C O N C E R T S
 
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PARIS
30/05/2007
 
Julia Gooding © DR

Henry Purcell (1659-1685)

Didon et Enée

Livret de Nahum Tate d'après Virgile

Version de concert (reconstitution de la version du Lincoln's Inn Fields Theatre, 1700)

Julia Gooding Didon
Michael George Enée
Joanne Lunn Belinda
Simon Grant L'Enchanteresse, chœur
Juliet Schiemann, Faye Newton Les Sorcières, chœur
Christopher Robson L'Esprit, Epilogue, chœur
Andrew King Marin, ami de Enée, chœur
Tone Braaten La Paix, chœur
Mark Chambers Ami de Enée, chœur
Joseph Cornwell Mars, Ami de Enée, chœur
Mark Rowlinson Prologue, chœur

New London Consort
direction Philip Pickett

Mercredi 30 mai 2007, Cité de la Musique, Paris

Un essai musicologique raide comme un Pickett


La soirée s’annonçait pourtant bien. Philip Pickett nous proposait en effet une version rare du seul véritable opéra de Purcell. En effet, il s’agit de la partition de 1700, donnée avec mise en scène au Lincoln Field Theatre de Londres, après la mort du compositeur et qui comprend des ajouts supplémentaires dus à Charles Gildon, notamment le Prologue allégorique remanié à partir de celui de Purcell (que nous connaissons grâce à un livret), et une discussion d’Enée sur les mérites de l’amour et la gloire.

Le souci musicologique s’étend aussi à l’instrumentation, puisque la présence remarquée d’un serpent, d’une truculente verdeur, s’avère pour le moins étonnante. En effet, au XVIIème siècle, cet instrument était essentiellement conçu pour accompagner les chœurs dans la musique religieuse, et l’on voit mal ce que fait ce cousin envahissant du cornet à bouquin dans cet opéra de chambre, d’autant plus qu’il recouvre facilement les cordes par sa puissance sonore de gros basson débonnaire. Toutefois, les recherches de Philipp Pickett et Andrew Pinnock semblent les avoir conduits à adopter cet orchestre florissant avec timbales, trompettes, flûtes, hautbois, contrebasse et le fameux serpent.

Quoi qu’il en soit, cette post-director’s cut ne modifie guère notre compréhension globale de l’œuvre, même si la scène qui conclut désormais l’acte II permet de mieux développer le caractère d’Enée – Purcell lui-même avait prévu six vers et un chœur (aujourd’hui disparus) après le récitatif du prince.

Le Prologue, très convenu mais d’une rafraîchissante pompe, a surtout permis d’admirer l’incroyable dextérité des trompettistes à coulisse Mark Bennett et David Hendry qui se sont joués d’une partition abondant en passages solistes particulièrement virtuoses, dignes d’une sonate de Torelli.

Après cette parenthèse de propagande royale, nous voici à présent au cœur de l’intrigue, cette intrigue condensée, d’un dramatisme presque insoutenable qui fait le succès de Didon et Enée. Une spartiate mise en espace tout à fait bienvenue permet de pallier un peu la nudité d’une version de concert « debout devant les pupitres ».

Hélas, chère Belinda, quelle morne plaine que la direction de Pickett ! D’une régularité inébranlable, la battue du chef s’évertue à lisser les affects et les émotions au profit de contrastes entre orchestre et instruments obligés, et de nuances assez binaires. Seule la scène des sorcières – où le rôle de la magicienne est ici confié à un contre-ténor – parvient à instiller une once d’horreur menaçante. Là où l’on attendait une alchimie toute shakespearienne de tragique et de grotesque, le New London Consort nous offre des danses qui ne sont guère dansantes, des chœurs peu différenciés en fonction de leurs protagonistes (courtisans, marins, sorcières) et des timbres d’une grisaille automnale.

Et le chef n’a pas non plus les moyens de l’hédonisme sonore, car le plateau inégal ne se hisse jamais vraiment à la hauteur de ses nombreux prédécesseurs. Passons discrètement sur le manque de projection des choristes assumant des passages solistes pour nous concentrer sur le trio principal : si Julia Gooding campe une noble Didon en dépit d’aigus métalliques, si Joanne Lunn imagine une Belinda coquette et très « soubrette » espiègle à la diction parfaite, le timbre instable et gargarisant de Michael George ravage littéralement les parties dédiée au fils d'Anchise et d'Aphrodite.

Il restera donc de cette soirée un parti pris musicologique original, et un très émouvant lamento final de Didon où Julia Gooding expire douloureusement avec une émission murmurante parfaitement contrôlée.

Enfin, on ne saurait passer sous silence l’immixtion de vers déclamés solennellement après le Prologue et à la fin de la représentation où... le fantôme de Purcell vient fustiger les « crincrins et les chanteurs époumonés » qui maltraitent trop souvent son œuvre, et souhaite longue vie et gloire à Pickett (!) La modestie du chef en prend un rude coup, et l’on songerait presque à citer les Réflexions et Maximes de Vauvenargues : « Les hommes ont de grandes prétentions et de petits projets », s’il ne s’agissait évidemment d’un trait d’humour typiquement anglais.

De retour à la maison, on remettra vite sur sa platine l’antique lecture d’Anthony Lewis avec Janet Baker (Decca), les énergiques versions de René Jacobs (Harmonia Mundi) ou d’Emmanuelle Haïm (Virgin), ou encore l’intimiste confession de William Christie (Harmonia Mundi, 1er enregistrement) que Pickett est encore loin de détrôner.



Viet-Linh NGUYEN

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