C O N C E R T S 
 
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PARIS
01/06/05

© DR
DE LA MAISON DES MORTS

Opéra en trois actes de Leos Janacek
Livret du compositeur d'après le roman
Souvenirs de la maison des Morts de Dostoïevski

Mise en scène : Klaus Michael Grüber
Collaboration à la mise en scène : Ellen Hammer
Assistant à la mise en scène : Michel Jankeliowitch
Décors : Eduardo Arroyo
Collaboration aux décors: Bernard Michel
Costumes : Eva Dessecker
Lumières : Vinicio Cheli
Assistant à la direction musicale : Titus Engel
Responsables des études musicales : Irène Kudela

José Van Dam : Alexander Petrovich Gorianchikov 
Gaële Le Roi : Alieia 
Hubert Delamboye : Filka Morosov  
Jirí Sul_enko :  le commandant 
Miroslav Svejda : le vieux prisonnier 
Jerry Hadley : Skouratov 
Xavier Mas : le jeune prisonnier, une voix en coulisses
Sergei Stilmachenko : le prisonnier jouant Dom Juan et le Brahmane
Jeffrey Francis : Chapkine
Johan Reuter : Chichkov 
Bojidar Nikolov : le grand prisonnier 
Ludek Vele : le petit prisonnier
David Bizic : Tchekounov
Grzegorz Staskiewicz : le prisonnier ivre 
Tomás Juhás : Tcheverine
Ales Briscein : Kedril 
Alicia Garcia-Munos : la prostituée
Ook Chung : premier garde
Myoung-Chang Kwon : deuxième garde
Yves Cochois : le forgeron
Guillaume Petitot-Bellavène : le cuisinier
Slawomir Szychowiak : le pope

Choeurs et orchestre de l'Opéra de Paris
Direction : Marc Albrecht

Opéra Bastille, le 1er juin 2005

"En chaque créature, une étincelle de Dieu"

Dernière oeuvre du compositeur tchèque, De la maison des morts connut une création posthume en 1930, deux ans après la disparition de Janacek. Dans cet ultime ouvrage, celui-ci fait montre d'une remarquable capacité de renouvellement, au point d'ailleurs d'avoir suscité une certaine incompréhension de la part de ses zélateurs les plus fidèles : ceux-ci virent dans la composition une simple esquisse qu'ils n'hésitèrent pas à modifier tant sur le plan de l'orchestration (jugée trop apurée) que sur celui de la construction dramatique (avec l'introduction d'un choeur en hommage à la liberté sorti de Fidelio). L'opéra fut d'ailleurs donné dans cette version durant plusieurs décennies avant qu'on se décide à revenir au matériau original enfin apprécié dans sa nouveauté : une partition effectivement épurée et profondément originale. 

Renouvellement thématique également : Jenufa, Kabanova, Makropoulos ou même La Petite Renarde montrent les affinités de Janacek avec la Femme, surtout dans son rapport à l'homme, dans sa lutte contre une certaine forme d'oppression et dans sa victimisation.
A l'inverse, De la maison des morts, est essentiellement une affaire d'hommes, malgré la féminisation du rôle du jeune Alieia et la courte intervention d'une prostituée.

La rupture n'est pourtant pas complète : il s'agit toujours de décrire l'incommunicabilité, autre dimension fondamentale de l'oeuvre de Janacek.

Renouvellement dramatique enfin : l'ouvrage est un récit, articulé autour de sous-récits (principalement ceux de trois des prisonniers), sans d'ailleurs qu'aucun ne constitue une pièce "structurée" (au sens où elle comporterait un début, un développement et une fin). On est loin des intrigues des opus précités qui semblent parfois empruntées au courant vériste ou naturaliste !

Ces considérations exposées, il faut reconnaître que l'ouvrage n'est pas nécessairement le plus accessible du répertoire, surtout pour un public généralement peu ou pas préparé : même les admirateurs les plus inconditionnels de la Kabanova, donnée l'hiver dernier, peuvent être désarçonnés par cette écriture (1).

Le soir du 1er juin, seuls les spectateurs les plus téméraires auront fait le déplacement : l'assistance est franchement clairsemée (2) et l'accueil final plutôt réservé, quelques enthousiastes applaudissant pour la masse, majoritairement silencieuse.

Le plateau vocal est d'un bon niveau. Au sein d'une distribution pléthorique (3), on retiendra en particulier le Chichkov de Johan Reuter, peut-être le seul grand rôle de baryton écrit par Janacek, dans une incarnation profondément émouvante.

Légèrement en retrait mais tout à fait satisfaisant, le Skouratov de Jerry Hadley : le ténor trouve ici un emploi à sa mesure, sa technique sommaire étant moins mise à l'épreuve dans ce répertoire.

Autres interprétations remarquables : celle de Jeffrey Francis en Chapkine ou de Gaële Le Roi en Alieia. Enfin, José van Dam impose sa présence en Alexander Petrovich Gorianchikov, un rôle musicalement court mais qu'il sait marquer de son charisme.

A la tête d'un orchestre de l'Opéra de Paris en petite forme, Marc Albrecht se contente d'une mise en place instrumentale, sans parvenir à susciter une véritable tension dramatique (4). Il faut dire que la formation parisienne a beaucoup de mal avec la partition : les violons sont systématiquement stridents (quand ils jouent juste !) et les vents se font remarquer par des accidents réguliers ; bref, un mauvais jour.

A l'image de la distribution, l'effectif de production est lui aussi pléthorique : 7 collaborateurs en comptant les assistants dont les noms figurent aussi en tête d'affiche !
Pourtant, la somme de ces compétences ne se traduit guère par un résultat particulièrement convaincant...

L'idée de base est pourtant intéressante : plutôt que de montrer un univers concentrationnaire dans toute sa grisaille, Klaus Michael Grüber avait choisi d'évoquer la beauté de la Sibérie, renforçant ainsi la détresse des prisonniers en l'opposant aux splendeurs du monde qui les entoure. La réalisation n'est malheureusement pas à la hauteur des ambitions affichées, malgré une certaine débauche de moyens (pas moins de 5 décors !).

La première scène nous transporte dans la cour d'une prison aux murs blancs garnis de tessons de bouteilles multicolores (5) : côté jardin, un immense platane. Dans le lointain, un soleil bas, tamisé par le brouillard. La scène suivante nous mène sur les bords de la rivière où les prisonniers préparent une fête tout en démontant un bateau figuré par une espèce de gigantesque maquette en balsa. Dans un cas comme dans l'autre, rien qui ne mette vraiment en pratique l'idée d'un monde extérieur plus attrayant.

L'aigle blessé est incarné par un figurant déguisé en corbeau tout droit sorti du Muppet Show ; les prisonniers sont habillés de délicieux costumes jaune vif : on se croirait dans un roman d'Enid Blyton (6).

Nouveau changement de décor avec la fête : estrade et gigantesque rideau de scène flanqué de têtes de morts ornées de bougies ; ces prisonniers ont les moyens et leurs riches costumes témoignent d'une soudaine aisance financière ; le résultat entre cette fois en totale contradiction avec l'ambition affichée : le monde extérieur nous paraît moins beau que cette prison de luxe.

Le reste est à l'avenant.

La direction d'acteur est classique, l'accent étant mis sur les performances individuelles des chanteurs plutôt que sur le groupe lui-même : pourtant, et pour silencieux qu'ils soient, les prisonniers ne sont-ils pas tous des personnages à part entière, même lorsqu'ils ne chantent pas ?

Un spectacle où l'on appréciera, suivant le cas, le "verre à moitié vide" ou "le verre à moitié plein".

Pour notre part, nous apprécions cette représentation dans l'absolu, mais pas dans le cadre des objectifs de renouvellement et de qualité supérieure ressassés à l'envi par la nouvelle équipe de la direction de l'Opéra de Paris.
 
 

Placido CARREROTTI
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Notes

1. La conférence préalable de Gérard Mortier n'arrange pas nécessairement les choses : le 1er juin, l'actuel patron de l'Opéra de Paris aura pas mal glosé sur la vie de Janacek, ses amours platoniques comparées à la sexualité de Mozart et à son appétit pour les jeunes pianistes ; peu de choses qui permettent d'apprécier cet ouvrage à sa juste mesure.

2. 130 € la place d'orchestre pour 1h25 de musique sans entracte, ça fait réfléchir, même les plus hardis.

3. 22 rôles : chacun chante donc en moyenne moins de 4 minutes !

4. J'ai dans mon souvenir une version salzbourgeoise où Claudio Abbado imposait une progression implacable dès le prélude.

5. Les vrais goulags étaient pourtant dépourvus de clôture du fait de l'impossibilité de s'en échapper en traversant les déserts glacés qui les entourent.

6. On pense évidemment à "Oui-Oui au Goulag" et à sa conclusion finale : "Oui-Oui meurt".

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