompettes, trombones et autres tubas jetés depuis une loge d’avant-scène dans le brasier lorsque Cellini/Berlioz réclame du métal pour la fonte de la statue, puis une fois celle-ci terminée, la présentation de la partition incandescente accompagnée par le chute de centaines de feuilles de la partition dans la salle.

© Alain Kaiser

Musicalement, nous n’atteindrons pas les mêmes cimes même si l’équipe réunie ne démérite pas. La direction d’Oleg Caetani n’est pas des plus claires, ce qui explique une mise en place parfois chaotique, et le ton est quelques fois un peu trop sérieux, manquant de la folie qui parcourt le plateau. L’énergie demeure cependant bien présente durant tout l’ouvrage. L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg se sort honorablement de sa tâche très exigeante même si l’on déplore un manque d’homogénéité par moments. Les chœurs de l’Opéra du Rhin, renforcés par ceux de l’Opéra de Nice, manquent quant à eux de finesse et courent trop après les décibels.

Nombres jeunes voix et prises de rôles caractérisent la distribution. Le Cellini de Paul Charles Clarke séduit par une voix aux aigus claironnants mais les problèmes d’émission dans le medium et le grave, le manque d’homogénéité, la résistance mise à rude épreuve desservent le chanteur. Sans doute donne-t-il trop dans la première partie et se retrouve-t-il en sérieuse difficulté ensuite dans son grand air « Par les monts les plus sauvages » où il commence bien plus vite que l’orchestre et où l’aigu final est largement coupé. Reconnaissons la longueur et la difficulté extrêmes du rôle : qui peut chanter de manière pleinement satisfaisante une partition qui requerrait des chanteurs différents selon les moments de l’ouvrage ? On appréciera par contre l’implication du chanteur. Nul doute qu’avec le temps (il s’agissait d’une prise de rôle), il saura négocier les exigences et les pièges de la partition.

La Teresa d’Anne-Sophie Duprels est toute pimpante et sa voix fraîche convient bien au personnage tandis que l’Ascanio d’Isabelle Cals affiche une belle voix de mezzo et emporte l’adhésion par son charme et son aisance. L’élément le plus satisfaisant de la distribution est sans doute le Fieramosca de Philippe Duminy, voix franche et saine, aux aigus parfaitement placés, il est en outre d’une drôlerie irrésistible. Drôle, Fernand Bernadi en Balducci l’est aussi, mais la voix est sérieusement érodée aux extrêmes et manque singulièrement de puissance. Le Pape de François Lis est quant à lui un peu vert et manque d’autorité. La voix est cependant prometteuse. Les seconds rôles sont excellents.

Au final, un spectacle absolument passionnant, qui ne règle pas totalement le déséquilibre de la partition mais qui fait le maximum pour convaincre de la valeur d’un ouvrage quelque peu maudit... et qui y réussit : c’est grâce à des productions comme celle-ci que Benvenuto Cellini accède au rang d’incontournable parmi les ouvrages lyriques romantiques.


Pierre-Emmanuel Lephay


Prochaines représentations :
Strasbourg : 17, 20, 23, 25 janvier à 20 h. ; 29 janvier à 15 h.
Mulhouse : 3 février à 20 h. ; 5 février à 15 h.
Renseignements : www.operanationaldurhin.com


Notes
:

(1) Liszt lui-même faisait déjà la parallèle entre le combat de Cellini et celui de Berlioz !...

(2)  Cet aspect de la mise en scène nous a fortement fait penser à la vision des Troyens que donnèrent à Lyon Moshe Leiser et Patrice Caurier en 1987. Durant la Chasse Royale et Orage, on y voyait Berlioz tenant sa partition des Troyens sous le bras, la posant au sol, ce qui déclenchait une succession d’images « romantiques » plus folles les unes que les autres. A la fin de cette vision endiablée, la partition prenait feu devant un Berlioz dépité. Inoubliable scène.

(3) Lorsque le Pape apparaît (au revers d’un immense métronome !), deux moines fricotent ensemble sous le trône papal, et le Saint-Père tient en laisse trois angelots dodus, dont il prend l’un d’eux sur les genoux en lui caressant voluptueusement l’épaule... !

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