C O N C E R T S
 
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MILAN
29/02/2004

Laura Aikin
DIALOGUES DES CARMELITES

Opéra en 3 actes de Francis POULENC
D'après la pièce de Georges Bernanos

Mise en scène : Robert Carsen
Décors : Michael Levine
Lumières : Jean Kalman
Costumes : Falk Bauer

Dagmar Schellenberger : Blanche de la Force
Anja Silja : Madame de Croissy, Prieure du Carmel
Barbara Dever : Mère Marie de l'Incarnation
Laura Aikin : Soeur Constance Atténuante
Elisabete Matos : Madame Lidoine, la nouvelle Prieure
Gordon Gietz : Le Chevalier de la Force
Christopher Robertson : Le Marquis de la Force
Annamaria Popescu : Mère Jeanne
Sara Allegretta : Soeur Mathilde 
Mario Bolognesi : L'aumônier
Giuseppe Altomare : Un officier
Gregory Bonfatti : 1er commissaire
Ernesto Panariello : 2ème commissaire
Philippe Fourcade : Le geôlier
Danilo Serraiocco : Thierry
Francesco Musinu : Monsieur Javelinot
Sae Kyung Kim : Une voix de femme
Giovanna Caravaggio : Mère Gérald
Agnese Vitali : Soeur Claire
Patrizia Molina : Soeur Antoine
Emilia Bertoncello : Soeur Catherine
Barbara Lavarian : Soeur Félicité
Marlena Bonezzi : Soeur Gertrude
Gabriella Ferroni : Soeur Alice
Mila Vilotijevic : Soeur Valentine
Lucia Bini : Soeur Anne
Lucia Ellis Bertini : Soeur Marthe
Giovanna Pinardi : Soeur St Charles
 

Orchestre et Choeurs du Teatro alla Scala
Direction : Riccardo Muti

Production du Nederlandse Opera d'Amsterdam

Teatro degli Arcimboldi,
le 29 février 2004 (1ère représentation)



LA LUMIÈRE ET LA GRACE

Créés en italien à la Scala de Milan le 26 janvier 1957, Les Dialogues des Carmélites retrouvent la capitale lombarde avec une distribution un peu moins prestigieuse, mais en français cette fois et le succès est à nouveau au rendez-vous.
Principal artisan de cette réussite, Robert Carsen dont la production, d'une exceptionnelle sobriété, semble s'imposer comme une évidence. Le décor se limite à trois immenses murs gris qui ferment totalement l'espace ou qui de tant à autres se soulèvent du sol à hauteur d'homme pour permettre le passage des interprètes ; un siège Louis XVI : nous sommes chez le Marquis ; recouvert d'un lin blanc, voici le fauteuil de la Prieure ; quelques bancs et nous sommes chez les Carmélites au travail ; bancs renversés, fauteuil à moitié détruit, cela suffit à figurer le passage de la Révolution...

Dans ces conditions, le travail sur la lumière est primordial : on savait Jean Kalman grand artiste, on le découvre ici proprement inspiré, serviteur fidèle de la conception de Robert Carsen.

Comme souvent, la mise en scène du Canadien repose avant tout sur l'image ; certains pourront reprocher que quelques options rappellent des productions passées : c'est oublier que Carsen est avant tout un artiste qui se cherche, tournant autour d'idées fortes pour mieux les cerner, sans chercher l'originalité à tout prix (1). Reproche-t-on à un Monet de ressembler à un Monet ?

La direction d'acteurs est admirable jusque dans des détails parfois malheureusement interdits aux spectateurs les plus éloignés (je pense par exemple à ce basculement quasi imperceptible à la fin de la scène où Blanche annonce au Marquis son désir d'entrer au Carmel : autorité, dureté, puis un simple regard qui s'éclaire de bienveillance et d'humanité... tout est dit).

Le rôle de Blanche est dévolu à la jeune Dagmar Schellenberger ; jolie voix à l'aise sur toute la tessiture, français quasiment sans accent, prononciation assez claire : elle ne mérite vocalement que des éloges ; dans un autre ouvrage, le volume vocal serait peut être insuffisant. Le personnage appelle plus de réserves : limiter Blanche à un être uniquement habité par la peur serait un peu caricatural (encore que tout est relatif !) et il n'est pas inintéressant d'imaginer qu'une certaine fierté puisse être un des moteurs de ses actes ; malheureusement, on a plutôt l'impression que cette composante prend ici le dessus. Au final, cette Blanche, un peu trop teintée d'orgueil, n'est plus ce personnage dont la faiblesse même est la raison de l'amour que lui portent ceux qui l'entourent (l'ancienne Prieure, Soeur Constance, le Marquis ou le Chevalier avec lequel le terme même de "compassion" est employé lors de leur dernier duo). Malgré ces menues réserves un peu longuement exprimées, cette chanteuse encore très jeune est vraisemblablement une artiste à suivre.
Le rôle de Soeur Constance est sans doute plus facile à caractériser : il faut néanmoins en souligner l'interprétation tout en finesse de Laura Aikin, la grâce et la légèreté même, qui lui vaut une ovation aux saluts.
A priori, on attendait davantage Anja Silja dans le rôle de Mère Marie ; la première scène confirme cette idée : certes, la Prieure est explicitement autoritaire vis-à-vis de Blanche ; mais si celle-ci peut être dupe de cette autorité destinée à l'éprouver, le spectateur sait la compassion qui déjà atteint la vieille religieuse ; l'interprète doit donc jouer également sur le registre de l'humanité, même si celle-ci ne doit qu'affleurer. Dans cet exercice, Anja Silja déçoit sans véritablement surprendre.

Mais les deux parties de la scène finale viennent amplement racheter cette première impression ; inutile de préciser que la mort fait véritablement froid dans le dos : engagée, dramatique mais évitant un histrionisme vériste, c'est une réussite totale. Plus étonnante est la dernière entrevue avec Blanche : c'est l'Amour qui semble rayonner de la Prieure ; finesse, justesse, un véritable art de l'indicible.

Face à une telle interprétation, on passera sur un accent un peu plus prononcé que celui de ses partenaires et quelques problèmes techniques (2) : des sauts de registre dans le grave, un bas médium parfois difficilement audible... mais l'artiste nous gratifie aussi de quelques aigus toujours aussi impressionnants !
La vocalité de Barbara Denver convient parfaitement à l'autorité de Mère Marie, l'artiste restant convaincante jusque dans ses remords finals. Si l'accent français est bon, la diction manque parfois de clarté.
Elisabete Matos incarne avec conviction une Madame Lidoine pleine d'humanité, même si certains aigus "à l'arraché" ne sont pas toujours techniquement... très catholiques.
Physique d'Antonio Banderas dans le remake de Zorro, voix agile, interprète impliqué et juste, Gordon Gietz est un Chevalier admirable (pour être tout à fait complet, disons "qu'il se la joue" quand même un peu, et notamment aux saluts !).
Dans un rôle parfois sacrifié, Christopher Robertson est un Marquis tout aussi convaincant, même si le matériau vocal n'est pas absolument de toute première qualité.
Les seconds rôles mériteraient tous une mention, en particulier l'aumônier de Mario Bolognesi : il y a longtemps qu'on n'avait pas entendu des artistes italiens maîtriser à ce point une vocalité française (dans le rôle du geôlier, l'excellent Philippe Fourcade est d'ailleurs le seul Français de la distribution).
Les Carmélites sont, en tous points, exemplaires, leur intervention culminant bien sûr avec la scène finale, étonnamment chorégraphiée : les religieuses chantent avec des mouvements de corps du genre "langage pour malentendants" ; chaque fois que le couperet tombe, une religieuse s'arrête de chanter et se couche en croix sur le sol. L'effet est assez saisissant (combien sommes-nous loin de la production parisienne, si terre à terre de Madame Zambello...).
Dans un répertoire où on ne l'attendait pas, Riccardo Muti offre une lecture qui ne renouvelle pas vraiment le chef-d'oeuvre de Poulenc, mais d'une intensité dramatique constante. Comme toujours, Muti évite le romantisme (même si une telle approche se révèle très efficace sous d'autres baguettes). Les couleurs orchestrales sont somptueuses (notamment l'introduction de la dernière scène, magistrale), sans que cette splendeur ne vienne altérer le drame par un hédonisme mal venu.
Grâce à un surtitrage efficace (comme au Met, c'est-à-dire sur le sommet de chaque siège, mais en trois langues : italien, anglais et le texte français original), les spectateurs peuvent apprécier la splendeur et la profondeur du texte de Bernanos, ce qui ne contribue pas pour rien au succès final.
Ce soir, Les Dialogues ont confirmé qu'ils appartenaient bien au répertoire de la Scala.
 
 

Placido CARREROTTI

Notes
1. C'est ainsi que son Jérusalem fait écho à son Nabucco, sa Femme sans ombre à Rusalka, etc. sans qu'il faille voir là l'application d'une recette, mais plus tôt la recherche de convergences.
2. A ce stade de sa carrière, Anja Silja, comme précédemment Rysanek, Mödl, Crespin ou Scotto, est confrontée à des choix difficiles : les anciens rôles sont devenus trop périlleux, et les rôles "de caractère" tels celui de la Prieure ou par exemple celui de la Comtesse de La Dame de Pique sont une tentation : en revanche, la voix n'a pas nécessairement évolué vers le grave et la "forcer" un peu trop tôt dégrade les aigus. On peut donc se demander si la cantatrice n'a pas tenté sa reconversion trop tôt ? Pour une analyse complète du chef-d'oeuvre de Poulenc, consulter l'excellent dossier de Forum Opéra
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