OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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LONDRES
17/12/2007
 
Madgalena Kozena
© Johan Persson



Gioachino ROSSINI (1792-1868)

LA CENERENTOLA
Ossia La bontà in trionfo

Livret de Jacopo FERRETTI

Mise en scène, Moshe Leiser et Patrice Caurier
Décors, Christian Fenouillat
Costumes, Agostino Cavalca
Lumières, Christophe Forey

Clorinda : Elena Xanthoudakis
Tisbe : Leah-Marian Jones
Angelina : Magdalena Kozena
Alidoro : Lorenzo Regazzo
Don Magnifico : Alessandro Corbelli
Don Ramiro : Toby Spence
Dandini : Stephane Degout

Chœur de l’Opéra Royal
Chef du chœur : Renato Balsadonna

Orchestre de l’Opéra Royal
Direction musicale : Evelino Pido

Londres, 17 décembre 2007

Cenerentola or Cinderella?

Cette production de Cenerentola est en passe de battre des records : depuis sa création en 2000 voici sa quatrième reprise. Si les clins d’œil à la société britannique, comme le carrosse qui emporte Cenerentola au bal du prince, of course une Rolls, n’ont plus le piment de la nouveauté ils gardent leur séduction. Le public s’amuse souvent, aidé de surtitres qui traduisent librement et lestement le livret. Le dispositif scénique fonctionne toujours aussi efficacement, et permet de passer du manoir délabré de Don Magnifico à l’imposant palais princier en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Le « réalisme » prosaïque n’a pas ici l’ambition de démystifier le genre mais s’accorde aux données de l’œuvre : Cendrillon passe la serpillière et le mobilier dépareillé découle simplement de la mauvaise gestion d’un homme jouisseur et vaniteux. Les costumes, pour ceux qui les choisissent, révèlent leur caractère : les deux sœurs, avant de se harnacher pour la réception princière, adoptent des tenues d’intérieur du genre baby doll en usage dans les magazines dits « de charme »; cela suffit à dire qu’elles sont impudiques et vénales dans l’âme.

Non, ce n’est pas un gros mot. C’est juste celui de la destinataire de ce conte de fées, où la bonté est récompensée et la méchanceté punie. Dans l’Italie de la création, dominée par les aristocrates, comment était reçue cette histoire de prince amoureux de la vertu et de pauvresse insensible au prestige d’un puissant ? Dans notre société où bien des demeures seigneuriales sont investies par des parvenus, et où des cas d’esclavage domestique sont relatés dans les journaux, le livret de Cenerentola n’éveille-t-il que l’écho d’une sensibilité surannée ? Pourtant, les désordres sociaux sont bien liés, entre autres causes, à la faillite de l’éducation dans la transmission des valeurs. Si le prince fait le bon choix, et si la morale trouve ici son compte, c’est parce qu’un homme sage l’a préparé à distinguer le vrai du toc. Le personnage d’Alidoro est le moteur de l’action : en mettant les jeunes filles à l’épreuve il oriente le prince vers la maison de Don Magnifico.

On pourrait du reste s’interroger sur la contradiction interne : Ramiro est sage parce que son maître à penser l’a aidé à le devenir, mais Cenerentola semble être sage naturellement, de façon innée. Serait-ce à dire que les « nés » ont plus besoin que leurs sujets d’être conseillés ? Sans aller plus loin on vérifie que les contes de fée sont moins coupés du réel qu’on ne le croit. Est-ce pour cette raison qu’Alidoro, assimilé par les metteurs en scène à un bon génie, n’apparaît pas au tableau final ? Son absence déconcerte, alors même que son rôle essentiel a été jusque là plutôt bien souligné. C’est la seule objection forte aux choix des metteurs en scène, avec peut-être dans la même scène finale une perplexité sur l’immobilité hargneuse du clan Magnifico devant les élans de Cenerentola. Ce réalisme psychologique ne contredit-il pas le sens de ce tableau, où la bonté triomphante et l’intérêt bien compris amènent les méchants à se convertir ?


Madgalena Kozena (Angelina/Cenerentola)
© Johan Persson

Pour cette reprise, l’événement était la prise de rôle, en Angelina, de Magdalena Kozena. La talentueuse chanteuse tchèque ne démérite pas en se lançant à l’assaut des vocalises rossiniennes même si la variété des agilités laisse sur sa faim ; certes maints graves sont poitrinés très fort et avant le rondo final un aigu est risqué, mais la voix est souple et le souffle long. En fait, plus qu’une prestation vocale digne et élégante, c’est la performance de la comédienne qui conquiert ; la mobilité et l’expressivité de son visage font passer toutes les nuances des émotions du personnage. Notons encore une première scène étonnante, où le personnage est à deux doigts de riposter physiquement à ses sœurs – l’une et l’autre sans défaut et avec un juste abattage - à cent lieues de la souffre-douleur résignée habituelle.

Victime vers la fin du premier acte d’un incident vocal qui amènera une annonce à l’entracte Stéphane Degout finira comme il avait commencé, c'est-à-dire superbement, le difficile rôle de Dandini, dont les pièges ne lui résistent pas, vocalises ou sillabato. De plus il tient la scène avec justesse, et son numéro dans le manteau de cour est ridicule à point.
Pour ce qui est de son prince, doit-on parler d’accident ou de présomption ? Peut-être mis en confiance par un premier acte sans problème, où il campait avec élégance un personnage juste, d’une voix plutôt agréable, avec des aigus clairs sans nasalisation, Toby Spence a-t-il voulu aller à ses limites après l’entracte ? Le public que les aigus à l’arraché du second acte faisaient grimacer ne lui en a pas tenu rigueur.

Après avoir incarné Dandini à deux reprises sur la même scène, Alessandro Corbelli était cette fois Don Magnifico. On connaît l’intelligence du comédien et c’est sans surprise qu’on le voit camper un père maquereau qui n’est pas sans rappeler Toto. Interprète aguerri de Rossini il surmonte toujours sans faiblir les difficultés techniques, essentiellement liées à la rapidité de l’exécution, même s’il semble se ménager dans les ensembles pour s’épanouir au final. Sera-t-il néanmoins permis de penser qu’il manque un peu de poids, aussi bien vocal que physique, pour incarner ce père noble dévoyé ?


Lorenzo Regazzo (Alidoro)
© Johan Persson


Lorenzo Regazzo en est à son troisième Alidoro dans la maison. Ira-t-il au bout de ses velléités d’abandonner ce personnage ? On veut croire que non, tant il a la vocalité exacte du rôle, sans parler de sa maîtrise du chant rossinien. Il lui donne la noblesse et le poids requis sans la plus minime lourdeur : un tour de force qui va de pair avec l’élégante désinvolture très british que ce Vénitien prête au philosophe-mage.

A la tête de tous ces interprètes et d’un chœur admirablement préparé un Evelino Pido des grands jours. Pour sa quatrième apparition dans la fosse il obtient de l’orchestre une fluidité et un dosage des timbres et des volumes qui relève de la perfection, et ce dès l’ouverture qui n’est pas l’introduction conventionnelle et passe-partout mais une entrée en matière animée d’une vie à la fois vibrante et contenue, exprimée par un rythme modelé souplement et les couleurs variées des différents pupitres, où les vents sont à la fois éloquents et sobres.

Ce mélange ou plutôt cet équilibre entre expressivité et retenue constitue au fond l’impression dominante de cette représentation et explique peut-être le succès persistant de cette production. Le public de cette première a en tout cas chaleureusement ovationné les participants, même si Sir Simon Rattle, présent en salle, a conservé son quant-à-soi.


Maurice Salles
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