C O N C E R T S 
 
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LYON
19/12/04
© Gérard Ansellem
Dimitri Chostakovitch (1906-1974)

MOSCOU, QUARTIER DES CERISES

Comédie musicale en trois actes
Livret de Vladimir Mass et Mikhaïl Tchervinsky

En coproduction avec l'Opéra Royal de Wallonie

Bertrand Chuberre (Sasha),
Oxana Shilova (Masha),
Andrew Greenan (Bobourov),
Ekaterina Shcherbachenko (Lidochka),
André Morsch (Boris Boretsky),
Andrey Ilyushnikov (Sergueï),
Elena Bakanova (Liousia),
Pavel Schmulevitch (Fedor Mikhailovitch Drebednyov),
Svetlana Lifar (Vava),
Alexander Gerasimov (Barabachkine).

Alexander Lazarev : Direction musicale

Macha Makeïeff : Mise en scène décors et costumes
Jérôme Deschamps : Mise en scène
Cécile Degos : Scénographie
Macha Zonina : Dramaturgie
Anne Martin : Chorégraphie
Dominique Bruguière : Eclairages

Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Lyon

Lyon, 19 décembre 2004


L'autre vérité

Le monde de la musique reconnaît en Chostakovitch un étonnant maître des musiques populaires occidentales. Peu de compositeurs "étrangers" ont dominé avec une telle aisance la valse musette, le blues, le jazz et la java. Pas surprenant dès lors que dès les premières mesures de l'ouverture de Moscou, quartier des cerises, l'auditeur se sente "à la maison" avec cet air qui rappelle les marches de nos fanfares locales. Une marche qui n'a rien de très "russophoniquement" martial, comme nous imaginions l'URSS de Krouchtchev.

A l'instar du musique, le livret étonne par son audace. Il traduit cette relative libération des esprits que laissait envisager l'après "XXe Congrès du Parti communiste de l'URSS" tout en restant une charge très ironique contre un système administratif toujours en place. Rien de nouveau sous le soleil, la corruption et les passe-droits sont toujours monnaie courante. Des mots qui aujourd'hui éclairent d'une manière totalement neuve les idées préconçues que nous avions du régime soviétique. A trois ans de l'érection du mur de Berlin, il paraît invraisemblable qu'une oeuvre aussi libertaire ait pu être donnée à Moscou sans que ses auteurs disparaissent à jamais dans les oubliettes des goulags. Et pourtant, ni les auteurs du livret ni Chostakovitch ne se virent assignés à résidence ou déportés en Sibérie. Cet opéra de Chostakovitch montre une vérité bien différente de celle que nous assénaient nos dirigeants d'alors. Une autre vérité. Et alors, la vérité vraie ? Elle semble finalement être modulable de part et d'autre du Rideau de Fer en fonction de ce qu'on veut bien lui faire dire. 

Il n'en demeure pas moins que l'opérette de Chostakovitch se révèle une admirable fresque sur les méfaits d'une administration outrancière. Sur fond de relogement, un groupe de personnes se voient transférées dans des appartements en construction, à la périphérie de la ville. Pour autant qu'il possède l'autorisation officielle munie de ses cachets non moins indispensables, chacun se verra attribuer une surface évidemment trop exiguë pour ses besoins, les transports, inexistants dans cette nouvelle zone urbaine, seront quant à eux assurés par un "débrouillard" non autorisé mais efficace. Un commissaire des peuples corrompu veillera à ce que chacun soit correctement logé. Evidemment, par peur de la répression, ses supérieurs hiérarchiques seront privilégiés quitte à ce qu'un appartement déjà attribué disparaisse du compte à leur profit. Tout partira en déliquescence jusqu'à la révolution finale (et populaire) qui remettra, sinon "l'église au milieu du village", la place du bon sens à son juste droit.


© Gérard Ansellem

Dans ce jeu de caractérisation des personnages et de mises en situation, Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps excellent. S'emparant de ce pastiche avec une verve époustouflante, ils peignent des personnages excessifs aux allures de "ploucs". Sous leur direction, de ridicules ils deviennent pathétiques et touchants. On retrouve ici la patte des metteurs en scène des fameux épisodes quotidiens des "Deschiens" de Canal+. Le décor d'une maison dont seuls trois étages semblent terminés, les étages supérieurs laissant apparaître les piliers de béton dont les fers dépassent encore, s'avère d'une belle efficacité pour prêter à chacun des nouveaux locataires l'enthousiasme ou le dépit de cette manne officielle du Parti !

Musicalement, nous l'avons dit, l'écriture de Chostakovitch oscille entre valse musette et jazz. Dès lors, aucun risque de s'ennuyer, ni a fortiori de s'endormir dans les arias. Ceci d'autant plus que la direction d'Alexander Lazarev nous vaut un Orchestre de l'Opéra de Lyon très en verve. Les cuivres sonnent clair sans excès, tout comme les bois, omniprésents. Avec des chanteurs (solistes et choeurs) aussi nombreux que les instrumentistes de la fosse, l'équilibre sonore est admirablement bien conservé. Des intermèdes strictement musicaux séparent les scènes principales de l'intrigue, c'est l'occasion d'admirer quelques chorégraphies (Anne Martin) divertissantes de trois danseurs très gracieux en même temps qu'extrêmement plaisants et comiques (Bérengère Valour, Baptiste Coissieu et Antoine Roux-Briffaud).

Sur le plateau, les chanteurs, presque tous de langue maternelle russe, laissent entendre quelques voix d'intérêt, même si l'excès comique du propos ne favorise pas vraiment l'expression lyrique. Ainsi, la mezzo soprano Oxana Shilova, (Masha) révélée par le Concours de Genève en 2001, prête sa très belle voix à un personnage trop fade pour apprécier ses véritables capacités vocales. A ses côtés, Elena Bakanova (Liousia) est une impressionnante suffragette dont l'enthousiasme se communique autres protagonistes. La voix admirablement timbrée de Svetlana Lifar (Vava) se prête à merveille à la chipie qu'elle est censée incarner. Du côté des hommes, encore une belle brochette de voix avec le vaillant ténor Andrey Ilyushnikov (Sergueï) qui, comme le baryton allemand André Morsch (Boris), tient la scène pratiquement pendant toute la durée de l'oeuvre sans jamais défaillir. Seul petit bémol à cette production, les dialogues parlés (en français) sont trop souvent incompréhensibles, forçant le spectateur à fixer les surtitres. Tant qu'à faire, il aurait mieux valu qu'ils soient dit en russe (même ânonné), le public francophone s'en serait largement contenté.

Spectacle léger de fin d'année, cette comédie de Chostakovitch permet de découvrir une facette peu connue du compositeur russe qui, au gré des ans, fait son entrée dans le répertoire des théâtres lyriques occidentaux, jouissant d'une reconnaissance un peu tardive mais largement méritée.
 
 

Jacques SCHMITT

Prochaines représentations :
les 21, 23,26, 28, 30 et 31 décembre 2004 et le 2 janvier 2005.

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