C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
MARSEILLE
09/03/2006
 
© christian Dresse

Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)

COSI FAN TUTTE 


Opera buffa en 2 actes
Livret de Lorenzo da Ponte

Mise en scène, Guy Joosten
Assistant, Johannes Erath
Décors, Johannes Leiacker
Costumes, Karin Seydtle
Lumières, Frankie Goethals
Production de l’Opéra de Flandres

Fiordiligi, Jacquelyn Wagner
Dorabella, Sarah Jouffroy
Despina, Jeannette Fischer
Ferrando, Dimitri Korchak
Guglielmo, Paulo Szot
Don Alfonso, Andrew Schroeder

Orchestre et Choeur de l’Opéra de Marseille
Chef du choeur, Pierre Iodice
Clavecin, André Reynaud

Direction musicale, Patrick Davin

Marseille, le 9 avril 2006

Cosi couça...

Année Mozart oblige, l’Opéra de Marseille affiche depuis le 7 et jusqu’au 16 avril le dernier opéra de la trilogie Da Ponte dans une production de l’Opéra de Flandres déjà présentée à Anvers. D’ores et déjà le succès est au rendez-vous, puisque la location affiche pratiquement complet pour l’ensemble des représentations, et la chaleur du public au moment des saluts démontre que le spectacle plaît.

On voudrait donc être au diapason de l’euphorie générale ; mais une réserve de taille nous en empêche, et elle tient à la mise en scène.

Echaudé par un Freischütz selon nous calamiteux, nous étions sur la défensive à l’égard de Guy Joosten. Hâtons-nous de dire qu’il ne renouvelle pas ici les outrages infligés à l’ouvrage précité. Déplaçant l’action au XXème siècle, il se livre certes à quelques menues provocations comme la juxtaposition de costumes anachroniques et la cohabitation de modes relevant d’époques différentes, des années 20 à l’âge du walkman. Broutilles. La direction d’acteurs, fouillée, est respectueuse des situations et du contexte, et la réalisation est soignée, voire élégante.

Le problème vient du choix de l’espace et du décor correspondant. Pendant l’ouverture, à laquelle Patrick Davin imprime un  rythme nerveux et qui met en lumière la volubilité assurée des vents et l’homogénéité des cordes, un rideau masque la scène. De couleur pourpre ou rouge pompéien   il est à l’aplomb d’une bordure aux couleurs alternées évoquant l’utilisation décorative en architecture des pierres volcaniques qui formera comme la partie inférieure du cadre où se déroulera l’action. Au milieu de cette bordure, un bloc de lave solidifiée. Au centre du rideau, la reproduction d’une fresque ou d’une mosaïque représentant Amphitrite. Pas de doute, la scène est à Naples.
     
Las, lorsque ce rideau est tiré de jardin à cour par une femme qui semble coiffée par Bretecher et dont le look évoque irrésistiblement l’humoriste connue sous le nom de Mado la Niçoise, on découvre l’espace unique voulu par le metteur en scène. Il s’agit du hall d’un hôtel, soigneusement reconstitué, avec à jardin au fond la porte à tambour qui s’ouvre dans une paroi vitrée qui file en arc de cercle et rejoint à cour un grand mur rouge pompéien (orné de médaillons reproduisant des peintures antiques plutôt déshabillées) dans lequel s’ouvrent en fond un vaste escalier conduisant aux étages et à l’avant un bar flanqué de tabourets. Quelques tables basses et fauteuils achèvent la reconstitution d’un hall d’hôtel, sans oublier en fond au centre un piano de concert et deux palmiers en pot. Rien ne manque, ni le téléphone ni le barman qui décroche et dit : « pronto », ni le cuisinier en tablier et toque, ni les femmes de ménage peu consciencieuses, ni la gouvernante, ni les clients qui veulent une photo souvenir.

Le problème est que Cosi est un opéra intimiste : si le point de départ est un lieu public où naît le pari stupide, tout le reste de l’action se déroule, au moins selon les didascalies initiales, dans des espaces privés, chambres  ou jardins, ceux-ci étant l’antichambre de celles-là . Ce choix de Da ponte ne relève pas de l’accessoire et ne se laisse pas modifier impunément.


© christian Dresse

C’est dans ces espaces intimes que les deux sœurs se font leurs confidences, c’est là qu’elles se voudront recluses après le départ de leurs amants, c’est là qu’elles s’insurgeront de la présence d’hommes inconnus, c’est là qu’elles finiront par les admettre. L’une, se croyant en sécurité, croira pouvoir jouer avec le feu, mais sa nature inflammable la fera succomber à l’incendie allumé par le tentateur. L’autre, cramponnée à ses fantasmes d’héroïsme, voudra fuir la tentation. En vain ; l’espace domestique censé les protéger abritera leur défaite.

En situant le jeu et les affres psychologiques dans un espace impersonnel et pourtant réaliste que traversent  des employés et des clients le metteur en scène prive les échanges de la force que donne le face à face, quand rien n’en distrait . De plus, comme si la force comique de l’œuvre lui semblait insuffisante, il ajoute des gags, Despina est portée sur la bouteille et vacille sur son tabouret, un ballon de plage dévale l’escalier, le cuisinier patriote venu saluer le départ de Ferrando et Guglielmo en oublie son travail et une épaisse fumée s’échappe de la cuisine dont la porte s’ouvre près du bar, la pierre volcanique devenue la pierre de Messmer est assenée par Despina sur les attributs virils des deus « Albanais ». Au lieu d’enrichir le sens, il nous semble qu’ils le diluent ou l’alourdissent inutilement.

Dommage, car le sextuor vocal est remarquable, déjà parce que les amoureux sont physiquement crédibles. Fiordiligi dont les aspirations à la constance et à la pureté sont peut-être exprimés par sa tenue sobre, voire sportive, blanche et beige, Jacqueline Wagner n’a que de rares baisses de tension dans le grave ; elle est digne et convaincante, et son grand air du deuxième acte (Per pietà ben mio, perdona) est irréprochable, sur les plans vocal et expressif . Sarah Jouffroy est une Dorabella vif-argent, dont la nature désireuse de plaire s’exprime par plusieurs changements de toilette ; c’est probablement sur ordre qu’elle a des attitudes tirant le personnage du côté de la nymphomane. Elle fait un sort à ses airs de bravoure, sans toutefois mettre clairement en lumière la fine ironie de la musique dans ces parodies d’opera seria .

Jeannette Fisher incarne une Despina évoquant les dessins de Brétécher et au look de Mado la Niçoise ; cette cantatrice aguerrie et spirituelle campe un personnage haut en couleurs dont l’abattage vocal ne laisse rien à désirer.

Petite réserve chez les hommes quant au choix d’un baryton pour Don Alfonso. L’habitude prise d’entendre dans ce rôle une basse – la dernière à Marseille fut Michele Pertusi en 1996 – associée aux deux autres couleurs, de ténor et de baryton, fait que lorsque la voix claire d’Andrew Schroeder se mêle à celle de Paulo Szot on regrette la variété d’harmoniques qu’offre le recours à une voix plus grave. Cela dit, sa prestation est des meilleures. Dans le rôle de Ferrando une heureuse découverte, le ténor d’origine russe Dmitry Korchak, à l’émission très saine, sans rien d’engorgé ou de nasal , aux attaques franches et aux aigus faciles, avec parfois des couleurs à la Florez, une élocution impeccable, et de surcroît bon comédien. Paulo Szot, enfin, déjà remarqué dans Didon et Enée en novembre dernier, est un Guglielmo savoureux, dont l’aplomb vocal va de pair avec une désinvolture scénique qui le rend plus vrai que nature en macho sûr de lui mais lui permet aussi de rendre crédibles l’amertume et la fureur du séducteur cocufié.

Les interventions du chœur n’ont pas été irréprochables : attaques flottantes ou décalages avec la fosse. A ce propos peut-être Patrick Davin se laisse-t-il parfois aller à un rythme excessivement rapide, car les solistes ont eux-mêmes rencontré ce dernier problème.

L‘ensemble final est chanté devant une toile peinte qui reproduit le hall avec en arrière-plan la silhouette du Vésuve ; au dernier mot les six solistes se retournent et adoptent des poses diverses, contre cette toile, qui en font dans le noir d’étranges insectes… sur cette dernière image énigmatique éclatent applaudissements et acclamations d’un public jusque là peu démonstratif qui rattrape de bon cœur sa retenue et fête longuement tous les interprètes.


Maurice SALLES
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]