C O N C E R T S
 
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LILLE
20/05/2007
 
Sonia Prina (Giulio Cesare) / Anna Christy (Cleopatre)
 © Frédéric Iovino

Georg Friedrich Händel (1685-1759)

GIULIO CESARE


Direction musicale : Emmanuelle Haïm
Mise en scène : David McVicar
Scénographe : Robert Jones
Costumes : Brigitte Reiffenstuel
Lumières : Paule Constable
Chorégraphie : Andrew George
Maître d’armes : Nicholas Hall

Giulio Cesare : Sonia Prina
Cleopatra : Anna Christy
Cornelia : Charlotte Hellekant
Sesto : Tuva Semmingsen
Tolomeo : Christophe Dumaux *
Achilla : Simon Bailey
Nireno : Rachid Ben Abdeslam *
Curio : Alexander Ashworth *

* Cast original (Glyndebourne)
Acteurs/danseurs : Trevor Goldstein, Irene Hardy, Adam Pudney, Colm Seery, Sirena Tocco, Kim Amundsen

Le Concert d’Astrée
Choeur de l’Opéra de Lille

Coproduction Festival de Glyndebourne,
Opéra de Chicago / reprise Opéra de Lille.

Représentation du 18 mai 2007

Le diable au corps


Le forfait de Bejun Mehta aurait pu compromettre cette reprise du Giulio Cesare de Glyndebourne, mais il n’en fut rien. A toute chose malheur est bon : le remaniement partiel de la distribution nous a même réservé une bonne surprise, là où on ne l’attendait vraiment pas, avec la Cornelia de Charlotte Hellekant. Créée en 2005 par le tandem McVicar/Christie, cette production a beaucoup fait parler d’elle, non seulement pour ses qualités intrinsèques, mais aussi parce qu’elle a propulsé sous les feux de la rampe une jeune cantatrice de vingt-cinq ans : Danielle de Niese, bien vite surnommée « la soprano qui danse » par un grand quotidien français.

Chacun sait que vocalement Cleopatra est le premier rôle de cet opéra, le plus richement doté par Haendel. Si l’incarnation de Danielle de Niese est entrée dans la légende, ce n’est pas pour ses prouesses belcantistes, mais parce qu’au-delà d’une sensualité ravageuse et d’une apparente frivolité, elle a également su traduire la fascinante complexité de cette prédatrice hors pair. Le mérite en revient aussi, bien évidemment, au metteur en scène. David McVicar sait révéler un acteur à lui-même, l’aider à libérer son potentiel et à l’explorer. C’est d’ailleurs l’une des clés de son succès et du triomphe remporté par ce Giulio Cesare. Aucun personnage n’est laissé au hasard, ils sont tous investis et acquièrent ainsi une épaisseur, une vérité trop souvent négligées dans l’opera seria.

Les commentateurs ont souligné, à juste titre, la fantaisie et la vitalité du spectacle qui se déroule à un rythme soutenu et sans le moindre temps mort, mais le plus remarquable, c’est qu’il réussit à divertir le public sans escamoter les enjeux dramatiques, la noirceur et même la cruauté que recèle cet ouvrage et qui nous vaut ici des tableaux d’un réalisme sans concession. A cet égard, la reprise lilloise est marquée par la performance exceptionnelle de Charlotte Hellekant. Appelée à la rescousse quelques jours avant la première, la chanteuse a endossé le rôle de Cornelia qui devait être tenu par Sonia Prina. Est-ce la pression, le challenge ? Elle lui confère un relief saisissant et approfondit le portrait brossé par Patricia Bardon voici deux ans. Hellekant apparaît littéralement habitée – d’ordinaire, le terme est volontiers galvaudé, mais il retrouve ici toute sa force et sa pertinence – et son duo avec Sesto est sans conteste le climax de la soirée.

Pour ceux qui ont vu Danielle de Niese (un DVD est sorti chez OPUS ARTE), retrouver sa Cléopâtre, mais sans elle, est un cadeau empoisonné. L’interprète et sa composition sont indissociables ; vous avez beau vous dire que comparaison n’est pas raison, il est impossible de chasser le souvenir de cette orchidée au parfum entêtant. Il faut dire aussi que c’est une gageure que de lui succéder et d’arriver à se distinguer, a fortiori quand on possède une vocina citronnée faite pour Oscar ou Papagena… Cleopatra ne demande pas forcément une voix large et capiteuse, mais malléable et expressive. Anna Christy peine à trouver ses marques dans le cantabile (Se pietà, Piangerò) et si son soprano léger flirte avec la virtuosité, c’est pour mieux l’éconduire, livrant un Je t’aime moi non plus qui laisse l’auditeur sur sa faim. En revanche, l’actrice est nettement plus dégourdie et donne une réplique brillante au Tolomeo de Christophe Dumaux, à la fois sportif et très camp, et qui agrémente aujourd’hui son numéro d’un clin d’œil à Matrix.

C’est donc Sonia Prina qui s’est collée à Cesare. Heureusement, elle connaissait déjà le rôle pour l’avoir incarné en mars dernier au Teatro Carlo Felice de Gênes sous la direction de Diego Fasolis. D’allure comme de ligne, ce Romain gominé et débonnaire n’a plus rien de commun avec l’élégant général aux tempes grisonnantes que Sarah Connolly campait à Glyndebourne, même s’il lui emprunte quelques ornements et jusqu’au sifflement dans Se in fiorito. Avec le grain mat et terrien de ce contralto, César redevient l’homme de toutes les femmes : un macho qui leur en jette plein la vue avec ses vocalises martiales et ses tempi d’enfer. Dommage que la dynamique et l’ambitus soient réduits.


Charlotte Hellekant (Cornelia) / Tuva Semmingsen (Sesto)
 © Frédéric Iovino

Sesto connaît aussi une cure de jouvence en héritant du mezzo clair et joufflu de Tuva Semmingsen, moins fougueuse que Kirchschlager mais plus fine et personnelle dans un Cara Speme anthologique. En revanche, Simon Bailey est loin de posséder le magnétisme ambigu de Christopher Maltman et impose un Achilla brut de décoffrage. En traversant la Manche, la production a décidément perdu en glamour et en sex-appeal. Ce n’est d’ailleurs pas pour ce colosse, mais pour le moins tonitruant Curio (Alexander Ashworth) que Nireno en pince. Comme ses maîtres, l’eunuque (excellent Rachid Ben Abdeslam) a le diable au corps et nous régale dans son unique air, très habilement chorégraphié par Andrew George.

De fait, la danse et une gestuelle élaborée sont les éléments les plus originaux, le sel même de cette mise scène qui privilégie un jeu très physique. Elles prolongent et suivent le mouvement de la voix ou imagent le sens d’un air tel que Va Tacito e nascosto, sur lequel Tolomeo et Cesare se jaugent et se narguent, longuement, en se tournant autour. On l’aura compris, la direction d’acteurs prime sur les machines : un décor unique délimite l’espace, fait de colonnes antiques et de rouleaux de mer en fond de scène, envahi par des soieries des mille et une nuit tombées des cintres pour habiller les appartements de Cleopatra et quelques accessoires parfois rehaussés d’humour (les zeppelins dans l’azur d’Alexandrie) pour évoquer la colonie britannique. Une transposition sans réelle importance, car l’essentiel, répétons-le, est ailleurs.

Aujourd’hui adolescent, le Concert d’Astrée change, se cherche, tour à appliqué et rebelle (les cors), mais dans l’ensemble, il bonifie et se découvre des forces nouvelles ; son endurance, malgré quelques baisses de régime, fait d’ailleurs plaisir à entendre. Avec le temps et en poursuivant le travail accompli sous la conduite d’Emmanuelle Haïm, il devrait gagner en galbe, en couleurs et affirmer son identité. C’est tout le mal qu’on lui souhaite !
 



Bernard SCHREUDERS
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