C O N C E R T S
 
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ANGERS
12/03/2004
Jacques OFFENBACH

Les Contes d'Hoffmann

Opéra fantastique en trois actes

Direction musicale : Laurent Campellone
Mise en scène et costumes : 
Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil
Décors : Philippe Miesch
Lumière : Giuseppe Di Ioro
 

Hoffmann :Brandon Jovanovich
Nicklausse : Delphine Fischer
Lindorf, Coppelius, 
Dr miracle, Dapertutto : Vincent Le Texier
Olympia : Evguenia Grekova
Antonia : Lisa Houben
Giulietta : Ursula Hesse von den Steinen
Crespel : Bernard Deletré

Et Maria Soulis, Rayanne Dupuis, G.E. Giot, J. Delescluse, A. Normand,...

Choeur d'Angers-Nantes-Opéra, direction Xavier Ribes
Orchestre National des Pays de Loire

Angers le 12 mars 2004
(Angers-Nantes Opéra)


 
 


Il n'est pas si fréquent, dans l'opéra du dix-neuvième siècle, qu'un compositeur - en l'occurrence Offenbach - mette en scène un personnage réel, ici l'écrivain et compositeur E.T.A. Hoffmann, fût-ce au travers de son oeuvre littéraire.

Il est peu probable que le personnage présenté sur la scène d'Angers ce 12 mars eût été reçu comme un hommage à sa propre mémoire par l'écrivain, représentant du romantisme allemand. En fait de romantisme, nous n'avons retenu qu'un personnage levant haut un coude "éthylogène", chaloupant son ivresse dans un débraillé récurrent et s'écroulant fréquemment, incapable de faire un pas de plus. 

La posture romantique, pour les metteurs en scène, se réduirait-elle ainsi à une haute imprégnation alcoolique, moteur et excuse de tout acte ? Nous pensions Hoffmann poète avant tout, naïf et versatile, faible et victime quelque peu consentante... proie rêvée pour les prédateurs successifs incarnant le Mal absolu. Nous pensions que l'oeuvre d'Offenbach rendait hommage à l'artiste fragile et vulnérable, hésitant aux confins du réel et de la poésie, écartelé entre passion et raison, pauvre victime de la méchanceté gratuite : si l'alcool constitue un signe fort et suffisamment affirmé pour que l'on ne voie plus que lui, il ne saurait à lui seul exprimer les multiples facettes du personnage.

L'option choisie par les metteurs en scène, soit la transposition dans le domaine du cinéma sert-elle l'oeuvre, ou - la question n'est pas nouvelle - les metteurs en scène eux-mêmes ?

Il est vrai que l'ouvrage est un long flash-back qui nous installe dans le présent de la taverne du début pour nous y ramener après les trois récits. L'univers du cinéma, avec ses codes et ses rites, s'impose notamment par le biais d'un gigantesque portique "Studio 2" - évoquant bien sûr les grands studios américains - qui, côté cour, va livrer régulièrement une foule de personnages hétéroclites, chacun se prêtant au jeu des devinettes - "Aide-moi, c'est dans quel film qu'on l'a vu ?" - étalant avant tout la culture cinématographique des concepteurs. Foule illusionniste escortée de "paparazzi", caméras, perchman... Le cinéma, tout le cinéma, rien que le cinéma ? décliné sans retenue au travers de ses modes, de ses artifices.

Et parfois cela marche... les illusions perdues de Hoffmann, froissées comme de la pellicule inutile ; la Mère d'Antonia, diva fétichisée au travers de ses costumes ; Hoffmann allant et venant du réel à l'illusion tels les personnages de Woody Allen surgissant de l'écran dans La Rose Pourpre du Caire.

Mais trop de signes tuent le sens. Pourquoi cette surcharge ? Si le spectateur peut rêver dans l'allusif - douterait-on de son imaginaire ? - il est forcément anéanti par l'explicite redondant. On est souvent dans une sorte de catalogue dans lequel pourraient puiser des metteurs en scène en déficit d'idées...

Difficile dans ce foisonnement de se frayer un chemin et l'on attendra longtemps le "Silence ! on tourne !" du chef quelque peu débordé.

Il est vrai que le thème préludant à l'acte d'Olympia est devenu une marche frénétique rythmant un concours de danse - ou d'aérobic ? - avec jury s'il vous plaît, sorti tout droit du film de Sydney Pollack... on n'achève pas bien que les chevaux !

La Poupée est espagnole, torturée à la scie dans une boîte par des apprentis-illusionnistes qui devraient se faire engager dans le Grand Cabaret de TF1...

Effets appuyés, envahissants qui ne pouvaient masquer un "Air de la Poupée" laborieux dans le phrasé... en dépit d'une voix légère et nuancée, peu expressive, qui donne le sentiment de possibilités mal exploitées.

C'est avec Antonia - située au 2ème acte - qu'une certaine émotion s'installe autour d'une Lisa Houben (qui s'était déjà imposée dans le rôle de Suor Angelica du Triptyque de Puccini en 2002) élégante par la silhouette, souveraine par la voix fine et émouvante, servie par une mise en scène plus resserrée et un orchestre plus convaincant.

Le 3ème Acte retournera à une débauche d'effets autour d'une Giulietta à la robe fendue quelques centimètres au-delà du vulgaire et qui pourrait, elle, se faire engager sur l'une des scènes parisiennes prévues à cet effet ou se produire sur la Croisette lors du Festival de Cannes... les metteurs en scène sont revenus en force et sans mesure. Une voix pleine, bien timbrée parvient cependant à s'imposer et la courtisane devient douloureuse et touchante lorsque son humanité prédomine. Un grand moment, hélas peu respecté par les manutentionnaires - qui n'en peuvent mais ! - faisant le ménage sur la scène et introduisant un immense lit très kitsch...

Au final, une production ambitieuse, qui veut absolument s'écarter des tracés traditionnels et tend ainsi à positionner le seul opéra d'Offenbach parmi ses oeuvres plus légères. C'est retirer de la gravité et de la profondeur à une oeuvre écrite en fin de vie (représentée pour la première fois après la mort du compositeur), c'est la banaliser par un rapport très appuyé (trop ?) au monde clinquant et superficiel du cinéma et du cabaret.

Une caractérisation affirmée des personnages aurait pu introduire un contraste dynamique. Nous avons vu ce qu'il en est de Hoffmann. Brandon Jovanovich a une belle présence sur scène, mais un timbre de voix très métallique dans les aigus le destinerait plus volontiers à des rôles davantage triomphants, exigeant vaillance et panache - il fut un Pollione (Norma) très convaincant en décembre sur la même scène. Les échecs sentimentaux de ce pauvre Hoffmann s'accommoderaient plus volontiers d'intimisme.

Le Mal lui-même, dont les incarnations successives traversent l'oeuvre, n'a que peu à voir avec le démonisme et avec l'épithète "fantastique" attribuée à l'opéra. Le thème musical qui l'annonce est émis sur un tempo tellement rapide que les graves et le caractère inquiétant disparaissent.

Lindorff évoque un membre de la maffia, Coppélius un trafiquant-vendeur à la sauvette, Docteur Miracle un urgentiste en emploi précaire... Dappertutto est en définitive le plus inquiétant, souteneur cynique abusant de son pouvoir sur Giulietta. Vincent Le Texier a d'indéniables qualités de comédien qui ne compensent cependant pas une émission vocale souvent forcée et au vibrato prononcé.

C'est peut-être du côté de Nicklausse, muse et conscience de Hoffmann, sorte de gavroche picaresque, que l'on trouvera un personnage mis en scène avec pertinence... Delphine Fischer est amusante sans vulgarité, conseillère mais non sentencieuse, attentive aux désordres de son dégingandé de Hoffmann. La voix est sans problème et son évocation de "l'amour fatal", dans l'acte d'Antonia, bien soutenue par un orchestre dont la conviction s'est affirmée peu à peu, aurait mérité un appui plus chaleureux d'un public assez réservé... qui se rachètera quelque peu lors du salut final. Le volume des applaudissements n'établira cependant guère de hiérarchie entre les protagonistes, distinguant seulement Antonia, Nicklausse et le rôle-titre.
On ne saurait soupçonner Angers-Nantes-Opéra d'indigence quant aux moyens mis en jeu, c'est même le contraire qui a pu désorienter le public avec une surabondance de sens, de clefs, de symboles, d'effets, de mouvements... Le tout dans un espace scénique encombré par un décor surdimensionné, comme si l'on avait oublié que la scène n'est pas extensible.

Heureusement, des éclairages judicieux sculptent des trajets visuels et organisent cet espace en lui conférant une certaine lisibilité à des moments essentiels. Le spectateur qui cherche son chemin trouve là un fil qui lui aura peut-être permis de s'identifier à Hoffmann poursuivant sa quête infinie, la lumière devenant alors le révélateur sublimé de l'oeuvre en devenir.
 
 
 

Jacques REVERDY
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