OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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GENEVE
17/02/2008


 

Gioacchino ROSSINI (1792-1868)

LA CENERENTOLA

Don Ramiro, Maxim Mironov
Dandini, Fabio Maria Capitanucci
Don Magnifico, Bruno de Simone
Clorinda, Raffaella Milanesi
Tisba, Giorgia Milanesi
Angelina, Vivica Genaux
Alidoro, Simon Orfila

Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Giuliano Carella

Mise en scène, Joan Font
Décors et costumes, Joan Guillen
Lumières, Albert Faura
Chorégraphie, Xevi Dorca

Genève, Grand Théâtre, le 17 février 2008

Des cendres en couleurs


A tous ceux qui pensent que l’opéra est un monde compassé, à tous ceux qui seraient passés à côté des dernières productions de Laurent Pelly, à tous ceux… Bref, à tous ceux qui ont une idée préconçue des plaisirs parfois tout bêtes que l’on peut prendre à une représentation d’opéra, cette production est un cinglant démenti !

Elle ne s’embarasse pas d’arrière-pensées ; elle ne cherche pas à explorer les tréfonds de l’âme humaine ; elle n’en surexpose pas la vacuité du devenir dans un monde forcément cruel, brutal et hostile ! Elle postule la joie de vivre, le ridicule et l’humour – même redondant. Elle joue le jeu de la chorégraphie des corps jetés d’un bout à l’autre de la scène ; elle mise sur la carte de la couleur. Elle parle d’elle-même mais elle n’est pas pour autant simpliste ou simplette. Elle sait même user finement des artifices du théâtre – la « machinerie » de la tempête ; elle sait citer – les ombres chinoises – et détourner. De la subversion comme celle-ci on en redemande !

Il faut dire, aussi, que le support est le plus beau qui soit. Forcément inventif, et vif, et leste ; architecturé comme une montre suisse – c’est le lieu ; huilé à l’extrême. C’est Cenerentola, Rossini et son métier sans pareil. Ses petites facilités aussi, ses auto-plagiats si délicieux – en voudrait-on à Verdi de nous reservir Va pensiero ou à Wagner de nous réchauffer sa Chevauchée ?

Rossini va bien à cet univers comme sorti tout droit de l’Alice au pays des merveilles de Disney. A moins que ce soit le contraire… Toujours est-il que l’échange se fait avec naturel ce qui est merveilleux. C’est d’ailleurs le seul qui est concédé par Rossini et par Joan Font à cette Cenerentola. Je parlais de Disney ; ce serait alors un Disney tourné à Cinecitta qui serait passé entre les mains coloristes d’Almodovar et de la Movida espagnole. Un régal !



Un régal qui doit beaucoup à l’équipe réunie. Vivica Genaux, dans ces colonnes (1), parle de famille. Il y a sans doute de cela pour que la production passe ainsi, vive, alerte, sans accrocs. Menée de main de maître par Carella qui sait ce qu’est un crescendo rossinien ; qui fait chanter les cordes et pépier la petite harmonie ; qui lance des trombes de cuivres et retient le souffle des bois.

L’équipe des « clés de fa » est extraordinaire. Avec un Magnifico - Bruno de Simoneshowman sentant bon l’huile d’olive, la mozzarella et le chianti ! Avec un Dandini - Fabio Maria Capitanucci - qui savonne – juste ce qu’il faut – et impose une présence d’épicurien à mi-chemin entre Boccace et Goldoni. Et surtout un Alidoro - Simon Orfila - moelleux, puissant, qui a du Ramey dans la voix ! Les deux sœurs - Raffaella & Giorgia Milanesi - , elles, crèvent l’écran et son aussi ridicules qu’elles sont cruelles – mais après tout, c’est un juste retour des choses.

Et les amoureux, alors ? Lui (Maxim Mironov) – et c’est bien la seule petite réserve – a ici un côté bellâtre hollywoodien des années 1930, un peu fade et très gominé, qui le laisse quelques fois extérieur à l’action. Prince très droit et généralement un peu sur son quant à soi, fils illégitime de Tito Schipa – c’est le bon côté – et Luigi Alva – là, ça peut coincer – très tenore di grazia, léger d’émission, doucereux mais ému dans son duo avec Cenerentola ; mais qui ramasse tous ses moyens pour son air, très bienvenu ! Et puis, elle, c’est Vivica Genaux. Présence charnelle, palpitante ; silhouette de rêve… qui, du coup, ramène le rêve dans l’histoire ! Qui le ramène avec ses demi-teintes ambrées, suspendues ; mais qui « balance » aussi, avec son abattage fauve et sa virtuosité féline ; avec ses graves chauds et ses aigus lancés comme à la volée.

C’est une très très belle production qu’offre le Grand Théâtre de Genève. Grâce lui soit rendue.



Benoît BERGER

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Lire également l'interview de Vivica Genaux

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