OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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MARSEILLE
01/02/2008
 
© DR


Georg Friedrich Haendel (1685-1759)

GIULIO CESARE

Opéra en trois actes (1724)
Livret de Nicola Francesco Haym

Coproduction Opéra National de Lorraine/ Théâtre de Caen

Mise en scène, Yannis Kokkos
Réalisée par Marielle Kahn
Décors et costumes, Yannis Kokkos
Chorégraphie, Richild Springer
Lumières, Patrice Trottier
Réalisées par Pierre Guérin

Giulio Cesare : Beth Clayton, mezzo-soprano
Cléopâtra : Jane Archibald, soprano
Sesto Pompeo : Stéphanie d’Oustrac, mezzo-soprano
Cornelia : Marie-Ange Todorovitch, mezzo-soprano
Tolomeo : Christophe Dumaux, contre-ténor
Achilla : Marc Olivier Oetterli, baryton-basse
Nirenus : Lucie Roche, mezzo-soprano
Curio : Jean Teitgen, basse

Orchestre de l’Opéra de Marseille
Clavecin : Yvon Repérant
Théorbe : Mauricio Buraglia
Viole de gambe, violoncelle : Anne Garance Fabre Garrus

Direction musicale : Kenneth Montgomery

Grandeur et décadence


Si le conquérant de la Guerre des Gaules passa par la Provence, le guerrier amoureux imaginé par Nicola Haym et mis en musique par Haendel n’avait jamais pris pied sur la scène de l’Opéra de Marseille. Comment le public allait-il l’accueillir, dans une production discutée ? 

Le spectacle, déjà représenté à Nancy et Metz, n’emporte pas immédiatement l’adhésion, mais la pertinence et la cohésion de la conception finissent par s’imposer. Elle a l’élégance habituelle du travail de Yannis Kokkos. La transposition dans les années 30 - à en juger par le premier décor art-déco et les casques coloniaux de l’armée romaine – peut sembler problématique, car elle s’accompagne de la présence d’éléments de décor d’origine égyptienne. Mais ne s’agit-il pas de survivances dépouillées de leur signification religieuse originelle et ravalées à une fonction décorative, comme les vases canopes géants ou les projections lumineuses de cartouches remplis de symboles devenus lettres mortes, qui rendent manifeste la décadence de l’Egypte pharaonique devenue une proie facile pour l’impérialisme romain ?

En outre cette conception ne porte pas atteinte à l’ouvrage, dans la mesure où la caractérisation des personnages est réussie brillamment. Sans doute cela n’est-il atteint que par une collaboration réussie entre le metteur en scène et les interprètes, mais l’incarnation théâtrale est fidèle et vivante. Autre atout, les scènes s’enchaînent souplement par le jeu d’éléments mobiles (escaliers, lit) ou de panneaux coulissants qui figurent des tentures ou des pylônes et délimitent les différents espaces prévus par le livret. Certes, les attitudes inspirées des fresques ou des bas-reliefs amènent les figurants à des contorsions  souvent plus ridicules que saisissantes. Mais le show où la pseudo-Lidia, de hiératique représentation d’une déité se mue en meneuse de revue et descend un grand escalier telle Marylin et ôte ses gants à la Rita Hayworth est une réussite indiscutable, et en définitive le spectacle surmonte magistralement l’écueil monumental de ce type d’opéra : l’enlisement dans la succession des airs.

Hormis Stéphanie d’Oustrac, tous les chanteurs sont nouveaux. Elle a probablement amélioré sa maîtrise du personnage de Sesto ; en tout cas elle est saisissante de bout en bout, par l’expressivité de son chant, la clarté et la souplesse de l’émission, et la justesse scénique.  Elle forme avec Marie-Ange Todorovitch, qui chante Cornelia, la mère de Sesto et la fraîchement veuve de Pompée, un couple touchant et justement complémentaire : à l’adolescent les emportements, à la matrone la noblesse et la clarté d’élocution que lui prête la chanteuse. Il va de soi qu’en usant ce mot de matrone nous l’employons dépourvu de sa charge péjorative : la ligne sculpturale de Marie-Ange Todorovitch s’accorde parfaitement avec la séduction que le livret prête au personnage.

Marc Olivier Oetterli et Jean Teitgen campent nettement les serviteurs opportunistes mais maladroits ; l’Achilla du premier prend toute la dimension odieuse et ridicule d’un séide. Son maître, l’équivoque Ptolémée, est incarné par un Christophe Dumaux prodigieux, qui survole les pièges vocaux et cisèle d’une scène à l’autre toutes les facettes d’un personnage « néronien » en donnant une impression de naturel et de facilité à couper le souffle.

En digne sœur de ce Ptolémée la Cléopâtre de Jane Archibald a une apparente spontanéité des plus séduisantes ; portant la toilette à ravir, elle semble être cette jeune femme volontaire, voire capricieuse, si douée pour séduire et manipuler même César. Comme à son frère les sauts d’octave, les notes piquées, les tenues de souffle ou les volées de notes ne lui posent aucun problème sensible, et elle confirme ce qu’avait démontré sa Constance en ces lieux. Son confident Nirenus - Lucie Roche - semble appuyer ses graves et chanter dans sa gorge dans ses premières interventions, avant de retrouver une émission convenable.

Dans le rôle de Giulio Cesare, hélas, Beth Clayton n’est pas à la hauteur de ses partenaires ; ni l’agilité ni la projection ne sont satisfaisantes  pour triompher du rôle, et les choix de mise en scène qui l’éloignent de la fosse durant le premier acte ne contribuent pas à améliorer la situation. La présence, un peu gracile, ne subjugue pas, mais la désinvolture scénique n’appelle pas de critique.

Kenneth Montgomery n’avait pas la tâche facile avec un orchestre pratiquement étranger à la musique baroque ; c’est donc une sorte de miracle qu’il ait réussi à obtenir une exécution correcte, sans flamme particulière mais très homogène, avec une légèreté de touche et d’accents favorable aux chanteurs. Dirigeant dans la fosse disposée comme à Genève pour Ariodante il obtient par sa prudence d’emmener l’équipage à bon port. Ce n’est pas un mince mérite, et il est bon qu’il ait eu sa part des ovations au rideau final. A quand le prochain Haendel au Vieux Port ?


Maurice SALLES
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