C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
MONTREAL
15/03/2006
 
Vitellia (Emma Bell) - Acte I
© Opéra de Montréal 2006

Wolfgang Amadeus MOZART

LA CLEMENZA DI TITO

Opera seria en deux actes
Livret de Caterino Mazzolà, d’après Metastasio

Mise en scène : Chas Rader-Shieber
Décors et costumes : David Zinn
Éclairages : Lenore Doxsee

Vitellia : Emma Bell
Sexto : Monica Groop
Annio : Julie Boulianne
Publio : Joshua Hopkins
Tito : Frédéric Antoun
Servilia : Hélène Guillemette

Les Violons du Roy
Chœur de l’Opéra de Montréal
Chef de chœur : Jean-Marie Zeitouni

Direction musicale : Bernard Labadie

Opéra de Montréal
Montréal, Place des Arts, Salle Wilfrid Pelletier
15 mars 2006

Vitellia impériale

Confinée au musée de l’Art lyrique jusqu’au milieu du XXe siècle, La Clemenza di Tito trouve progressivement une place enviable dans le répertoire des grandes maisons à tel point qu’aujourd’hui on ne s’interroge même plus sur les raisons de cette éclipse. L’extraordinaire pouvoir d’attraction d’une musique qui souligne la délicatesse du détail psychologique et qui sonde les profondeurs de l’âme humaine, la justesse de récitatifs habilement modulés, la subtilité du contrepoint, le dépouillement d’une orchestration qui appuie à merveille les inflexions vocales, font redécouvrir l’élégance et la force de la pensée mozartienne.

Un opéra mineur, La Clemenza di Tito ? Loin de là ! Pour l’occasion, Mozart se plie aux exigences de l’opera séria, mais il en assouplit les règles en prenant certaines libertés face aux modèles connus. En renonçant, par exemple, à une simple succession de récitatifs et d’airs, en introduisant, comme il l’avait fait dans Idomeneo, des duos, trios et autres ensembles dont le superbe finale du premier acte avec chœur, il magnifie un art ancien.

Pour rendre à l’œuvre tout son attrait et sa splendeur, il faut en comprendre la cohérence musicale et dramatique de par une connaissance approfondie des caractères et une parfaite maîtrise des contraintes vocales. L’Opéra de Montréal (OdM) pourrait-il rencontrer ces exigences ? D’emblée, il réussit le pari qui n’était pas gagné d’avance, vu la méconnaissance de l’œuvre par le public. Tant scéniquement que musicalement, le spectacle s’avère de haute tenue.

Vitellia (Emma Bell) - Sesto (Monica Groop) - Tito (Frédéric Antoun) Acte II
© Opéra de Montréal 2006


La mise en scène, classique, de Chas Rader-Shieber facilite le jeu des acteurs par une étonnante retenue des mouvements et du jeu même dans les situations les plus déchirantes. Elle attire plutôt l’attention sur l’expression des sentiments et la noblesse des caractères. Des visions fortes, dans un espace aéré, permettent aux spectateurs d’observer et surtout de cerner les idiosyncrasies. La présence discrète des choristes, leurs déplacements tout en douceur prêtent à la production une chatoyante limpidité.

L’OdM utilise un seul décor pour tout l’opéra : un long mur blanc replié sur les côtés vers l’avant figure l’intérieur d’un palais romain. Percé de portes et de fenêtres, il s’ouvre parfois en son centre sur quelques images que l’on associe le plus souvent à la vie de la Rome antique. Ici le réalisme n’est pas de mise, mais on pourrait presque croire à l’incendie du Capitole si des foyers représentant une rangée d’édifices romains en flammes avait été placée en fond de scène. La fin de l’opéra nous conduit par contre vers l’idéal bucolique de Jean-Jacques Rousseau. En vêtements décontractés, Tito s’avancera au milieu d’un parterre de fleurs pour accorder son pardon. Les costumes nous transportent d’ailleurs en plein dix-huitième siècle. À part l’empereur en pantalon et redingote couleur or et Publio en toge romaine dans l’acte de la trahison, les protagonistes sont vêtus de noir tandis que les vêtements blancs s’imposent dans celui du repentir et du pardon, un symbolisme transparent qui évoque la progression vers la lumière. Cette scénographie sans surcharge fournit aux chanteurs un splendide écrin pour rendre à Mozart l’hommage qui lui est dû.

Vitellia (Emma Bell) - Sesto (Monica Groop) Acte I
© Opéra de Montréal 2006

Les honneurs vont d’abord à Emma Bell qui incarne une Vitellia électrisante. D’une voix agile, généreuse et magnifiquement timbrée, elle défend avec conviction les ambitions d’un personnage que rien n’arrête mais qui regrette des emportements qu’elle sait contenir. On est loin d’une hystérique qui parcourt la scène de tous les côtés pour signaler son désarroi. Et pourtant, on y croit. Dans l’air Non piu di fiori, c’est la voix surtout qui signale son désespoir. La fièvre qui s’empare d’elle à ce moment-là culmine dans des contre notes dont je n’ai pas trouvé de précédents ni sur scène ni en enregistrement. Cet emploi lui convient parfaitement; elle y est tout bonnement éblouissante. À ses côtés, les autres chanteuses ne déméritent pas.

Dans Parto parto, le mezzo velouté de Monica Groop traduit parfaitement les hésitations de Sesto, déchiré entre son amour pour Vitellia et sa loyauté envers l’empereur. Julie Bouliane aborde un rôle à sa mesure avec un beau grain qui s’enrichit au fil des ans. La composition d’Hélène Guillemette impressionne, mais il faut relever une légère acidité qui ne lui est pas coutumière dans le haut medium. Nervosité ou méforme passagère sans doute…

Anthony Dean Griffey, porté malade depuis un mois, est remplacé par Frédéric Antoun, un ténor souvent distribué à l’OdM, dont on pouvait craindre que le rôle de Tito dépasse les moyens. L’inquiétude s’estompe complètement et il séduit par la sincérité de son engagement dramatique et une utilisation judicieuse des couleurs. Le langage mozartien lui sied parfaitement et l’on admire un legato impeccable, une articulation soignée et les moirures du timbre.

Le baryton de Joshua Hopkins en Publio manque de profondeur et surtout de rondeur. On serait tenté de justifier sa présence par l’ambitus élevé d’un rôle habituellement confié à une basse, mais c’est alors l’émission des graves qui devient ardue. De plus, son timbre clair ne sert guère l’autorité de cette figure.

La présence de Bernard Labadie à la tête du Chœur de l’OdM et des Violons du Roy décuple notre plaisir. Sa direction distille des moments de pur ravissement et il obtient de ses musiciens une lecture lumineuse, proche de la perfection. Quelle leçon d’élégance dans l’expression, quel fondu approprié des plans sonores ! On mesure la tendresse du chef pour une musique qu’il aborde avec une attention de tous les instants. En outre, le soutien nuancé des chanteurs ne se fait jamais au détriment des couleurs orchestrales.

Une nouvelle réalisation, remarquable, à mettre au crédit de l’OdM. Que demander de plus lorsque l’enchantement est au rendez-vous ?


Réal Boucher
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]